Réf. : Rapport Lambert du 7 décembre 2007
Lecture: 11 min
N8027BDN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
le 07 Octobre 2010
Les symptômes sont clairement mis en évidence par le rapport : une comitologie nationale, régionale et départementale foisonnante ; des pertes de temps considérables, avant la décision comme dans la mise en oeuvre, ralentissant ainsi l'action publique ; une inflation de la dépense publique liée autant aux doublons de structure (lesquels n'ont encore jamais été systématiquement inventoriés et chiffrés), qu'à la contractualisation qui n'est pas, contrairement à une idée répandue, un régulateur de la dépense ; une confusion des responsabilités qui handicape la relation du citoyen contribuable - usager du service public avec ses élus, locaux et nationaux.
En annexe une liste pertinente de 21 rapports, tous récents (4), illustre un diagnostic incontesté : la complexité de la situation actuelle, l'enchevêtrement des compétences ne peuvent perdurer sans rendre l'action publique inefficace et dispendieuse. Ainsi, dans la mesure où la plupart des politiques publiques nécessitent des interventions et des financements provenant à la fois des collectivités locales, de l'Etat, ou même d'autres organismes publics, le rapport insiste sur la nécessité de clarifier leurs compétences respectives. Pour Alain Lambert, "le cadre posé en 1982-1983 et revisité en 2003-2004 n'est plus adapté", mais plus que de nouvelles délégations de compétences, c'est de rationalisation dont parle le rapport. Il s'agit de recréer de la confiance et de la responsabilité dans la relation entre l'Etat et les collectivités locales, sans toucher aux institutions.
Sur les compétences des différentes collectivités, trois pistes majeures se dégagent : un partage entre départements et régions ; une rationalisation de l'échelon communal autour d'une intercommunalité puissante mais toujours contrôlée par les communes ; une clarification des missions et de l'organisation de l'Etat territorial (services déconcentrés). Le rapport propose de créer un seul responsable à l'échelon départemental et régional. Celui-ci stigmatise ainsi le fait que les services déconcentrés doublonnent ceux des collectivités territoriales, et suggère qu'ils soient plutôt redéployés sur des missions spécifiques de contrôle et d'évaluation.
Le rapport Lambert s'est aussi penché sur la prolifération des normes techniques, qui contraignent les collectivités locales. Les qualifiant d'"excessives et parfois incohérentes", le rapport propose la consultation des collectivités sur cette production réglementaire. Il estime même que "l'engagement de l'Etat à contrôler les normes en y associant les collectivités peut être tenu dès 2008 et offrir rapidement de nouvelles marges de manoeuvre". Un organisme ad hoc pourrait être mis sur pied, associant des représentants de chaque niveau de collectivité, qui examinerait non seulement les normes nouvelles, mais aussi le stock des normes existantes.
Dernier sujet crucial, enfin : la clarification des relations financières des collectivités avec l'Etat. "L'engagement des collectivités dans la maîtrise de leurs dépenses oblige l'Etat à une double contrepartie : renoncer aux transferts rampants' et engager avec elles la réforme tant attendue des impôts locaux", estime Alain Lambert. Le Gouvernement a promis qu'il entamerait cette réforme au printemps. Les trois associations (maires, départements et régions) se sont mises d'accord, cet automne, sur un texte de propositions communes (5).
Il convient ainsi de voir, en première partie, ce qui marque cette volonté de rationalisation du partage de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales (I) ; cette volonté de rationalisation se manifestant aussi, alors, dans l'enchevêtrement des normes et les relations financières (II).
I Une volonté de rationalisation du partage des compétences
A Une clarification des compétences des collectivités territoriales
S'agissant de l'objectif de clarification des compétences, le rapport propose, tout d'abord, deux options : la première vise à "clarifier les compétences sur les politiques d'ores et déjà identifiées par le législateur" (6). Le rapport pose, ainsi, la question d'un regroupement de la responsabilité des collèges et lycées aux départements. Dans un tout autre domaine, le rapport préconise, par exemple, que "les grandes villes et leur intercommunalité exercent les compétences du département en matière d'action sociale".
La seconde, plus ambitieuse, vise à "confier aux départements et aux régions des compétences spéciales à la place de la clause générale de compétence". Au lieu de régler les "affaires de leur compétence" sans qu'une définition précise et limitative en existe (7), les deux collectivités n'interviendraient que dans des secteurs limités. En contrepartie, leurs attributions propres seraient prescriptives, c'est-à-dire opposables à chacun des autres acteurs publics. Une "mini - révolution" qui a suscité des réserves de la part de l'Association des départements de France, bien que favorable au caractère prescriptif des schémas départementaux ; l'Association des régions de France se montrant, pour sa part, favorable à l'attribution de compétences spéciales et prescriptives, notamment en matière d'action économique et de service public de l'emploi. Une expérimentation en ce sens pourrait être lancée dans deux ou trois régions avant, éventuellement, d'introduire cette option dans une loi organique. Le but étant, toujours selon les propos d'Alain Lambert, "d'affirmer un couple département - région à côté du couple commune intercommunalité".
Le rapport estime, en outre, que la mutualisation des services communaux et intercommunaux est devenue une nécessité. Elle serait accompagnée d'une modulation de dotations communales et intercommunales "pour encourager ce mouvement au moyen d'un coefficient d'intégration budgétaire avant de globaliser les concours de l'Etat dans une dotation globale de fonctionnement (DGF) territoriale unique, de façon expérimentale avec les collectivités territoriales volontaires".
Parallèlement, le rapport préconise de renforcer la légitimité démocratique des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en prévoyant "que le suffrage universel puisse se prononcer en 2014 et que soit instituée une double désignation des conseillers municipaux et intercommunaux (en tenant compte du mode de scrutin particulier des petites communes)". Le groupe de travail s'est interrogé, en revanche, sur l'élection du Président de l'exécutif intercommunal au suffrage universel "qui serait un cas unique et ne garantirait en rien l'existence d'une majorité, puisqu'il serait créé deux légitimités : celle du Président et celle des délégués communaux".
B Une clarification des missions et de l'organisation de l'Etat territorial
Le rapport de M. Alain Lambert recommande, par ailleurs, une clarification des missions et de l'organisation de l'Etat territorial, séparant clairement ses fonctions d'arbitrage et de contrôle et ses fonctions d'impulsion et d'intervention. A ce sujet, le rapport insiste sur la nécessité de maintenir le contrôle de légalité, lequel "protège les élus et tempère la judiciarisation de l'action publique". Il faudrait poursuivre son allègement et sa modernisation pour tendre vers un contrôle de légalité qui conseille plus que ne sanctionne les maires ou, comme le souligne le rapport, vers un Etat développant ses fonctions de conseil ou assurant la pédagogie de la loi nouvelle.
En droit, l'Etat reste compétent pour tout : ni la Constitution, ni la loi ne listent ses compétences, sauf a contrario de celles qu'il a confiées par la loi aux collectivités locales. Comme le note le rapport, "l'Etat conserve souvent beaucoup plus qu'un simple rôle normatif ou de contrôle et maintient des structures ou des dispositifs d'intervention dans les champs décentralisés et conçoit ou annonce des mesures qui seront appliquées par les collectivités".
Pour clarifier les responsabilités de l'Etat au niveau local, le rapport propose de créer "un seul responsable à l'échelon départemental et régional". Celui-ci stigmatise ainsi le fait que les services déconcentrés doublonnent ceux des collectivités territoriales, et suggère qu'ils soient plutôt redéployés sur des missions spécifiques de contrôle et d'évaluation.
Face à l'absence de réponse des collectivités, le rapport préconise également une "déconcentration maximale des responsabilités d'exécution des textes nationaux et des directives ministérielles".
Enfin, si l'abstention pourrait être la règle dans les politiques que le législateur a clairement confiées aux collectivités "en revanche, il est des politiques publiques qui exigent une action forte de l'Etat au plan local pour impulser et coordonner" (transports, environnement...).
II Une volonté de rationalisation de l'enchevêtrement des normes et des relations financières
A L'allègement des contraintes normatives produites par l'Etat
Il s'agit des normes techniques mais également législatives et réglementaires, aujourd'hui "excessives et parfois incohérentes". Plusieurs propositions et recommandations sont avancées : les collectivités locales seraient consultées sur la production réglementaire de l'Etat, qui ferait obligatoirement l'objet d'une évaluation préalable de l'impact des normes envisagées sur les collectivités territoriales, celles-ci disposant de marge de manoeuvre pour adapter les dispositions au niveau légal.
Un organe ad hoc, la Commission consultative d'évaluation des normes, placée au sein du Comité des finances locales, serait mis en place avec pour mission de procéder à une révision générale des normes obligatoires et de donner à cette fin un "tableau de bord des normes obligatoires". Celui-ci inclurait un calendrier prospectif sur les délais de mise en oeuvre et l'étalement des coûts associés dans le but, en particulier, d'éviter les superpositions des normes et de respecter les périodes minimales d'amortissement des normes successives.
Cette commission, qui réunirait en son sein les représentants de chaque niveau de collectivités, serait également chargée "de donner un avis sur les propositions de textes communautaires sous l'angle de leur impact technique et financier sur les collectivités locales".
Par ailleurs, le rapport recommande de mieux associer les collectivités aux processus de décisions communautaires au sein du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), et de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.
Enfin, dans l'attente de la mise en oeuvre de ces mesures en 2008, le groupe de travail recommande au gouvernement un "moratoire de l'édiction de normes réglementaires concernant les collectivités locales".
B La clarification des relations financières
Le rapport souligne une forte augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales depuis 1980 (8) alors que, dans le même temps, la part de l'investissement baisse (9). Les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté, ainsi que la rémunération moyenne des agents.
Le rapport reconnaît une "responsabilité partagée en la matière". Le transfert de compétences de la part de l'Etat est relativement coûteux, faute de transfert suffisant des personnels de l'Etat et de leur savoir-faire. L'augmentation des dépenses de fonctionnement est aussi due, en partie, aux normes et interventions législatives de l'Etat (10). L'Etat lance également des appels à participation qui conduisent les collectivités territoriales à financer des équipements et des actions hors de leurs compétences, même si les collectivités territoriales, entre elles, recourent aussi abondamment aux appels à projet et aux subventions des niveaux inférieurs de collectivités de façon discrétionnaire. Néanmoins, le rapport insiste sur le fait que "la structure actuelle des relations financières Etat - collectivités locales ne favorise par la maîtrise de la dépense locale", et sur le fait que la marge de manoeuvre des collectivités, en terme de fiscalité, s'amoindrit.
Le rapport, dont l'objectif est de faciliter et de garantir une maîtrise des finances locales, propose alors plusieurs pistes : d'abord, instaurer une "approche globale de la dépense publique", en faisant participer les élus locaux aux décisions qui engagent la dépense publique globale et en leur faisant prendre part à la maîtrise des dépenses. Cependant, pour les élus locaux "cette démarche doit rester volontaire et non imposée, sauf à remettre en cause le principe de libre administration".
Ensuite, mettre en place des outils qui permettent aux collectivités de maîtriser leurs dépenses. Le rapport fait apparaître que si les élus sont d'accord pour mettre en place un certain nombre d'outils, tels que la mutualisation des services ou des outils d'amélioration de la gestion, "le principe d'un objectif chiffré d'évolution des dépenses, même indicatif et assorti d'un retour des économies réalisées par un bonus sur la DGF, est rejeté par les représentants des collectivités locales".
Constatant la réduction durable de l'indexation des concours de l'Etat, telle qu'annoncée par le projet de loi de finances 2008, le rapport estime qu'elle doit s'accompagner "d'une redéfinition pluri - annuelle du contrat et d'une meilleure répartition des concours de l'Etat".
Enfin, le rapport met l'accent sur la piste de la responsabilisation fiscale, à charge pour les collectivités d'"arbitrer sur les dépenses à raison de la pression fiscale qu'elles souhaitent ou non exercer sur les contribuables".
Ainsi, note le rapport en conclusion "se dessinent les pistes d'un double compromis sur les dépenses et sur les ressources" : les collectivités locales seraient prêtes à une maîtrise de leurs dépenses si l'Etat mettait fin aux transferts "rampants" et parvenait à diminuer les normes ; si le contrat de stabilité doit durablement évoluer comme l'inflation, la fiscalité locale (sujet qui n'entrait pas dans la mission du groupe de travail) doit être réformée en même temps. Ce double compromis peut être traduit en décisions concrètes après concertation étroite à la fin du premier semestre 2008.
(1) Ancien ministre délégué au Budget et à la Réforme budgétaire, sénateur UMP de l'Orne.
(2) La révision générale des politiques publiques (RGPP) constitue une démarche radicalement nouvelle dans la manière d'appréhender la réforme de l'Etat. Cette révision est fondée sur un diagnostic complet et sans précédent par son ampleur : c'est la première fois que toutes les politiques publiques sont simultanément remises à plat.
(3) L'occasion est donnée d'exprimer sans tabou les dysfonctionnements, d'identifier les idées novatrices, d'activer tous les leviers de modernisation : la simplification des démarches et du droit, l'utilisation des nouvelles technologies, la réorganisation des structures et la redéfinition des missions de l'Etat.
(4) L'objectif est triple : améliorer la qualité des services publics et favoriser leur adaptation aux exigences de la société du XXIème siècle, permettre le retour à l'équilibre des finances publiques au plus tard en 2012 et, enfin, mieux valoriser le travail des fonctionnaires.
(5) Le groupe de travail, constitué autour de l'ancien ministre délégué au Budget, a associé les trois grandes associations d'élus locaux (l'Association des maires de France, l'Association des départements de France et l'Association des régions de France), les principaux directeurs d'administration centrale et des personnalités qualifiées.
(6) Consacrés au sujet et quatre schémas sur les relations Etat - collectivités dans les domaines de l'action sociale et médico-sociale, de l'insertion socio-professionnelle, de la formation professionnelle, et des formations sanitaires et sociales et de l'enseignement scolaire et supérieur.
(7) Ces propositions seront discutées dans le cadre de la Conférence nationale des exécutifs, qui en fixera le programme et le rythme et qui réunit des représentants du Gouvernement et des associations d'élus (Association des maires de France, Assemblée des départements de France, Association des régions de France). Celle-ci se réunit deux à trois fois par an à l'initiative du Gouvernement, ou à la demande conjointe des trois présidents d'associations.
(8) Seraient concernés, la solidarité et l'action sociale, la formation professionnelle, l'action économique et le développement des entreprises, l'éducation et l'aménagement des territoires.
(9) Les collectivités peuvent intervenir, sous le contrôle du juge, dans tout domaine, sur la base de l'intérêt public local et dès lors que la compétence n'est pas dévolue par les textes à une autre personne publique.
(10) Surtout au sein du couple commune - intercommunalité.
(11) Est également souligné le poids croissant des transferts financiers de l'Etat vers les collectivités, et le fait que ce dernier se substitue de plus en plus au contribuable local sous forme de compensation d'exonérations fiscales.
(12) 35 heures, taux d'encadrement des centres de loisirs, droits opposables, développement des crèches...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:308027