Réf. : Avis CCNE, n° 110, du 6 mai 2010, Problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui (GPA) (N° Lexbase : X7309AGS)
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
le 07 Octobre 2010
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le régime juridique applicable, aujourd'hui, à la gestation pour autrui ?
Claire Legras : Les premières initiatives organisées de maternité de substitution sont apparues en France dans les années 1980, à une époque où on ne pratiquait pas la fécondation in vitro. Elles ont été organisées à la suite de la création de deux associations mettant en relation des couples infertiles et des femmes susceptibles, après insémination par le sperme du conjoint, de mener à bien la grossesse et de remettre l'enfant à sa naissance. Dans ce qu'il est à présent convenu d'appeler la procréation pour autrui, la mère porteuse était donc à la fois génitrice et gestatrice et la mise en oeuvre de la technique ne nécessitait pas d'intervention médicale. Ces associations ont été interdites (Cass. civ 1, 13 décembre 1989, n° 88-15.655 N° Lexbase : A7586AHG), sans que cette interdiction mette fin à des arrangements clandestins entre des couples et des femmes porteuses. La pratique a toutefois été fortement remise en cause par un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 31 mai 1991 (Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105 N° Lexbase : A7573AHX), qui a jugé que la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes et en a déduit que l'adoption d'un enfant né d'une mère porteuse par l'épouse du père biologique ne pouvait être prononcée, car elle constituerait un détournement de l'institution. Le législateur de 1994 a, ensuite, sanctionné pénalement le fait de s'entremettre entre un couple désireux d'accueillir un enfant et une mère porteuse (C. pén., art. 227-12 N° Lexbase : L1787AM7). Il a, en outre, déclaré la nullité de toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui (C. civ., art. 16-7 N° Lexbase : L1695ABE). En 2004, la question n'a pas fait l'objet de débats lors des travaux qui ont abouti à la loi du 6 août 2004. On pouvait alors avoir le sentiment que la prohibition, qui englobait toutes les formes de gestation ou de procréation pour autrui, correspondait en France à un consensus.
Lexbase : La question de la légalisation de la GPA revient de manière récurrente ces derniers temps. Selon vous, quelles sont les raisons de cette résurgence ?
Claire Legras : D'un point de vue juridique, l'on pourrait dire que cela coïncide avec l'approche imminente de la révision des lois de bioéthique.
De plus, comme l'a souligné le Comité dans son avis n° 105, on constate au sein de la société une exigence croissante d'autonomie, notamment au regard des choix de vie des individus.
Cette résurgence peut également trouver une explication dans une perspective médicale, par la faculté qu'elle offre à des couples infertiles d'obtenir des enfants issus de leurs propres gamètes en combinant la GPA avec une fécondation in vitro. Il existe, en effet, une demande spécifique de la part de femmes et de couples dont l'infertilité est liée à une malformation congénitale, à une intervention chirurgicale consécutive à un cancer ou à une hémorragie de la délivrance ou à une exposition in utero au diéthylstilbestrol.
Enfin, le contexte international n'est pas indifférent à cette résurgence.
En Europe, la gestation pour autrui, interdite en Allemagne, Autriche, Italie, Suisse et Espagne, est tolérée en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas et expressément réglementée en Grande-Bretagne et en Grèce. En outre, la liberté de circulation, jointe au développement d'un "baby business", permet à des couples français d'obtenir dans certains Etats des Etats-Unis mais aussi dans des pays comme l'Ukraine ou l'Inde, où des cliniques spécialisées fonctionnent au profit des étrangers, une fécondation in vitro suivie d'une GPA. Lorsque ces couples reviennent en France avec des enfants ainsi conçus, de délicats problèmes se posent pour établir la filiation de ceux-ci.
Lexbase : Quels arguments plaident en faveur du maintien actuel de la législation ?
Claire Legras : Une première série d'arguments procède de ce que la GPA pourrait mettre fin à la place de la grossesse et de l'accouchement en tant qu'élément prépondérant du lien maternel tissé avec l'enfant à naître dans toutes les formes de procréation assistée.
Cet effacement ou cette négation de l'influence de la grossesse et des relations entre la mère et l'enfant sur le devenir de celui-ci font redouter des conséquences dommageables pour ce dernier et pour les parents d'intention : si le premier, attendu et espéré par les seconds qui sont de plus ses géniteurs, n'est pas à proprement parler abandonné, on peut néanmoins s'interroger sur ce qui peut persister en lui de cette période de gestation. Il en est de même de l'intérêt de la gestatrice, prise entre deux écueils, d'une part, celui de vivre pleinement sa grossesse avec une probabilité d'attachement à l'enfant et de séparation douloureuse de celui-ci dès l'accouchement et, d'autre part, celui de devoir se forcer à un détachement dès le début de la grossesse, processus hasardeux dont on ne connaît pas toutes les conséquences sur son psychisme ou celui de l'enfant. Pour cette femme, l'accouchement sera simplement une fin et non un commencement.
Une deuxième série d'arguments a trait aux risques physiques qu'entraînent pour la gestatrice la grossesse et l'accouchement, acceptés pour satisfaire non son propre désir d'enfant mais celui d'autrui. Le droit français n'admet à cet égard les atteintes à l'intégrité physique au bénéfice d'autrui qu'à titre exceptionnel et pour des raisons d'ordre thérapeutique. C'est notamment le cas des dons d'organes à partir de donneurs vivants. Or les risques médicaux, y compris vitaux, encourus par la femme enceinte et l'enfant lors de la GPA sont réels et ont été rappelés de manière exhaustive par l'Académie de médecine (grossesses multiples et risque de prématurité, etc.). Comment s'établirait, alors la responsabilité respective des différentes parties en présence ?
Aux risques médicaux s'ajoute le risque d'instrumentalisation et de marchandisation de la personne inhérent à la GPA. La perspective d'une indemnisation, fût-elle raisonnable et contrôlée, qui peut constituer une incitation financière, à l'instar de celle qui est accordée aux "volontaires sains" dans le cadre de la recherche biomédicale, ne rend-elle pas illusoire la liberté du consentement et ne risque-t-elle pas de faire de l'enfant un objet de commerce ? Et même si elle le fait gratuitement, la femme qui dispose de sa capacité gestationnelle au profit d'une autre ne devient-elle pas une sorte d'outil de production ?
Lexbase : Et à l'inverse, quels arguments plaident en faveur d'une légalisation de la GPA ?
Claire Legras : Ces arguments sont tout d'abord tirés de la solidarité à laquelle est appelée la société vis-à-vis des femmes atteintes de formes irrémédiables et non curables d'infertilité. La GPA apparaît comme une solution à un problème physique et psychique douloureux. L'infertilité d'origine utérine est souvent perçue comme d'une particulière injustice.
A cet égard, la GPA s'insère notamment dans la logique de la prise en charge de l'infertilité après un traitement pour le cancer. La légalisation partielle de la GPA, en donnant à des couples un cadre autorisé et sécurisé pour une GPA, serait de nature à limiter les pratiques clandestines, qu'il s'agisse de la procréation pour autrui par insémination non médicalisée de la gestatrice, ou du recours à des pays étrangers accueillants où précisément cette pratique s'est construite sur l'exploitation des femmes les plus défavorisées. Quant aux risques pour les différents protagonistes, s'ils ne peuvent être niés, il est utile de mieux les connaître pour mieux les maîtriser.
Sur le plan des principes, les tenants d'une libéralisation sous conditions de la GPA opposent volontiers au respect de la dignité de la personne humaine celui de la liberté individuelle, qui est elle aussi reconnue par la Constitution, et doit être présumée, y compris chez les femmes volontaires pour porter l'enfant d'autrui, en l'absence de preuve d'une contrainte d'ordre psychologique ou économique. L'existence de motivations altruistes leur paraît une réalité, comme elle l'est pour d'autres dons d'éléments et produits du corps humain.
Ces raisons suggèrent aux tenants d'une libéralisation que l'on pourrait donc être favorable à ce qu'une légalisation limitée de la GPA intervienne, dans le cadre de la médecine de la reproduction et non en tant que demande sociale, sous le contrôle de comités spécialisés, comme cela fonctionne pour le diagnostic prénatal ou les dons intra-familiaux d'organes entre donneurs vivants qui ne donnent lieu à aucune dérive. Cependant, les partisans de cette légalisation souhaitent, compte tenu de l'encadrement strict nécessaire à la bonne pratique technique et éthique de ce procédé de PMA, qu'elle ne soit établie que pour une autorisation au cas par cas.
Lexbase : Au final, le CCNE s'est prononcé en faveur du maintien du régime actuel. Quels sont les critères sur lesquels le comité s'est appuyé ?
Claire Legras : Le Comité a relevé un certain nombre de difficultés d'ordre éthique.
Tout d'abord, il est évident qu'une loi n'empêchera pas les risques qu'elle vise à prévenir.
En effet, quel que soit le cadre législatif qui serait susceptible d'être adopté, et aussi sérieux que soit le choix des gestatrices, ni les accidents médicaux ni les inconvénients d'ordre physiologique ne pourraient leur être totalement évités. En outre, la volonté du législateur de limiter à une juste indemnisation les transferts d'argent ne saurait faire obstacle à des pratiques clandestines.
Ainsi, pour le Comité, ce sont ces dérives inhérentes à la GPA qui conduisent à des réserves sur sa légalisation et non la non-reconnaissance du souhait d'un couple d'avoir un enfant qui soit génétiquement le sien.
Ensuite, la GPA ne peut être éthiquement acceptable du seul fait qu'elle s'inscrirait dans un cadre médical. A cet égard, le Comité rappelle qu'il a souligné, dans son avis n° 105, que si les principes fondateurs de la législation relative à la biomédecine, notamment la dignité de la personne humaine, la primauté de l'intérêt de l'enfant et la non-commercialité du corps, sont assortis d'exceptions, celles-ci ne peuvent être trop importantes ni permanentes, sauf à ce que ces principes se vident de leur substance.
Par ailleurs, la mise en oeuvre d'éventuelles règles juridiques relatives à la GPA pose des problèmes difficilement solubles au regard de la préservation de l'intérêt des personnes. Le rôle premier du droit est d'organiser les rapports sociaux en protégeant et en conciliant les intérêts en présence. La GPA faisant intervenir au moins trois catégories de personnes, la gestatrice, le couple d'intention et l'enfant, cette conciliation s'avère particulièrement ardue. Toute légalisation, même partielle devrait en effet s'accompagner de dispositions visant à sécuriser la filiation de l'enfant issu de la GPA, qui ne peut être réglée par la seule application des dispositions édictées pour les besoins de l'assistance médicale à la procréation et qui n'ont pour objet que l'établissement de la paternité en cas de recours aux gamètes d'un tiers ou d'accueil d'embryon.
De plus, la GPA pourrait porter atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou à l'image symbolique des femmes.
Le comité relève également que des incertitudes demeurent quant à l'avenir de l'enfant issu de la GPA. Le comité estime problématique de se prononcer en faveur de conditions très particulières de venue au monde, que la plupart des individus hésiteraient à mettre en oeuvre pour eux-mêmes.
Enfin, et non des moindres, la revendication de la légalisation de la GPA procède d'une conception contestable de l'égalité devant la loi. Il est certain que le développement des techniques d'assistance médicale à la procréation et, notamment, la légalisation du recours aux gamètes d'un tiers donneur, peut donner le sentiment d'un engagement collectif à surmonter toutes les formes de stérilité qu'il conviendrait de compléter pour répondre à la situation des femmes qui ne peuvent porter un enfant.
Mais, le Comité estime aussi qu'il faut se garder d'accréditer l'idée que toute injustice, y compris physiologique, met en cause l'égalité devant la loi. Même si la détresse des femmes stériles suscite un sentiment d'émotion ou de révolte, elle ne saurait imposer à la société d'organiser l'égalisation par la correction de conditions compromises par la nature. Une telle conception conduirait à sommer la collectivité d'intervenir sans limites pour restaurer la justice au nom de l'égalité et correspond à l'affirmation d'un droit à l'enfant, alors que le désir ou le besoin d'enfant ne peut conduire à la reconnaissance d'un tel droit.
(1) En dernier lieu, CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 18 mars 2010, n° 09/11017, Ministère Public c/ M. Dominique M. (N° Lexbase : A0819EUU) et les observations de A. Gouttenoire, Filiation d'enfants nées d'une mère porteuse : parents aux Etats-Unis mais pas en France..., Lexbase Hebdo n° 389 du 1er avril 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N7217BNM). Pour les épisodes précédents : CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 octobre 2007, n° 06/00507, Ministère public c/ M. M. (N° Lexbase : A4624DZB) et lire les obs. de N. Baillon-Wirtz, L'intérêt supérieur de l'enfant et la maternité pour autrui, Lexbase Hebdo n° 286 du 20 décembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5577BDW) ; Cass. civ. 1, 17 décembre 2008, n° 07-20.468, Procureur général près la cour d'appel de Paris, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8646EBT) et les obs. de A. Gouttenoire, Mère porteuse : la Cour de cassation soutient l'action du ministère public, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N2211BIQ).
(2) Loi n° 2004-800 du 6 août 2004, relative à la bioéthique (N° Lexbase : L0721GTU), et les obs. de A.-L. Blouet Patin, Révision de la loi de bioéthique : les points qui font débat, Lexbase Hebdo n° 349 du 7 mai 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0586BKW).
(3) Avis n° 3 du 23 octobre 1994, sur les problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle.
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