La lettre juridique n°398 du 10 juin 2010 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Un commissionnaire n'est pas un établissement stable du commettant dès lors qu'il n'engage pas juridiquement ce dernier

Réf. : CE 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4168EUW)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 31 mars 2010 (CE 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon, conclusions J. Burguburu), vient de juger qu'un commissionnaire agissant dans le cadre normal de son mandat ne constitue pas un établissement stable de son commettant. Les faits dans cette affaire sont les suivants : la société britannique Z. Ltd, spécialisée dans la commercialisation de produits orthopédiques, a conclu le 27 mars 1995 avec l'entreprise qui était auparavant son distributeur sur le territoire français, la SAS Z., un contrat de commission, aux termes duquel cette dernière était chargée de vendre en France ses produits, en son propre nom, mais pour le compte et aux risques de son commettant. Les deux sociétés ont fait l'objet de vérifications de comptabilité à l'issue desquelles l'administration fiscale, estimant que la société britannique disposait en France d'un établissement stable par l'intermédiaire de la société Z. SAS, a mis à la charge de la société Z. Ltd des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions de 10 % sur l'impôt sur les sociétés, assorties de pénalités, au titre des années 1995 et 1996, d'une part, de taxe professionnelle du fait de l'activité de la société Z. SAS au titre de l'année 1996, d'autre part. Par deux jugements des 7 octobre 2004 et 27 janvier 2005, le tribunal administratif de Melun a, d'une part, reconnu le bien-fondé de l'imposition à la taxe professionnelle, mais réduit son montant, d'autre part, rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés et de cotisation de 10 % sur l'impôt sur les sociétés. Par deux arrêts du 2 février et du 25 mai 2007 (CAA Paris, 2ème ch., 2 février 2007, n° 05PA02361 N° Lexbase : A4648DUP ; CAA Paris, 2ème ch., 25 mai 2007, n° 05PA00941 N° Lexbase : A3065EY8), la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement rejetant la demande en décharge des impositions sur les sociétés et a encore réduit le montant de l'imposition à la taxe professionnelle. Le Conseil d'Etat, par son arrêt du 31 mars 2010, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 février 2007, ainsi que l'article 6 de l'arrêt du 25 mai 2007 de cette même cour, et déchargé la société Z. Ltd des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions de 10 % sur l'impôt sur les sociétés qui avaient été mises à sa charge au titre des années 1995 et 1996, des pénalités correspondantes et des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle mise à sa charge au titre de l'année 1996.

L'arrêt du Conseil d'Etat, qui censure la cour administrative d'appel de Paris, éclairé par les conclusions du rapporteur public, clôt un débat initié de longue date et qui a suscité de nombreux commentaires en doctrine. L'arrêt du 31 mars 2010 referme, en effet, une parenthèse, source de vives inquiétudes, ouverte par l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 juin 2003 (CE Contentieux, 20 juin 2003, n° 224407 N° Lexbase : A2710C9A), qui semblait militer pour la reconnaissance d'une conception économique de la notion d'agent dépendant ; dans le cadre d'un contrat de commission, le commettant même en l'absence de contrat signé en son nom pouvait être engagé par l'action du commissionnaire, lequel pouvait, alors, être regardé comme un établissement stable au sens d'une convention fiscale. En l'espèce, il était fait application à la société Z. de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L6745BHB) qui suit le modèle de convention fiscale de l'OCDE en ce qui touche à l'établissement stable : un agent dépendant habilité à conclure des contrats au nom de son commettant est alors un établissement stable. Le Conseil d'Etat a ainsi été conduit à préciser le contenu de la notion "d'engagement pour", s'agissant d'un commissionnaire. La solution retenue par la Haute juridiction, dans l'arrêt du 31 mars 2010, est remarquable en ce qu'elle repose sur une interprétation strictement juridique du contrat de commission et en ce qu'elle écarte toute lecture économique du contrat de commission. La solution du Conseil d'Etat, empreinte de sagesse, rassure les nombreux groupes qui utilisent le contrat de commission, et s'abstient de créer une notion fiscale du commissionnaire, dès lors qu'un droit voisin, en l'espèce le droit privé des contrats permet de trancher le point litigieux.

1. L'arrêt "Société Z. Ltd" ou le retour à une forme d'orthodoxie juridique : le commissionnaire n'engage pas juridiquement son commettant

Pour mettre à la charge de la société britannique Z. Ltd des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, la cour administrative d'appel de Paris avait regardé la SAS Z. comme un établissement stable de la société Z. Ltd, nonobstant l'existence d'un contrat de commission liant le commettant et le commissionnaire.

1.1. Le contrat de commission ne permet pas à la SAS Z. de conclure des contrats au nom de Z. Ltd.

Le Conseil d'Etat, s'agissant de la contestation d'une imposition relative à des bénéfices d'une société étrangère, établie dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale bilatérale, a défini de longue date, tout en les rappelant régulièrement (CE, 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296471 N° Lexbase : A1243EKA), les règles de la méthode : le juge analyse le litige au regard de la loi fiscale et recherche si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans la négative, apprécie si la société étrangère peut être assujettie à l'impôt français sur les sociétés sur le fondement des dispositions combinées du 1 de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L3322IG7) et des stipulations de la convention fiscale bilatérale. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Douai s'était fondée sur la combinaison des dispositions du I de l'article 209 du CGI et les stipulations de la Convention entre la France et le Royaume-Uni du 22 mai 1968 (CAA Douai, 3ème ch., 11 avril 2006, n° 02DA00111 N° Lexbase : A9165DQI).

Les dispositions de l'article 6 de la Convention franco-britannique prévoient que les bénéfices d'une société d'un Etat contractant sont imposables dans l'autre Etat lorsque l'entreprise y exerce son activité par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, dans la mesure où ils sont uniquement imputables à cet établissement stable. Le paragraphe 4 de l'article 6 prévoit, en outre, qu'une "personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 5, est considérée comme un établissement stable dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entrepris". Le paragraphe 5 précise aussi que l'on ne considère pas qu'une entreprise d'un Etat contractant a un établissement stable dans l'autre Etat contractant du seul fait qu'elle y exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre intermédiaire jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.

La cour administrative d'appel de Paris, après avoir écarté l'hypothèse retenue par l'article 4 de la convention, c'est-à-dire celle de l'installation fixe d'affaire -ce point étant confirmé par l'arrêt du Conseil d'Etat du 31 mars 2010-, avait jugé qu'il résultait des termes du contrat de commissionnaire en cause que la SAS Z. pouvait engager la société Z. Ltd nonobstant la circonstance que le statut de commissionnaire faisait obstacle à ce que la société Z. SAS puisse conclure effectivement des contrats au nom de son commettant. Ce faisant, la cour administrative d'appel de Paris fondait sa solution sur une lecture des stipulations conventionnelles et, notamment, du paragraphe 5 du modèle OCDE retenant que l'expression de "pouvoirs permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise" ne restreignait pas l'application du paragraphe à un agent concluent littéralement des contrats au nom de l'entreprise, autorisée par l'arrêt du Conseil d'Etat précité du 20 juin 2003.

C'est, en premier lieu, en s'appuyant sur une analyse juridique du contrat de commission que la Haute juridiction écarte le fait que le commettant puisse être engagé par le commissionnaire. Ce faisant, elle retient la notion civiliste de représentation imparfaite du commettant et écarte l'idée que le commissionnaire puisse conclure un contrat au nom de l'entreprise pour le compte de laquelle il opère. Or, pour regarder le commettant comme un établissement stable au sens des stipulations conventionnelles, il eût été nécessaire que la SAS Z. agisse au nom de la société Z. Ltd (CE, 8° et 3° s-s-r., 1er juin 2005, n° 259617 N° Lexbase : A4973DIZ), mais en l'espèce, le seul cocontractant du tiers est le commissionnaire.

La Haute juridiction pouvait, toutefois, alors même que la nature juridique du contrat de commission s'y serait opposée, valider l'analyse de la cour administrative d'appel de Paris et retenir l'existence d'un établissement stable en s'appuyant sur l'apport de la jurisprudence du 20 juin 2003 qui retient la notion de capacité d'engager de fait au nom d'une personne.

1.2. Le commettant ne peut pas non plus être juridiquement engagé par le commissionnaire agissant en lieu et place de celui-ci

L'article L. 132-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5633AIH) précise que : "le commissionnaire est celui qui agit en son nom propre ou sous un nom social pour le compte d'un commettant". Les contrats commissionnés sont passés par le commissionnaire avec des tiers contractants, pour le compte du commettant mais en son nom propre. Le contrat de commission emporte, donc, une représentation imparfaite du commettant et ne pouvait, en l'espèce, faire regarder ce dernier comme concluant des contrats au nom de la société étrangère. S'affranchissant des règles posées par le Code de commerce et, notamment, de ce qu'aux termes de l'article L. 132-1 du Code de commerce, un commissionnaire ne peut, en principe, constituer un établissement stable du commettant, la cour administrative d'appel de Paris avait retenu l'idée d'un engagement du commettant par le commissionnaire compte tenu de la jurisprudence du 20 juin 2003 et de la possibilité ouverte par cette jurisprudence pour le commissionnaire de signer des contrats en lieu et place du commettant.

Le Conseil d'Etat suivant en cela son rapporteur public n'a pas été convaincu par cette lecture constructive de la capacité d'engager du commissionnaire ouverte par l'arrêt du 20 juin 2003 et qui prend racine dans les commentaires du modèle de la convention OCDE. Afin d'écarter une notion de "capacité en fait" d'engager, le Conseil d'Etat, après que le rapporteur public ait battu en brèche les conséquences à tirer du commentaire du modèle de convention OCDE 32. 1 sous l'article 5 qui semblent avoir inspiré la cour administrative d'appel de Paris, et dont le rapporteur public éclaire la lecture, revient à une définition civiliste du contrat de commission.

La jurisprudence de la Chambre criminelle définit le commissionnaire comme "l'intermédiaire qui conclut en son nom propre, s'oblige seul, peut être seul actionné et actionner et qui est tenu envers son commettant" (Cass. crim., 24 juillet 1852, Rivière c/ Souty et consorts). La notion de capacité à "engager de fait" doit être écartée, les commentaires sous le point 32.1 s'appliquant, en outre, à des cas particuliers de contrats propres aux pays de common law dont ne relève pas le contrat de commission. En présence d'un contrat de commission, le commettant n'est pas engagé au sens juridique du terme dans une relation contractuelle avec le tiers cocontractant du fait du contrat conclu par ce dernier avec le commissionnaire.

2. L'arrêt "Société Z. Ltd" ou le temps de l'autonomie bien comprise du droit fiscal au profit d'une sécurité juridique accrue des groupes

Sous réserve pour les groupes de s'assurer que le contrat de commission mis en place relève bien de la qualification de commissionnaire, la lisibilité du régime fiscal dont ils relèvent est accrue.

2.1. De l'inutile complexité d'une définition fiscale ad'hoc du contrat de commission

Lorsqu'un litige appelle une qualification particulière, le droit fiscal emprunte aux droits voisins sauf s'ils sont dépourvus de cette qualification. L'arrêt du Conseil d'Etat du 31 mars 2010 marque une nouvelle étape d'un mouvement initié de longue date de rapprochement du droit civil et du droit fiscal. Dès lors qu'il n'y a pas de définition fiscale du contrat de commission, quand il est question de commissionnaire dans un litige fiscal, il convient, alors, de mettre en oeuvre les règles du droit privé pour préciser le point en litige. En retenant une notion d'engagement exclusivement juridique et en s'appuyant sur le droit civil pour préciser l'expression "conclure des contrats au nom de", afin d'exclure le lien commercial direct entre l'entreprise étrangère et le client cocontractant français, le Conseil d'Etat poursuit un effort entrepris de longue date pour rapprocher le droit civil et le droit fiscal et expliqué par son commissaire du Gouvernement Lucien Mehl sous un arrêt du 24 novembre 1967 (CE, 24 novembre 1967, n° 69113 et n° 69114 N° Lexbase : A6845B8Z), à propos de la notion de propriété ; le commissaire soulignait alors "la loi est une et d'application générale. Le découpage du droit en secteurs distincts n'a qu'une portée pratique. Nous disons propriétaire au sens du droit civil, parce que c'est le droit civil qui définit la propriété".

Il semble que le Conseil d'Etat, par son arrêt "Société Z. Ltd" du 31 mars 2010, éclairé par les conclusions de son rapporteur public, ait entendu rappeler que l'on dit commissionnaire, au sens de l'article L. 132-1 du Code de commerce, parce que c'est le droit commercial qui définit ce qu'est un contrat de commission. Dès lors, un commissionnaire, même s'il apparaît juridiquement ou économiquement lié à son commettant, ne peut valablement l'engager.

2.2. Une clarification attendue du contrat de commissionnaire

La lecture juridique du contrat de commission effectuée par le Conseil d'Etat emporte une première conséquence soulignée par le rapporteur public dans ses conclusions : elle accroît la sécurité juridique. La lecture purement juridique des stipulations conventionnelles apporte une lisibilité accrue aux groupes qui recourent souvent à ce schéma d'organisation en leur permettant d'appréhender de manière plus simple l'application de la règle fiscale.

Reste que la motivation de l'arrêt "Société Z. Ltd" du 31 mars 2010 ne va pas sans quelques réserves. La Haute juridiction a, en effet, motivé son arrêt en indiquant qu'il n'y a pas d'établissement stable : "sauf s'il ressort des termes mêmes du contrat de commission, soit de tout autre élément de l'instruction, qu'en dépit de la qualification de commission donnée par les parties au contrat qui les lie, le commettant est personnellement engagé par les contrats conclus avec des tiers par son commissionnaire". Le rapporteur public a aussi souligné que "l'administration ne pourra imposer une société étrangère sur la base d'un établissement stable constitué par un commissionnaire que si elle démontre que les clauses du contrat impliquent en réalité une autre qualification que celle de commissionnaire ou que d'autres éléments de l'instruction établissent l'engagement personnel du commettant, du fait des contrats conclus par le commissionnaire avec les tiers cocontractants, à l'égard de ces derniers".

Il est donc possible de passer outre l'apparence née du seul lien contractuel, et d'apprécier le contenu même de ce lien et la simple mise en place d'un contrat de commission ne saurait soustraire mécaniquement une société étrangère à l'impôt ; autrement dit, il demeure possible de l'écarter si sa mise en oeuvre ne répond à la qualification juridique qui lui a été donnée. Ce n'est pas le contrat seul qui est pris en compte mais le régime ou l'économie du contrat (CE 8° et 3° s-s-r., 1er juin 2005, deux arrêts, n° 259617 N° Lexbase : A4973DIZ et n° 259618 N° Lexbase : A4974DI3). Ce faisant, le juge se livrera à une qualification juridique du contrat, qui ne remet pas en question les apports d'une lecture strictement juridique des stipulations conventionnelles.

L'arrêt du 31 mars 2010 "Société Z. Ltd" amène à regarder la démarche empruntée par l'administration fiscale comme débouchant sur une impasse, le rapporteur public invitant le service à s'intéresser, pour l'avenir, à la rémunération du commissionnaire au regard des règles régissant les prix de transfert.

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