Réf. : Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-43.918, Société Logidis F-P+B (N° Lexbase : A1344D38) ; Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-43.801, Mme Mendez, FS-P+B (N° Lexbase : A1341D33).
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Pourvoi n° 06-43.918 : L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles, telles que des mutations ou des transformations de postes, justifiées par des considérations relatives, notamment, à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l'article L. 241-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6034ACH) ; le chef d'entreprise est, en cas de refus, tenu de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. Pourvoi n° 06-43.801 : Aux termes de l'article R. 231-56-11 du Code du travail (N° Lexbase : L1501DPB), un travailleur ne peut être affecté à des travaux l'exposant à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, que s'il a fait l'objet d'un examen préalable par le médecin du travail et si la fiche d'aptitude atteste qu'il ne présente pas de contre-indication médicale à ces travaux. Il en résulte que ne constitue pas une faute, le refus du salarié d'effectuer une tâche à l'accomplissement de laquelle il ne peut être affecté, dès lors que l'employeur n'a pas exécuté les obligations mises à sa charge pour assurer la protection de la santé au travail. |
Les juges viennent rappeler, dans une première espèce, que l'employeur ne peut, en aucun cas, exposer un salarié à des agents cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction sans examen préalable destiné à déceler l'absence de contre-indication aux travaux qu'il va être amené à exécuter.
Ils confirment, dans une seconde espèce, que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles que le médecin du travail est habilité à faire en application de l'article L. 241-10-1 du Code du travail.
Les solutions apportées ne peuvent qu'être approuvées.
1. Prévention des risques généraux
L'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur est le corollaire de l'obligation de sécurité de résultat mise à sa charge.
L'article L. 241-10-1 du Code du travail dispose que le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles, telles que des mutations ou des transformations de postes justifiées par des considérations relatives, notamment à l'âge, la résistance physique ou à l'état de santé physique et mental des travailleurs. Dans son second alinéa, cet article impose à l'employeur de prendre en considération ces propositions et de faire connaître en cas de refus les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.
Il est fait traditionnellement application de cette obligation de reclassement à des salariés malades ou concernés par un licenciement pour motif économique.
S'agissant d'un salarié malade, l'obligation de reclassement est traditionnellement consécutive à la déclaration d'inaptitude établie par le médecin du travail au moment du retour du salarié dans l'entreprise après un congé maladie. Il est, ainsi, de principe que l'employeur d'un salarié déclaré inapte est tenu de proposer au salarié un autre emploi compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'avis d'inaptitude et aussi comparable que possible à celui qu'il occupait auparavant (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.700, FS-P+B N° Lexbase : A0414DDP).
Au-delà de l'hypothèse du retour de congé maladie, cette obligation de reclassement trouve son prolongement au cours de l'exécution de la relation de travail, lorsque le médecin du travail vient à déclarer que le salarié n'est plus apte à effectuer les tâches pour lesquelles il a été embauché et ce, quel que soit le degré d'inaptitude relevé.
Il appartient, dans ce cas, à l'employeur de prendre en considération l'avis émis par le médecin et, partant, de rechercher un poste compatible avec les nouvelles possibilités du salarié. L'employeur qui ne peut, ou ne veut, pas prendre en considération l'avis du médecin du travail doit motiver sa décision. S'il ne le fait pas, ou s'il ne peut pas le faire, il doit faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il donne suite à l'avis émis. Il faut, néanmoins, savoir que, pour que la décision de l'employeur de ne pas donner suite soit considérée comme légitime, l'employeur doit avoir épuisé toutes les possibilités de reclassement, notamment, lorsqu'il entend rompre le contrat de travail.
Tel n'était pas le cas dans la décision commentée.
Dans cette espèce, un salarié, engagé en tant que préparateur de commandes, s'était vu notifier, à deux reprises, des reproches en raison de sa faible productivité suivis d'un avertissement le 17 décembre 2002, avant d'être déclaré inapte à tout poste avec manutention par le médecin du travail.
Après avoir été licencié, il avait saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant, notamment, à l'annulation de cet avertissement et au paiement de dommages et intérêts.
La cour d'appel avait accueilli les demandes du salarié, ce que vient confirmer la Cour de cassation.
Relevant que le médecin du travail avait émis à plusieurs reprises des réserves sur l'aptitude du salarié à exécuter les tâches pour lesquelles il avait été recruté, la Cour souligne que ces réserves étaient de nature à expliquer l'insuffisance de résultats reprochée au salarié, que l'employeur ne pouvait, en conséquence, ignorer ces difficultés, et lui reproche de ne pas avoir cherché à fournir au salarié un poste compatible avec les recommandations du médecin du travail.
Cette solution semble en tous points justifiée. Le contenu de l'avis du médecin du travail laisse, néanmoins, entrevoir un nouveau renforcement de l'obligation de reclassement de l'employeur. L'avis rendu, sur lequel se fondent les juges pour reprocher à l'employeur le non-respect de son obligation de reclassement, prescrivait "quand possibilité un changement de poste avec moins de manutention serait préférable". Cette mention accompagnait un avis d'aptitude, alors, qu'en principe, l'obligation de reclassement est la suite logique d'un avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail.
Peut-on reprocher à un employeur de ne pas avoir reclassé un salarié déclaré apte avec une petite réserve ?
Il semble que non. L'article L. 241-10-1 du Code du travail dispose, en effet, que "le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par [...]". Le législateur n'a aucunement limité l'intervention du médecin du travail à l'hypothèse de l'inaptitude du salarié. Si le reclassement du salarié inapte va de soi, le reclassement d'un salarié apte, mais présentant des difficultés pour assurer convenablement son emploi, est tout aussi important. La protection doit donc s'entendre le plus largement possible.
Cette obligation générale de sécurité est assortie d'autres obligations spéciales attachées à des risques spéciaux qui en sont le prolongement et sont destinées à garantir au mieux la protection du salarié, comme la protection offerte aux salariés exposés à des matières dangereuses.
2. Prévention des risques particuliers
Le législateur est venu réglementer l'utilisation de substances dangereuses par les salariés à l'occasion de leur travail. Le Code du travail consacre, dans sa partie réglementaire une section V (titre III, chapitre I) à la prévention du risque chimique (C. trav., art. R. 231-51 N° Lexbase : L4200GTQ et suivants). Parmi ces risques chimiques, figure l'exposition aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (C. trav., art. R. 231-56 N° Lexbase : L0628HPX et suivants).
Outre la détermination des agents cancérogènes (C. trav., art. R. 231-56), l'étude imposée à l'employeur sur la nature, la durée et le degré de l'exposition (C. trav., art. R 231-56-1 N° Lexbase : L1502DPC), préalablement à toute exposition de ses salariés, l'obligation d'informer les salariés sur les risques d'une exposition normale et anormale (C. trav., art. R. 231-56-5 N° Lexbase : L8937DNC), le législateur vient imposer à l'employeur de faire passer aux salariés susceptibles d'être exposés à des agents cancérogènes et assimilés, un examen préalable destiné à déceler la présence de contre indications à la réalisation des travaux prescrits.
L'article R. 231-56-11 du Code du travail (N° Lexbase : L1501DPB) dispose, à cet effet, qu'"un travailleur ne peut être affecté à des travaux l'exposant à un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction que s'il a fait l'objet d'un examen préalable par le médecin du travail et si la fiche d'aptitude établie en application de l'article R. 241-57 du même code (N° Lexbase : L9936ACY) atteste qu'il ne présente par de contre-indication médicale à ces travaux". Cette visite doit être effectuée, et, partant, la fiche d'aptitude être délivrée, non seulement avant l'exposition du travailleur, mais, aussi, au moins une fois par an.
Cette obligation s'impose à l'employeur. Il s'agit d'une obligation positive, d'ordre public, comme vient le rappeler la Cour de cassation aux juges du fonds.
Ces derniers, pour juger que le licenciement du salarié était fondé sur une cause réelle et sérieuse, avaient retenu que le salarié n'avait à aucun moment exercé son droit de retrait et ne s'était pas prévalu d'une situation de travail dont il aurait un motif légitime de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ; par voie de conséquence, le salarié ne pouvait, sans faute, refuser d'exécuter des travaux impliquant la manipulation de produits cytostatiques.
Comme le souligne justement la Cour de cassation, la fiche d'aptitude délivrée par le médecin du travail ne comportait aucune mention relative à l'absence de contre-indication aux travaux exposant la salariée à un agent mutagène, cancérogène, ou toxique pour la reproduction, ce dont il résultait que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de sécurité ; le salarié pouvait donc, en l'absence d'examen, légitimement refuser le travail demandé.
Cette décision est parfaitement justifiée. Tout dans la lettre comme dans l'esprit de l'article L. 231-56-11 du Code du travail prescrit de retenir une telle solution. L'objet général de cette disposition : la prévention (CE, 1° et 2° s-s-r., 9 octobre 2002, n° 231869, Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés N° Lexbase : A2888A3D) ; le verbe et le temps employés ("[...] ne peut être affecté à des travaux [...]") et le caractère impératif qui en découle, prescrivent l'examen du salarié susceptible d'être exposé à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
Il ne pouvait donc en être autrement, ce dont il faut se féliciter.
Décisions
- Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-43.918, Société Logidis, F-P+B (N° Lexbase : A1344D38) - Cassation partielle sans renvoi de CA Montpellier, 19 octobre 2005 - Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-43.801, Mme Mendez, FS-P+B (N° Lexbase : A1341D33) - Rejet de CA Toulouse, 4ème chambre, section 2, 12 mai 2006 Mots clefs : salarié déclaré partiellement inapte ; obligation de reclassement de l'employeur ; étendue de l'obligation de reclassement ; réserves du médecin du travail ; obligation pour l'employeur de les prendre immédiatement en considération ; salarié exposé à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ; obligation de l'employeur de faire passer au salarié un examen médical destiné à apprécier l'absence de contre indication à l'exposition. Liens base : et |
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