La lettre juridique n°398 du 10 juin 2010 : Sociétés

[Jurisprudence] Nullité des délibérations du conseil d'administration d'une SAS, un coup d'arrêt à la thèse de la "société-contrat" ?

Réf. : Cass. com., 18 mai 2010 n° 09-14.855, Société Française de gastronomie, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3869EXL)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 07 Octobre 2010

"La nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats". En rappelant, par ces termes, les dispositions de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL), la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient, le 18 mai 2010, de décider, dans un arrêt destiné à la plus grande publication (FS-P+B+I+R), de l'application de cette règle à une société par actions simplifiée (SAS).
La décision est d'importance car la SAS, telle qu'instaurée par la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 (N° Lexbase : L1179AR4), a été imaginée par le législateur comme une société essentiellement soumise à un régime contractuel. Sa structure souple devait ainsi permettre, en théorie, d'offrir une forme statutaire suffisamment allégée pour permettre au droit interne de devenir aussi attractif que celui des autres Etats membres de l'Union. Au delà de ces perspectives de politique législative, il reste que la doctrine, tout en soulignant l'intérêt pratique de cette nouvelle forme sociale, n'avait pas manqué de relever que la concision des textes donnerait sans doute lieu à d'amples développements jurisprudentiels. L'arrêt précité vient ainsi de lui donner raison en venant, fort opportunément, combler un des doutes qui pesait encore sur le fonctionnement de la SAS. Le juge du droit avait, en l'espèce, à répondre à un pourvoi formé par les associés d'une société dont les statuts et le règlement intérieur prévoyaient que la composition du conseil d'administration devait refléter celle de l'actionnariat. Cet équilibre ayant été rompu, l'un des deux actionnaires, sous-représenté, demandait l'annulation des délibérations. La question posée donc était celle de la sanction de la force obligatoire des statuts et du règlement intérieur de la SAS, l'auteur du pourvoi prétendant, pacta sunt servenda, à la nullité des décisions prises en contrariété du pacte social à l'appui des dispositions de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

Tout l'intérêt de l'arrêt repose, ainsi, sur le rejet de ce fondement par la Chambre commerciale, qui écarte la thèse du régime conventionnel (I) applicable aux nullités, pour y préférer le régime du droit commun des sociétés (II) prévu à l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce.

I - La thèse de l'encadrement contractuel du fonctionnement de la SAS

Placée, dès l'origine, sous le principe de l'organisation par les seuls associés, la SAS se caractérise par sa liberté statutaire, le pacte social permettant d'adapter le fonctionnement interne de la société aux spécificités de son exploitation. L'espèce fournissait l'exemple d'une représentation égalitaire des deux associés, le non-respect de cette parité débouchant, en principe, sur le prononcé de l'irrégularité des décisions (A). Au-delà, toutefois, du constat, par le juge du fait, de diverses irrégularité, les statuts ne stipulaient pas en matière de nullité, ce qui posait la question de la nature de leur sanction (B).

A - Le constat, en fait, de l'irrégularité des décisions

C'est dans le cadre d'une SAS constituée en fonction des dispositions de la loi du 3 janvier 1994 (loi n° 94-1 N° Lexbase : L2852AWK) que la société Larzul a été créée, son capital étant réparti, par parts égales, entre deux sociétés nommées Vectora et Française De Gastronomie (FDG). Ses statuts et son règlement intérieur avaient prévu, en conséquence de la forme de filiale commune retenue, une représentation paritaire aux organes de la société. Le règlement intérieur de la société instituait, ainsi, une structure du conseil d'administration strictement égalitaire prévoyant en son article 2 que "les associés conviennent que le nombre d'administrateurs désigné par chacun d'entre eux devra refléter leur parité dans la répartition du capital".

En vertu de l'article 14 des statuts, enfin, le conseil d'administration, composé de quatre à six membres choisis par les associés ou en dehors d'eux s'était vu attribuer la faculté (article 14 V), en cas de vacance de sièges, de procéder à des nominations à titre provisoire, chaque administrateur disposant d'une voix, étant précisé "qu'en cas de partage, la voix du président n'est pas prépondérante" en illustration du principe de parité susmentionné (cf. moyens annexés).

La contestation qui donne lieu à l'affaire présentée naît lorsque l'un des deux administrateurs représentant la société FDG démissionne et que le conseil d'administration de la société Larzul, réduit à trois membres, se réunit par deux fois, les 22 mai et 12 septembre 2007, prenant à ces deux occasions des décisions emportant l'arrêt d'une branche d'activité de la SAS.
La société FDG, contestant cette décision, assigne alors la société Larzul ainsi que son président, demandant l'annulation de la délibération du conseil d'administration du 12 septembre 2007, de la décision d'arrêt d'activité et des procès-verbaux des deux réunions. L'affaire étant portée devant la cour d'appel de Rennes, cette dernière déboute la société FDG de sa demande, le 17 mars 2009.

C'est, donc, sur le fondement des dispositions de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil que la société FDG forme un pourvoi en cassation dans lequel elle invoque la violation des stipulations des statuts et du règlement intérieur de la SAS.

Cette position, fondée sur le grief de dénaturation des statuts et du règlement intérieur, était étayée par une analyse combinée des mécanismes encadrant le fonctionnement de la SAS rapprochant respectivement :
- l'article 14 a) I des statuts, qui prévoyait que le conseil d'administration devait être composé de quatre membres au moins, (alors, qu'en l'espèce les deux réunions contestées s'étaient tenues avec seulement trois administrateurs) ;
- l'article 2 du règlement intérieur, qui imposait le reflet de la représentation de ses membres en fonction de la parité dans le capital (parité qui, en conséquence, n'avait pu être respectée alors que seuls trois membres avaient siégé) ;
- l'article 14, b) II, du même règlement précisant que la voix du président de séance n'était pas prépondérante en cas de partage (il s'agissait, là, de souligner la force du principe d'égalité des votes) ;
- et l'article 14, a) IV, (ibid.) qui, en cas de vacance d'un administrateur, prévoyait la possibilité d'en désigner un autre, à titre provisoire, les associés représentant 20 % du capital social pouvant saisir, "sur le champ", une assemblée générale aux fins de désignation (ce dernier argument devant, sans doute, selon la société FDG, convaincre de l'importance que les fondateurs accordaient au respect de la représentation paritaire au conseil d'administration).

La société FDG se fondait, ainsi, sur le non-respect de ces différentes stipulations qui, en l'espèce, avaient été relevées par la cour d'appel. Il n'était, ici, nul besoin d'interpréter les statuts pour établir l'irrégularité des délibérations mais, en revanche, la demande étant portée sur le terrain de la nullité, c'est sur ce seul point de droit que la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait à se prononcer.

B - La question de la sanction contractuelle de l'irrégularité

Incidemment se trouvait, alors, posée la question de la soumission du fonctionnement de la SAS à un régime contractuel. L'alternative en résultant se résumait assez simplement. La thèse de la société FDG sous-tendait que, le fonctionnement de la société étant soumis à un régime contractuel, le non respect des stipulations des statuts et du règlement intérieur devait entraîner l'annulation des délibérations contestées. A l'inverse, il était possible d'écarter cette vision fort contractuelle du régime applicable aux SAS et de soumettre le fonctionnement de cette dernière aux dispositions du droit commun des sociétés, avec le souci, en filigrane, de trancher dans la question de l'intensité du régime contractuel attaché à la liberté statutaire de la SAS.

Pour en revenir à la source du droit des affaires, la question de l'opposition entre la vision de la "société-institution" et de celle de la "société-contrat" semblait pourtant tranchée depuis la modification de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ), par loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 (N° Lexbase : L2051A4Q) : "la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d'affecter à une entreprise commune [...]". Ainsi, si l'hypothèse de la "société-contrat" n'est pas expressément écartée -notamment pour la société en participation-, le législateur a clairement indiqué que, si le contrat est bien le cadre juridique de la formation de la société, cette dernière est, ensuite, instituée par convention ce qui suppose que son fonctionnement relève d'un régime institutionnel. Ainsi, si le débat a persisté après la loi de 1985 précitée sur le point de savoir si la société est un contrat ou une institution, il n'y avait, en principe, pas lieu à querelle, en ce qui concernait ses principes généraux de fonctionnement.

L'instauration de la SAS, notamment depuis la loi du 12 juillet 1999 a, cependant, pu ébranler les certitudes que la nouvelle rédaction de l'article 1832 semblait avoir consolidées. La doctrine a pu parler, à ce titre, d'un mouvement de "contractualisation" du droit des sociétés (Ph. Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, 12ème éd., 2008, n° 21). Pour autant, si c'est incontestablement sous l'égide de la liberté contractuelle que l'élaboration des statuts a été placée, les incertitudes sont demeurées quant au fonctionnement de la SAS sous cet encadrement. Autrement dit, cette forme de société, parce que régie par une organisation contractuelle, voyait-elle son fonctionnement suivre, par voie de conséquence, un régime conventionnel ? Telle était la thèse, en définitive, de la société FDG. Ce n'est pas celle, pourtant, que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de retenir, du moins s'agissant des nullités des délibérations. Par une substitution de motifs de pur droit à ceux qui étaient produits par l'auteur du pourvoi, elle soumet indiscutablement les mécanismes de nullité des délibérations aux dispositions de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce. Ainsi, le non respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité, résultat de la lecture a contrario du texte précité. Le pourvoi de la société FDG sera, ainsi, rejeté.

II - Droit commun des sociétés et nullité des actes et décisions prises par les organes des SAS

La Chambre commerciale s'étant prononcée pour l'application du droit commun des sociétés (A), par préférence au droit commun des contrats, se pose, ainsi, la question du périmètre de l'ordre public statutaire (B) applicable aux SAS.

A - Le régime de droit commun applicable aux SAS par subsidiarité

La subsidiarité du régime de droit commun, que vient de mettre en évidence le juge du droit, n'est pas pour autant le fruit d'une révolution prétorienne. Il suffira, en effet, de se rappeler que de façon subsidiaire, le fonctionnement des SAS est stratifié. Il est régi, d'abord, par des dispositions propres, aux articles L. 227-1 (N° Lexbase : L2477IBD) à L. 221-20 du Code de commerce, puis, en cas de silence de ces textes, par les règles relatives aux sociétés anonymes ou, lorsque ces derniers sont eux-mêmes silencieux, par le droit commun des sociétés, puis, enfin, en tant que de besoin, par le droit commun des contrats.

Révélée par les textes, et notamment par l'alinéa 3 de l'article L. 227-1, le principe est consacré par la phrase suivante : "dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières [relatives à la SAS] les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des articles L. 225-17 (N° Lexbase : L5888AIW) à L. 225-126 et L. 225-243 (N° Lexbase : L6114AIB), sont applicables à la société par action simplifiée". Implicitement, cela signifie, également, que lorsque qu'aucune disposition ne régit spécifiquement les sociétés anonymes, c'est que le droit commun des sociétés s'applique, ainsi qu'il en est en matière de nullités, comme en l'espèce, qui sont encadrées par l'article L. 235-1 du Code de commerce.

Il faut le reconnaître, la rédaction de cet alinéa est perfectible : en effet, s'il est aisé de comprendre que les dispositions des articles L. 227-1 et suivants, concernant la SAS, permettent d'écarter les règles relatives à la société anonyme et, donc au droit commun des sociétés, l'articulation entre les deux régimes peut laisser perplexe. Le principe est posé, en effet, de la liberté contractuelle mais qu'en sera-t-il de la situation lorsque le régime de la SA ne sera pas compatible avec les statuts de la SAS, et non plus avec les dispositions qui la régissent ?

Des auteurs, d'ailleurs, avaient cerné, depuis longtemps, cette sorte de péril statutaire : "le silence et l'imperfection des statuts peuvent poser des problèmes auxquels le droit commun des sociétés n'apporte pas toujours de solutions claires [...]. Sur diverse questions (alerte, mouvements de capital, nullités etc..), l'absence de règles supplétives ou l'imprécision des règles légales [...], sont appelées à susciter un contentieux" (P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, Montchrestien, 3ème éd., 2009, n° 958). L'arrêt du 18 mai dernier, au moins, fera disparaître une des incertitudes ici soulignée : désormais, en matière de nullité ce sera l'article L. 235-1 qui sera applicable aux SAS même si la solution ne ressortait pas d'évidence. Les mêmes auteurs plaidaient récemment, en effet, pour la mise en oeuvre d'un régime plus nuancé en matière de nullités, avançant qu'"il serait logique que la jurisprudence admette l'annulation, au pouvoir du juge, des actes contraires aux clauses des statuts qui sont d'application nécessaire" (op.cit, loc. cit.). Ils soulignaient, toutefois, que ce point pouvait être discuté "puisque plusieurs articles relatifs à la SAS fulminent des nullités" (ibid.). La remarque invite, dès lors, à s'interroger sur les limitations à la liberté contractuelle, qui apparaissent face à la persistance d'un ordre public statutaire issu du régime de la SA.

B - L'ordre public statutaire, régime sous-jacent au fonctionnement des SAS

Le régime de liberté contractuelle dans la SAS, et ce point a déjà été souligné, semble davantage concerner l'élaboration des statuts que leur fonctionnement. Quant à cette liberté, elle semble, elle-même, largement encadrée, un régime de nullité étant attaché à la violation de certaines dispositions. En ce sens, l'article L. 227-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2484IBM) établit, que, si les statuts déterminent librement le fonctionnement interne de ce type de société, (alinéa 1er), certaines attribution dévolues aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires des sociétés anonymes sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés (alinéa 2) -en substance, modification de capital, fusion, scission, dissolution, transformation, nomination des commissaires aux comptes, assemblées sur les comptes-.

Le texte ainsi est d'importance, puisqu'il limite considérablement le jeu des stipulations statutaires, prévoyant, par ailleurs, en son alinéa 3 que les dispositions qui pourraient être prises en violation des dispositions précédentes peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. Il en va semblablement des termes de l'article L. 227-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L6170AID) qui dispose que toute cession effectuée en violation des clauses statutaire est nulle. L'enseignement qu'apporte la lecture de ces deux articles est, ainsi, celui de la nécessité de demeurer circonspect quant à l'orientation donnée par le législateur au jeu de la liberté contractuelle, qu'on aurait pu croire érigé en dogme : il existe bien, dans la SAS un forme d'ordre public statutaire sous-jacent.

Comment saurait-il en être autrement, d'ailleurs, alors que, hormis les textes précités, les associés sont libres d'organiser la société à leur gré, avec toutes les chausse-trappes que l'utilisation débridée de cette liberté suppose, autant de pièges pour les associés que pour les tiers. En l'espèce, le pacte social de la SAS qui fournissait un cadre au litige, présentait des caractéristiques de fonctionnement qui semblaient rendre inévitable l'intervention du juge, ne serait-ce qu'en raison des risques de blocage qu'il portait en germe. Le fonctionnement de ses organes, limité par l'égalité stricte des votes (sans voix prépondérante) et de la représentation paritaire des deux associés au conseil d'administration, aurait de facto, compte tenu des dissensions relevées entre les deux associés, conduit à une paralysie de la société.

Ces considérations, toutefois, n'ont pu orienter, nous semble-t-il, le raisonnement du juge du droit. En dehors de leur caractère purement factuel que la Cour régulatrice ne saurait même examiner, il apparaît, en effet, que la substitution de motif, d'une part, et la publication très large de l'arrêt (P+B+I+R), d'autre part, attestent du souhait de la Chambre commerciale de donner une solution pérenne au problème des nullités dans les SAS.

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