Il ressort d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 décembre 2007 qu'une banque ne peut refuser l'accès au compte et la délivrance d'un relevé d'identité bancaire, au seul motif que le récépissé constatant le dépôt d'une demande de statut de réfugié était périmé, dès lors que, le tenant pour une pièce officielle d'identité, elle n'avait exigé, lors de l'ouverture du compte, aucun autre document justificatif et qu'il n'existait aucun doute sur l'identité de la personne ; il en résulte qu'un tel refus constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser. Cette décision, destinée aux honneurs du Bulletin, est à notre connaissance inédite.
Dans cette affaire, La Poste a consenti à Mme X, le 8 juillet 2002, l'ouverture d'un compte livret A, au vu d'un récépissé constatant le dépôt d'une demande de statut de réfugié, valable jusqu'au 4 octobre 2002 et renouvelable. Cependant, à partir du mois de mai 2005, La Poste a refusé l'accès de Mme X à son compte, au motif que le récépissé était venu à expiration et que l'identité de la titulaire n'était justifiée par aucun document en cours de validité. Mme X a assigné La Poste en référé pour obtenir sa condamnation à lui donner accès à son compte sur présentation de ce récépissé, seul document dont elle disposait, et à lui délivrer un relevé d'identité bancaire.
Par une ordonnance de référé du 22 juillet 2005, le président du tribunal de grande instance de Paris a condamné La Poste à donner à Mme X accès à son compte sur présentation du seul document dont elle dispose attestant de son identité, en l'espèce, un récépissé constatant le dépôt d'une demande de statut de réfugié délivré par l'autorité préfectorale qui supporte sa photographie et sa signature, et à lui délivrer un relevé d'identité bancaire, et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de trois jours courant à compter de la signification de l'ordonnance. Le président du TGI de Paris a, en effet, estimé que La Poste ne pouvait pas prétendre qu'un document officiel, comportant la photographie et la signature de l'intéressée sur la foi duquel elle avait ouvert le compte, serait impropre à justifier de son identité, au motif que l'autorisation de séjour est expirée, sans confondre ce qui relève de l'identité de la personne et les droits attachés au titre délivré.
La Poste a alors formé appel et la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 24 février 2006, a infirmé l'ordonnance et dit n'y avoir lieu à référé (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 24 février 2006, n° 05/17438, La Poste c/ Mme Chantai Kizaza
N° Lexbase : A5503DPI). Pour ce faire, la cour d'appel énonce que le Code monétaire et financier fait obligation à tout banquier de vérifier, préalablement à l'ouverture d'un compte, le domicile et l'identité du postulant qui est tenu de présenter un document officiel portant sa photographie. Or, souligne-t-elle, "
aucun texte ne prévoit que le récépissé d'une demande de statut de réfugié vaut justificatif, même provisoire, de l'identité de la personne titulaire de ce document". De plus, elle précise qu'il résulte, en revanche, de l'article L. 721-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (
N° Lexbase : L5919G4Y), que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides "
est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, les pièces nécessaires pour permettre aux réfugiés et apatrides d'exécuter les divers actes de la vie civile", ce qui tend à montrer que le récépissé ne permet pas, en lui-même, d'accomplir de tels actes et, notamment, d'ouvrir et de faire fonctionner un compte. La cour d'appel estime, ainsi, que si La Poste a accepté d'ouvrir un compte au vu de ce seul document, "
le fait qu'elle ait mis fin à cette tolérance, à partir du moment où la date de validité du récépissé était expirée et alors qu'aucun autre document n'était produit pour justifier de l'identité dans les formes prévues par la loi, ne revêt pas un caractère manifestement illicite, étant observé que, sous peine d'engager sa responsabilité, La Poste est tenue de vérifier l'identité du titulaire du compte, non seulement à son ouverture, mais également durant toute la durée de son fonctionnement". Elle conclut, dès lors, que les conditions de l'article 809, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile (
N° Lexbase : L3104ADC) ne sont pas réunies et, par conséquent, infirme l'ordonnance.
C'est alors avec succès que Mme X se pourvoit en cassation, l'arrêt d'appel se trouvant censuré pour violation des articles 1134 (
N° Lexbase : L1234ABC) et 1932 (
N° Lexbase : L2156ABH) du Code civil, ensemble l'article 809 du Nouveau Code de procédure civile. La Haute juridiction estime, en effet, que "
La Poste ne pouvait refuser l'accès au compte et la délivrance d'un relevé d'identité bancaire, au seul motif que le récépissé était périmé, dès lors que le tenant pour une pièce officielle d'identité, elle n'avait exigé lors de l'ouverture du compte aucun autre document justificatif et qu'il n'existait aucun doute sur l'identité de la personne, ce dont il résultait que ce refus constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser".
La cliente cherchait, dans cette espèce, à faire juger que le refus d'accès au compte opposé par la banque constituait un "trouble manifestement illicite" au sens de l'article 809, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile, afin que le juge puisse ordonner, en application de ce texte, l'accès au compte et la délivrance d'un RIB. En effet, selon ce texte, "le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite". Rappelons que le juge des référés, amené à statuer sur le fondement de l'article 809, alinéa 1er, apprécie souverainement l'existence et la prolongation du trouble manifestement illicite (Cass. civ. 2, 22 avril 1992, n° 90-19.194, Société Patparnasse c/ Epoux Aynes et autre, publié N° Lexbase : A3233ACQ, Bull. civ. II, n° 136 ; Cass. civ. 1, 16 juillet 1997, n° 96-12.762, Société Editions Plon c/ Mme Danielle Mitterrand, P N° Lexbase : A1033ACA, Bull. civ. I, n° 249 ; Cass. com., 17 novembre 1998, n° 96-17.878, M. Brouwer et autres c/ Société de directeurs de laboratoire d'analyses médicales et autres, publié N° Lexbase : A9228CHA, Bull. civ. IV, n° 231). C'est, ainsi, après des rebondissements dus aux diverses interprétations, que la titulaire du compte a finalement obtenu gain de cause devant la Haute juridiction.
Afin de protéger les tiers, mais également l'établissement de crédit lui-même, ce dernier doit effectuer certaines vérifications lors de l'ouverture d'un compte. Parmi les obligations auxquelles sont tenus les banquiers préalablement à l'ouverture d'un compte, l'article R. 312-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5915HZ4) impose au banquier "de vérifier le domicile et l'identité du postulant, qui est tenu de présenter un document officiel portant sa photographie. Les caractéristiques et les références de ce document sont enregistrées par le banquier". En l'espèce, le document officiel portant la photographie était un récépissé constatant le dépôt d'une demande de statut de réfugié. La difficulté tient ici au caractère par définition temporaire de ce document. Ainsi, la banque qui accepte d'ouvrir un compte au vu d'un tel document peut-elle refuser, ultérieurement, l'accès au compte, au seul motif que ce même document est expiré, alors même que l'identité du titulaire du compte n'est pas remise en doute ? Non, affirme clairement la Chambre commerciale, pour des motifs que nous ne pouvons qu'approuver.
Comme l'a souligné le premier juge, la banque ne doit pas confondre les obligations contractuelles qui sont les siennes à l'égard de ses clients et les missions d'ordre public portant sur le contrôle de la régularité du séjour d'un étranger en France qui relèvent d'autres autorités. Ces obligations contractuelles se retrouvent, d'ailleurs, à la lecture des articles visés par la Cour de cassation pour censurer l'arrêt d'appel. En effet, outre l'article 1134 du Code civil, est visé l'article 1932 du même code, relatif aux obligations du dépositaire, aux termes duquel ce dernier "doit rendre identiquement la chose même qu'il a reçue.
Ainsi, le dépôt des sommes monnayées doit être rendu dans les mêmes espèces qu'il a été fait, soit dans le cas d'augmentation, soit dans le cas de diminution de leur valeur".
Notons que cette décision du 18 décembre 2007 s'inscrit, plus généralement, dans un courant favorisant l'accès au compte.
Car si l'ouverture d'un compte n'est, en principe, pas obligatoire, certains textes imposent, toutefois, des modes de paiement pour certaines opérations et supposent, donc, l'existence d'un compte, entravant par là même la liberté d'ouvrir ou non un compte (sur la liberté d'ouvrir un compte, voir Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 6ème éd., n° 358).
Parallèlement, le droit au compte a été consacré par le législateur. L'article L. 312-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9330HDW) dispose, ainsi, que "toute personne physique ou morale domiciliée en France, dépourvue d'un compte de dépôt, a droit à l'ouverture d'un tel compte dans l'établissement de crédit de son choix ou auprès des services financiers de La Poste".
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