Réf. : Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-44.548, M. Jean Daniel Torcheux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1360D3R)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile, si bien que le Premier président de la cour d'appel saisie ne peut ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement. |
1. Les spécificités de l'arrêt de l'exécution provisoire de droit en matière prud'homale
Si, en principe, l'exécution d'un jugement intervient dès le moment où il est passé en force de chose jugée, cette exécution peut être anticipée grâce au mécanisme de l'exécution provisoire. Cette technique permet, notamment, de faire échec au principe de l'effet suspensif de l'appel, en raison duquel une décision de première instance n'est habituellement pas exécutée, dès lors qu'une voie de recours a été intentée par la partie déboutée.
Il existe deux types d'exécution provisoire. La première, à l'initiative du juge, est facultative. Elle est, en général, prononcée "à la condition que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire" (1). La seconde, qui nous intéresse plus particulièrement dans cette espèce, est obligatoire et prévue spécialement par le législateur. Il s'agit de l'exécution provisoire de droit qui concerne certaines décisions qui, par leur nature, nécessitent d'obtenir une exécution immédiate. Ainsi en va-t-il, par exemple, des ordonnances de référé, des décisions ordonnant des mesures conservatoires ou accordant une provision à un créancier (2).
Mais l'exécution provisoire de droit est, également, accordée par le législateur pour des décisions dont il estime qu'elles méritent d'être exécutées immédiatement. Dans ce domaine, à côté de décisions relatives aux procédures collectives (3) ou au droit de la Sécurité sociale (4), les décisions prud'homales tiennent une place de choix. En effet, le Code du travail prévoit que certaines décisions du bureau de conciliation, mais, surtout, de nombreuses décisions du bureau de jugement, sont soumises à l'exécution provisoire de droit (5). Cela est, notamment, le cas des "jugements qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités [...] dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire". On explique, en général, cette règle par le caractère alimentaire que revêtent les sommes concernées (6).
Du fait de l'ampleur du contentieux prud'homal et de la fréquence des demandes relatives aux salaires, il n'était donc pas étonnant que la question de l'arrêt de l'exécution provisoire de droit se pose rapidement à la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Le mécanisme de l'exécution provisoire n'est, pourtant, pas absolu. Ainsi, l'article 524 du Nouveau Code de procédure civile prévoit, depuis longtemps, des recours contre un tel effet revêtu par le jugement de première instance. Cette compétence revient le plus souvent au Premier président de la cour d'appel saisie qui peut, en référé, arrêter l'exécution provisoire.
Si ce magistrat avait la faculté d'arrêter l'exécution provisoire facultative lorsqu'elle avait été prononcée alors qu'elle était interdite, ou lorsqu'elle entraînait des conséquences manifestement excessives, il n'y avait, pendant longtemps, aucune disposition lui permettant d'arrêter l'exécution provisoire de droit. Mais, une modification de l'article 524 du Nouveau Code de procédure civile, opérée en 2004, a introduit deux hypothèses dans lesquelles une telle mesure peut intervenir (7).
Désormais, le Premier président peut ordonner en référé d'arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile et lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
On attendait donc que la Cour de cassation se prononce sur l'interprétation à retenir de ce nouvel alinéa ajouté à l'article 524 du Nouveau Code de procédure civile, spécialement en ce qui concerne la violation de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile, puisque ce texte, berceau de la qualification judiciaire, a une portée très large (8).
L'affaire ayant donné lieu à cet arrêt était relativement simple. Un VRP avait été licencié pour faute grave. Le conseil de prud'hommes saisi estima que le licenciement ne reposait pas sur une faute mais seulement sur une cause réelle et sérieuse et lui allouait, en conséquence, une indemnité spéciale de rupture prévue par l'article 14 de l'Accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975. S'agissant du versement d'indemnités, la décision devait recevoir exécution provisoire de droit en application de l'article R. 516-37 du Code du travail (N° Lexbase : L0640AD3).
Or, l'article 14 de la convention collective susmentionnée limite l'octroi de cette indemnité à la renonciation formelle du salarié à l'indemnité de clientèle et, surtout, à l'absence d'opposition de l'employeur à son versement. L'employeur s'étant opposé au versement de cette indemnité, le conseil de prud'hommes ne pouvait pas en ordonner le paiement.
Il y avait donc manifestement une erreur d'interprétation ou d'application de la convention collective. S'appuyant sur cette erreur, et faisant une interprétation large de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile, le Premier président de la cour d'appel de Versailles, saisi par l'employeur, ordonna l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement de première instance.
La Chambre sociale de la Cour de cassation ne le voit pas du même oeil. Elle casse l'ordonnance du Premier président en estimant que "l'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas une violation manifeste de l'article 12 du [Nouveau Code de procédure civile], au sens de l'article 524 du même code". La Chambre sociale tranche donc la question délicate du champ d'action du Premier président de la cour d'appel, pouvoir qu'elle souhaite voir demeurer relativement restreint.
2. La limitation de l'arrêt de l'exécution provisoire de droit au-delà de la matière prud'homale
La doctrine avait anticipé les difficultés que pourrait poser le nouvel article 524 du Nouveau Code de procédure civile (9). En effet, si une violation du principe contradictoire semble pouvoir être assez aisément identifiée, il en va autrement de la violation de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile en raison du potentiel très large de ce texte.
C'est tout particulièrement le premier alinéa de cet article qui comporte les plus grandes difficultés d'interprétation puisqu'il dispose que "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables". Ne pas appliquer convenablement l'article 14 de l'Accord national interprofessionnel des VRP pouvait donc paraître comme étant une violation de l'article 12 de la part des juges du fond. Une telle interprétation de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile était, d'ailleurs, préconisée par certains auteurs (10) et n'aurait guère été choquante sur le strict plan de l'interprétation de la règle.
Pourtant, il est probable que le choix opéré par la Chambre sociale soit le plus sage, tant pour l'harmonie du mécanisme de l'arrêt de l'exécution provisoire, que pour le respect de l'existence du double degré de juridiction
Si le mécanisme de l'arrêt de l'exécution provisoire de droit n'a été introduit qu'en 2004, cette technique existait, déjà, depuis longtemps s'agissant de l'exécution provisoire facultative ordonnée par le juge de première instance.
Or, en cette matière, le débat sur les pouvoirs du Premier président a fait long feu. Alors que la Cour de cassation estimait de manière constante qu'une erreur commise par les juges de première instance ne peut justifier l'arrêt de l'exécution provisoire (11), les Premiers présidents des cours d'appel avaient tendance à résister à une telle solution (12). Il n'est, cependant, pas étonnant de voir alors la Cour de cassation raisonner en matière d'exécution provisoire de droit dans le même sens que pour l'exécution provisoire facultative. Outre l'objectif d'harmonisation des deux régimes, se cache probablement une volonté légitime de protéger le double degré de juridiction, principe nécessaire au respect des droits de la défense.
L'interprétation effectuée par la Chambre sociale de la Cour de cassation paraît être légitimée par une volonté implicite de préserver l'effectivité du double degré de juridiction dans les hypothèses d'exécution provisoire de droit.
En effet, si la Cour avait accepté qu'une erreur dans l'interprétation ou l'application d'une règle de droit suffise à arrêter l'exécution provisoire, on aurait pu craindre que le pouvoir alors conféré aux Premiers présidents de cours d'appel soit trop important, leur permettant, dans une certaine mesure, de "préjuger" l'affaire. Bien sûr, l'ampleur du pouvoir aurait, tout de même, été limitée puisqu'il n'aurait pu être question d'apprécier des erreurs de faits. Mais il n'empêche que l'ordonnance de ce magistrat aurait été de nature à influencer la cour d'appel statuant ultérieurement au fond.
Dans ces conditions, il semble logique que la Chambre sociale limite l'application du dernier alinéa de l'article 524 du Nouveau Code de procédure civile. Il faut, d'ailleurs, relever que cette interprétation a de fortes chances d'être adoptée par l'ensemble des chambres de la Cour puisque, comme le révèle le communiqué de la Cour de cassation au sujet de cet arrêt, la décision a été rendue après avis officiel de la deuxième chambre civile, habituellement saisie des questions de procédure civile (13). Si l'on ajoute à cela que l'arrêt comporte le plus haut degré de publicité, on peut être certain qu'il s'agit bien là d'une solution de principe !
(1) L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5ème éd., 2006, p. 471.
(2) V. NCPC, art. 514 al. 2 (N° Lexbase : L5009GU3).
(3) Article 328 du décret n° 2005-1677, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L3297HET). En cette matière, v., également, les observations de P.-M. Le Corre, La chronique mensuelle, Lexbase Hebdo n° 274 du 27 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5057BCB).
(4) V. CSS, art. R. 142-26 N° Lexbase : L6241ADI), prescrivant l'exécution provisoire de droit des décisions relatives au versement d'indemnités journalières.
(5) Pour les décisions du bureau de conciliation, v. C. trav., art. R. 516-19 (N° Lexbase : L0620ADC). Pour les décisions du bureau de jugement, C. trav., art. R. 516-37 (N° Lexbase : L0640AD3).
(6) En ce sens, v. F. Guiomard, La déficience de l'exécution provisoire appliquée à la matière prud'homale, RDT 2006, p. 118.
(7) Décret n° 2004-836 du 20 août 2004, art. 7, op. cit.. V. sur cette réforme, Ph. Hoonakker, L'arrêt de l'exécution provisoire de droit enfin consacré par le législateur !, D., 2004, p. 2314.
(8) La cour d'appel de Paris avait déjà rendu deux ordonnances consacrant une interprétation large de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile. V. CA Paris, ord. prem. prés., 1ère ch., sect. P, 21 avril 2005, Granulats Rhône-Alpes c/ Eiffage TP et a. et CA Paris, 14ème ch., sect. B, 22 avril 2005, n° 2005/07927, M. Pastour et Star Airlines c/ Look Voyages et a. (N° Lexbase : A1480DIN), JCP éd. G, 2005, II, 10141, obs. O. Schmitt et A. Tabouis.
(9) Ph. Hoonakker, préc..
(10) S. Guinchard, F. Ferrand, Procédure civile, Dalloz, 28ème éd., 2006, n° 1558 ; Ph. Hoonakker, préc..
(11) Cass. civ. 2, 25 mars 1992, n° 90-21.962, Société Laboratoires et Fonderies de Métaux Précieux c/ Société Heinimann Charles (N° Lexbase : A3305ACE).
(12) Par ex., CA Rennes, 25 février 1992, Gaz. Pal. 1992, 2, p. 673 ; CA Aix-en-Provence, 12 février 1996, Procédures, 12/1996, p. 355.
(13) V. le communiqué de la Cour de cassation.
Décision
Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-44.548, M. Jean Daniel Torcheux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1360D3R) Cassation, Cour d'appel de Versailles, Ordonnance de référé du Premier président, 16 juin 2006 Textes visés : NCPC, art. 12 (N° Lexbase : L2043ADZ) et art. 524 (N° Lexbase : L4949GUT) Mots-clés : Exécution provisoire de droit. Jugement prud'homal. Erreur d'interprétation de la règle de droit. Violation de l'article 12 du NCPC (non). Arrêt de l'exécution provisoire de droit (non). Liens base : |
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