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N3080BPR
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
De façon générale, le groupe de travail recommande :
- d'organiser plus complètement les compétences du juge de l'enquête et de libertés (JEL), compris comme un ordre de juridiction (en étendant sa compétence au contrôle de toutes les mesures privatives de liberté ou intrusives et, le cas échéant, en prévoyant par la loi la possibilité d'exercice des compétences du JEL par délégation à d'autres magistrats du siège) ;
- de conserver au Parquet, dans sa configuration actuelle, la fonction de direction de l'enquête et de l'activité de la police judiciaire, le JEL assurant le contrôle des garanties que doivent comporter les mesures affectant la liberté individuelle ou intrusives ;
- de poser le principe d'une réglementation par la loi des conditions et formes de la garde à vue conformes aux exigences de la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle (présence de l'avocat, assistance à l'accusé, contrôle des conditions de détention) ;
- de réglementer les mesures intrusives conformément aux exigences conventionnelles (autorisation et contrôle juridictionnel, possibilité d'une annulation si irrégulière) ; et
- de réserver la possibilité de prévoir, pour certaines mesures privatives de liberté ou intrusives, l'intervention d'un officier de police judiciaire spécialement agréé.
L'institution du JEL et la nécessité d'une autorité judiciaire pour contrôler les garanties que doivent comporter l'application des mesures affectant la liberté
Yves Gaudemet attaque fort (2) : une analyse trop sommaire de l'avant-projet de loi faite par la presse généraliste et spécialisée a abouti à concentrer l'attention sur la suppression du juge d'instruction ("avec, à l'arrière plan, ce jugement presque moral et certainement simpliste que cette suppression du juge d'instruction signifiait la disparition de l'ultime garant des libertés et une possible ingérence du Gouvernement au-delà de ce qui est unanimement reconnu comme légitime, à savoir la détermination de la politique pénale de la Nation") et à condamner celle-ci, alors même que le système s'équilibre par la création du JEL, magistrat du siège qui exerce un contrôle juridictionnel sur l'activité du Parquet et, notamment, sur les mesures privatives de libertés.
"Le principal apport de la réforme consiste à assurer désormais la garantie de l'intervention systématique d'un magistrat du siège, le JEL, pour le contrôle des mesures affectant la liberté individuelle ou intrusives, y compris celle de la garde à vue".
Une réforme en ce sens est indispensable, compte tenu de la contradiction du système français actuel avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).
Celle-ci, dans l'arrêt "Medvedev" (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 N° Lexbase : A2353EUP), a confirmé sa jurisprudence (not., CEDH, 4 décembre 1979, Req. 7710/76 N° Lexbase : A9608ELG) posant que le "juge habilité par la loi à exercer les fonctions judiciaires devant lequel doit être traduite toute personne arrêtée ou détenue doit présenter les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties". Le contrôle de la Cour se place, aussi, sur le terrain de l'impartialité : "Sans doute la Convention n'exclut-elle pas que le magistrat qui décide de la détention ait aussi d'autres fonctions, mais son impartialité peut paraître sujette à caution s'il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure en qualité de partie poursuivante" (CEDH, 23 octobre 1990, Req. 12794/87 N° Lexbase : A6352EYW).
Le juge européen condamne, donc, la seule possibilité d'un cumul des fonctions de poursuite et d'enquête, ce qui est le cas en France aujourd'hui.
Le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe, dans une recommandation du 6 octobre 2000, a, en outre, précisé que, "lorsque le ministère public est habilité à prendre des mesures qui entrainent des atteintes aux droits et aux libertés fondamentales du suspect, ces mesures doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle judiciaire". Selon la CEDH, les caractéristiques de ce contrôle sont :
- la promptitude, afin de s'assurer qu'aucune atteinte n'est faite aux droits du mis en cause (CEDH, 29 novembre 1988, Req. 10/1987/133/184-187 N° Lexbase : A6499AWM) ;
- le caractère automatique ; "le contrôle doit être automatique et ne peut être rendu tributaire d'une demande formulée par la personne détenue" (CEDH, 29 avril 1999, Req. 25642/94 N° Lexbase : A8265AWZ) ; et
- l'effectivité (CEDH, 29 avril 1999, Req. 25642/94, préc.).
Confirmation du rôle du Parquet, ayant autorité sur l'activité de la police judiciaire et chargé de la direction de l'enquête et son articulation avec le contrôle du JEL
Sur le statut du Parquet, le groupe de travail relève que, ni la jurisprudence de la CEDH, ni celle du Conseil constitutionnel, ne conduit à le remettre en cause, tant au regard au de l'organisation du Parquet, qu'au regard de la plénitude de ses attributions actuelles, qui "ne méconnaissent ni la séparation des pouvoirs, ni le principe selon lequel l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du Parquet, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2004-492, du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : A3770DBA).
Aux yeux du groupe de travail, le contrôle du JEL sur le Parquet, juge de l'enquête, proposé dans le cadre de la réforme, constitue un cumul de garanties dans le sens du respect des libertés individuelles, en particulier sur le plan de la garde à vue et des autres mesures restrictives ou intrusives. Lorsqu'il est recouru à une mesure de garde à vue, le schéma pourrait, alors, être le suivant :
- dès la décision, le Parquet est informé de cette mesure, ainsi que de l'ensemble des actes de garde à vue ;
- parallèlement, le JEL est automatiquement saisi et peut contrôler le respect des garanties et des droits du mis en cause.
Organisation de la juridiction du juge de l'enquête et des libertés
Le rapport insiste sur la compétence du législateur sur tout ce qui se rapporte à la compétence et à l'exercice du JEL.
Il propose de prévoir la possibilité pour ce dernier de déléguer ses compétences à d'autres magistrats pour certaines mesures répétitives ou intrusives, tout en prenant garde à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à l'effectivité du contrôle judiciaire, notamment.
Mesures privatives de liberté (garde à vue) et droits de la défense
Le groupe de travail rappelle que les droits de la défense sont, notamment, constitués des droits de se taire, d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation, de se défendre personnellement et d'être assisté par un avocat. Les droits énoncés dans les articles 312-11 (avis obligatoire lors de l'interrogatoire de notification des charges) et 313-3 (énumération des droits des parties) de l'avant-projet de loi "paraissent s'en rapprocher". Certes, mais à quel point ?
Sur le dernier droit, le rapport souligne, tout comme l'avait précédemment fait le Gouvernement, les difficultés pratiques liées à une présence en continu de l'avocat (notamment, en termes de recueil d'aveux, de coûts etc.).
En la matière, les exigences posées par le Conseil constitutionnel semblent moins fortes que celles voulues par la CEDH.
Si le premier estime que le droit de la personne de s'entretenir avec un avocat au cours de la garde à vue constitue un droit de la défense qui s'exerce pendant la phase d'enquête de la procédure pénale (décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale N° Lexbase : A8286ACU) et condamne l'impossibilité, pour certaines infractions reprochées, de s'entretenir avec un avocat durant la garde à vue, il n'a, néanmoins, pas jugé contraire à la Constitution les régimes dérogatoires de garde à vue (Cons. const., décision n° 2004-492, du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, préc.).
Les juges européens posent, quant à eux, le principe du droit du prévenu à l'assistance d'un avocat dès les premiers stades de l'interrogatoire de police (CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 N° Lexbase : A3220EPX) ou dès le placement en garde à vue (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03 N° Lexbase : A3221EPY), position renforcée depuis l'arrêt du 2 mars 2010 (CEDH, Req. 54729/00 N° Lexbase : A9713ESK).
Au regard de ces exigences, on peut s'interroger sur la compatibilité de l'avant-projet de loi avec les décisions de la CEDH : il est, en effet, envisagé que la personne gardée à vue ait toujours accès à un avocat dès la première heure de la procédure, ce dernier pouvant à nouveau intervenir à la douzième heure, mais, à chaque fois, pour une demi-heure. Les règles dérogatoires seraient maintenues. Ainsi, en cas de terrorisme, l'avocat ne serait associé à la procédure qu'à la 72ème heure de celle-ci. Mais, dans tous les cas, si l'officier de police judiciaire estime que cette présence est susceptible de nuire au déroulement de l'enquête, il pourrait s'y opposer.
En vue de s'aligner avec les règles posées par les juges européens, le groupe de travail recommande de prévoir la présence de l'avocat préalablement ou pendant le premier interrogatoire, afin de permettre à ce professionnel d'assister son client en vue des interrogatoires.
Car la CEDH précise que l'avocat doit pouvoir exercer les "éléments fondamentaux de la défense", à savoir, "toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil" (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03,préc.) -se pose, alors, la question de l'accès au dossier-. Les garanties accordées dans le cadre de la garde à vue peuvent être limitées pour des raisons impérieuses, dont l'appréciation se fait in concreto. Toute dérogation systématique serait, dès lors, incompatible avec l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Il en va, ainsi, des articles 327-25 (sur la garde à vue de 48 heures) et 327-28 (sur celle de 72 heures) de l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale.
La CEDH considère que ce même article 6 de la Convention trouve à s'appliquer dans le cadre des mesures intrusives visées à l'article 8 (N° Lexbase : L4798AQR détention provisoire, assignation résidence, rétention, vérification d'identité, visites domiciliaires, perquisitions, saisies etc.) (not. CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L). De la même façon, le Conseil constitutionnel est soucieux de l'effectivité du contrôle en la matière.
L'audition libre
Afin de réduire le nombre vertigineux de gardes à vue en France, l'article 327-6 de l'avant-projet de loi institue une audition libre (fortement décriée par tous, jusqu'aux membres du groupe de travail) : "lorsque les conditions de la garde à vue ne sont pas réunies, la personne à l'encontre de laquelle il existe une plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être entendue librement".
Ces dispositions posent deux séries de difficultés :
- la personne ne semble pas avoir le choix et doit se soumettre à la mesure, qui, par ailleurs, ne semble pas respecter les garanties inhérentes aux mesures restrictives ou intrusives ; et
- l'audition libre correspond à une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
Il est, en outre, difficilement compréhensible de soumettre des personnes, pour les mêmes causes (le soupçon de commission ou de tentative de commission d'une infraction), à deux régimes différents, l'un protecteur des droits de la défense (la garde à vue) et l'autre non (l'audition libre).
(1) Lire Avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale : Michèle Alliot-Marie ouvre la concertation... tout en faisant la sourde oreille, Lexbase Hebdo n° 22 du 11 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4848BNU) et Réforme de la procédure pénale : la nouvelle enquête pénale passée au crible du CNB et de l'USM, Lexbase Hebdo n° 28 du 22 avril 2010 - édition professions (N° Lexbase : N9504BNC).
(2) Allocution de M. le professeur Yves Gaudemet à l'occasion de la remise du "Rapport du Groupe de travail sur les aspects constitutionnels et conventionnels de la réforme de la procédure pénale" à Mme le Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés - Université Panthéon-Assas, Salle des Conseils, 25 mai 2010.
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