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N6288BDA
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 01 Novembre 2013
Sans doute la solution était-elle prévisible puisque, par deux importants arrêts du 6 avril 2007, rendus contrairement à l'avis de l'avocat général Charpenel (2), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, répondant à la question de savoir si peut être opposée à la victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis, avait écarté toute présomption de causalité et refusé de considérer que la faute, en tant que telle indiscutable, soit nécessairement une faute causale. Dans les deux affaires, la Cour avait, en effet, approuvé les juges du fond d'avoir pu déduire des circonstances de l'accident l'absence de lien de causalité entre l'état d'alcoolémie de la victime et la réalisation de son dommage et ce, au moins dans l'une des deux espèces, en dépit d'un taux d'alcoolémie particulièrement élevé. Parce que, a-t-on dit, "il pouvait sembler difficile de décider a priori et de façon certaine que le dépassement du taux d'alcoolémie légalement autorisé soit la cause de l'accident et du dommage de la victime" (3). Il fallait se résoudre à admettre qu'une telle faute, parfois qualifiée de faute de comportement par opposition à la faute de conduite strito sensu (4), ne puisse pas être considérée comme une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation. Et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, c'est sans réelle surprise que la Chambre criminelle de la Cour de cassation refuse à présent de considérer que la faute consistant dans le fait de conduire sans permis puisse entraîner ipso facto une limitation ou une exclusion de l'indemnisation des dommages de la victime, le raisonnement appliqué à la conduite en état d'ébriété ou sous l'emprise de stupéfiants pouvant être transposé au cas du défaut de permis de conduire. Tout cela est, désormais, parfaitement connu.
Au plan technique, on fait le plus souvent valoir que seule la solution finalement retenue par la Cour de cassation respecterait l'exigence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage, alors que celle, un temps retenue par la jurisprudence, et aujourd'hui abandonnée (5), selon laquelle la faute consistant dans le fait de conduire sous l'emprise d'un état alcoolique ou de stupéfiants, ou bien encore sans permis de conduire, serait nécessairement "en relation avec le dommage", reposait sur un artifice conduisant à présumer l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage là où, en réalité, il n'en existait pas. On redira ne pas partager cette opinion. De fait, si l'on admet, ce qui n'est pas contestable, que la faute est d'avoir conduit, alors que précisément la loi interdisait de le faire, dans le cas de figure considéré, on concèdera donc que si la victime avait respecté l'interdiction, et n'avait pas commis de faute, elle ne se serait pas, par hypothèse, trouvée sur la route, et, donc, n'aurait pas subi de dommages, ce en quoi la faute nous parait tout de même bien causale. Par où l'on voit que le débat se ramène, du point de vue de la technique juridique, à l'appréciation, extensive ou restrictive, que l'on se fait du lien de causalité devant exister entre la faute et le dommage et, donc, au choix que l'on peut faire entre la théorie de l'équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate. Or, s'il est manifeste que la Cour de cassation, depuis les arrêts d'Assemblée plénière précités du 6 avril 2007, a entendu privilégier la théorie restrictive de la causalité adéquate, on regrette que la plupart des auteurs, commentant ces arrêts, aient fait valoir que cette solution était la seule juridiquement admissible, comme si le droit positif ne faisait aucune place ou ne pouvait accueillir la théorie de l'équivalence des conditions. Mais, bien au contraire, les décisions faisant la part belle à une approche souple de la causalité en recourant à la théorie de l'équivalence des conditions ne manquent pas, loin s'en faut, non seulement d'ailleurs, ce qui est somme toute assez classique, lorsqu'une faute peut être imputée au défendeur (6), mais aussi dans des hypothèses dans lesquelles la responsabilité est objective, y compris lorsqu'il est fait application d'un régime spécial de responsabilité objective comme en matière d'accidents de la circulation (7). On est d'ailleurs un peu étonné, pour tout dire, que Monsieur le Professeur Jourdain estime que la faute reprochée au conducteur victime ne peut pas être tenue, en tant que telle, comme causale, alors qu'il avait, lorsqu'il avait commenté le désormais "célébrissime" arrêt "Perruche" (8), assez nettement pris la défense de la Cour de cassation en considérant que la faute du médecin, qui avait empêché la mère d'avorter, était bien causale, quand bien même il serait évident que le handicap de l'enfant trouvait sa cause "immédiate" dans la maladie de la mère (9). Faut-il alors penser que le choix de la théorie de la causalité dépend exclusivement du point de savoir laquelle des deux théories permettra, au cas d'espèce, d'indemniser la victime ? C'est bien alors un choix politique qui commande la solution...
(1) Cass. crim., 27 novembre 2007, n° 07-81.585, Compagnie Monceau générale assurances, F-P+F (N° Lexbase : A0861D3B) et nos obs., Accidents de la circulation : le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale du dommage, Lexbase Hebdo n° 287 du 10 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N5925BDS).
(2) Ass. plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD), BICC 15 juin 2007, rapp. Gallet, avis Charpenel, JCP éd. G, 2007, II, 10078, note P. Jourdain.
(3) P. Jourdain, obs. RTDCiv. 2002, p. 829.
(4) X. Ridel, La faute de comportement du conducteur victime, Resp. civ. et assur. 2006, étude 3.
(5) Voir les références citées dans notre note précitée.
(6) Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, n° 92, p. 48.
(7) Voir, not., le tableau brossé par M. Bacache-Gibeili, Droit civil, Les obligations, La responsabilité civile extracontractuelle, n° 379 et s., p. 419 et s..
(8) Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701, M. X, ès qualités d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nicolas et autre c/ Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français et autres (N° Lexbase : A1704ATB), Bull. civ. n° 9.
(9) P. Jourdain, D. 2001, p. 332.
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