La lettre juridique n°315 du 31 juillet 2008 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L'aide apportée par une mère aux associés majoritaires d'une filiale contraints de cautionner les engagements de celle-ci à l'épreuve de l'acte anormal de gestion

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 291710, Société civile du groupe Comte (N° Lexbase : A4491D99)

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N7102BG7

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Par une décision du 30 juin 2008, le Conseil d'Etat a jugé que ne constitue pas un acte anormal de gestion, la prise en compte par une société dénommée Gestion du Groupe Serre (GGS), filiale de la société tête de groupe, la société civile du groupe Comte, des dettes des associés majoritaires de sa propre filiale à 91,4 %, la société Serres et Pilaire, nées d'un engagement de caution contracté à son profit par les associés majoritaires.

Les faits sommairement résumés de l'espèce étaient les suivants : la société Serres et Pilaire, dont l'objet social était le transport de marchandise et le transit douanier, devait, en application de la législation douanière se porter garante en paiement des droits de douane dus par les importateurs et fournir à ce titre une caution bancaire. En contrepartie de celle-ci et des autres concours financiers accordés à la société, les banques ont exigé la caution personnelle des associés, M. et Mme Pierre-Yves C. et Mme Hélène S.. La société Serres et Pilaire est devenue en 1983, une filiale à 91,4 % de la société de Gestion du Groupe Serres (la société GGS), mais la Société générale a continué à exiger le cautionnement personnel et solidaire de M. et Mme C. et Mme S. pour garantir la bonne fin des engagements de la société Serres et Pilaire. Par une délibération de son assemblée générale du 4 août 1983, la société GGS s'est alors engagée à rembourser à chacun des associés s'étant porté caution le montant des dettes qu'il serait obligé de payer à raison de cet engagement de caution et dans la mesure de ses disponibilités à en supporter le règlement. Consécutivement à une défaillance de la société Serres et Pilaire, la Société générale a pris des mesures conservatoires à l'encontre des cautions solidaires avant que n'intervienne, le 29 juillet 1993, un accord transactionnel ramenant la créance de la banque de 5 024 766 francs (766 020 euros), hors intérêts, à 3 500 000 francs (533 571 euros) pour solde de tout compte. La société GGS a payé cette somme en ayant partiellement recours à l'emprunt. A l'occasion d'une vérification de comptabilité de la société GGS, l'administration fiscale a estimé que ce paiement et les charges en résultant ne relevaient pas d'une gestion commerciale normale et a notifié les redressements à ce titre à la société civile du groupe Comte, société mère de la société GGS en sa qualité de redevable de l'IS dû par le groupe.

L'intérêt de l'arrêt est de dire que l'engagement d'une société à prendre en charge le montant des dettes que chacun des associés de sa fille sera tenu de payer à raison de son engagement de caution, que cet associé soit ou non en mesure d'honorer cet engagement, n'a pas pour objet de mettre la caution à l'abri d'une action des banques, l'entreprise qui prend en charge les dettes, agissant alors dans son intérêt propre, dès lors que l'engagement de caution est une condition de la poursuite de l'exercice de l'activité de sa fille. Le Conseil d'Etat tient compte, dans son arrêt du 30 juin 2008, de la situation dans laquelle un dirigeant a été obligé d'accepter de souscrire un engagement personnel au profit d'une société, la banque subordonnant l'octroi de crédit à cette seule situation. En ne retenant pas l'acte anormal de gestion, le Conseil d'Etat revient sur sa jurisprudence en date du 22 avril 1985 (CE, 22 avril 1985, n° 45813, Ministre du budget c/ SA "Héli-Union" N° Lexbase : A2961AMM) dans laquelle il avait jugé que la prise en charge par une société mère des dettes de sa filiale constituait, en l'espèce, un avantage anormal consenti à un actionnaire qui s'était porté personnellement caution de ces dettes alors qu'elle ne lui avait pas demandé d'exécuter son engagement de caution et que l'avantage ne comportait pas de contrepartie appréciable pour elle.

Ainsi, l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin 2008 atténue-t-il les conséquences, pour l'associé, de l'exécution d'un engagement de caution consenti pour qu'une société fille puisse conduire une activité (1) tout en reconnaissant la déductibilité des charges nées de la subrogation de la société mère aux actionnaires majoritaires de sa fille dans la gestion des conséquences de l'exécution de l'engagement de caution (2).

1. Un régime restrictif de déduction des sommes versées par un associé dans le cadre de l'exécution d'un engagement de caution

Les sommes versées en exécution d'un engagement de caution ne sont pas déductibles de son revenu global par l'associé lorsque ce sont des dettes en capital (1.1) ; la prise en charge de celles-ci par une société mère atténue le poids de la fiscalité pesant sur l'associé (1.2).

1.1. Les sommes versées par les administrateurs et les associés (ou actionnaires) non salariés en exécution de leur engagement de caution sont des pertes en capital

La société Serres et Pilaire a pour objet social le transport de marchandises et le transit douanier. Elle devait, en application de la législation douanière, se porter garante du paiement des droits de douane dus par les importateurs et fournir à ce titre une caution bancaire. En contrepartie de celle-ci et des autres concours financiers accordés à la société, les banques exigeaient la caution personnelle de ses associés, M. et Mme Pierre-Yves C. et Mme Hélène S.. Si les associés qui peuvent prétendre rester étrangers aux concours bancaires sollicités par la société dont ils détiennent une part du capital, en l'espèce, cette obligation était imposée par la loi aux associés. Seule la bonne marche de l'affaire permettait donc aux associés de préserver une part de leur capital. La caution jouait simplement le rôle de sûreté personnelle. Le régime fiscal de la déduction des dettes contractées lors de l'exécution d'un engagement de caution est nuancé. Lors de l'exécution d'un engagement de caution, les sommes versées peuvent, sous conditions, être déduites du revenu global de l'associé salarié. Dans un arrêt rendu le 14 juin 2007, la cour administrative d'appel de Lyon a ainsi admis la déductibilité des sommes versées par un dirigeant en vertu d'un engagement de caution dans le cas où le dirigeant est indirectement, et non directement, rémunéré par la société bénéficiaire de cet engagement (CAA Lyon, 5ème ch., 14 juin 2007, n° 04LY00903, M. Henry Valdebouse N° Lexbase : A3587DYI).

Le juge reconnaît la déductibilité des sommes versées par un dirigeant salarié sous certaines conditions (CE 9° et 10° s-s-r., 4 août 2006, n° 268127, M. Estager N° Lexbase : A7940DQ7 ; CE, 19 octobre 1992, n° 85227, M. Degraeve N° Lexbase : A7809ARN et CE, 19 octobre 1992, n° 95580, M. Villenave N° Lexbase : A7810ARP : RJF, 12/92, n° 1606). Ainsi, si les dispositions des articles 13 (N° Lexbase : L1050HLH) et 83-3° (N° Lexbase : L2480HZU) du CGI permettent au dirigeant salarié d'une société de déduire de son revenu imposable de l'année au cours de laquelle il en a effectué le versement des sommes payées en exécution d'un engagement de caution souscrit en faveur d'un tiers tel une société filiale de celle qu'il dirige, c'est à la condition, non seulement que l'apport de cette caution se rattache directement à sa qualité de dirigeant, ait été consenti en vue de servir les intérêts de la société qu'il dirige et n'ait pas été hors de proportion avec les rémunérations perçues de celle-ci, mais, en outre, que l'intéressé justifie que ladite société n'était pas en mesure de se porter, elle-même, caution, et que ses activités pouvaient être mises en péril par une éventuelle défaillance de la débitrice principale, de sorte que, s'il s'est personnellement porté caution, c'est afin de préserver ses propres rémunérations. Toutefois, en présence d'un dirigeant ou d'un associé non salarié d'une société, les sommes versées en exécution d'un engagement de caution souscrit n'ouvre pas droit à déduction, ces frais n'étant pas regardés comme des dépenses engagées pour la conservation de revenus de capitaux mobiliers mais comme des pertes en capital. De même, la situation de la caution est plus favorable fiscalement que celle du salarié qui règle spontanément des dettes sociales qui ne sont pas alors regardées comme une dépense en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu salarial au sens de l'article 13 du CGI, ni comme l'engagement de frais inhérents à la fonction au sens de l'article 83 du même code.

1.2. Un engagement de la société mère allégeant, pour les associés de la fille, les conséquences fiscales nées de l'engagement de caution

La société Serre et Pilaire est devenue en 1983 filiale à 91,4 % de la société de gestion du groupe Serres (la société GGS). Toutefois, la Société générale a continué d'exiger le cautionnement personnel et solidaire de M. et Mme C. et de Mme S., actionnaires majoritaires de la société GGS, pour garantir la bonne fin des engagements de la société "Serres et Pilaire". Ainsi, nonobstant la consolidation des capitaux propres née de la filialisation, la banque a maintenu les sûretés demandées. Par une délibération de son assemblée générale du 4 août 1983, la société GGS s'est alors engagée à rembourser à chacun des associés s'étant porté caution le montant de dettes qu'il serait obligé de payer à raison de cet engagement de caution et dans la mesure de ses disponibilités à en supporter le règlement.

Cet engagement a été pris en raison de l'intérêt que la société GGS avait au maintien de l'activité de sa fille. L'engagement de caution a pour seul but de prémunir le créancier contre le risque d'insolvabilité du débiteur principal et ne produit aucun effet vis-à-vis des tiers, seule la banque pouvant mettre l'associé en demeure de payer, ce qu'elle a d'ailleurs fait. On peut alors comprendre que la société ait intérêt à permettre aux associés de faire face à cette obligation. La société mère est, d'une certaine manière, d'autant plus fondée à le faire que le cautionnement naît de l'application de la législation douanière et que le respect de cette obligation détermine et conditionne l'activité de la fille.

Toutefois, en prenant en charge les dettes de ses associés, la société GGS s'exposait à se voir redresser sur le terrain de l'acte anormal de gestion dès lors qu'elle décidait de déduire les intérêts d'emprunt du prêt contracté pour faire face aux dettes nées de cet engagement de caution (CE 7° et 9° s-s-r., 5 juin 1985, n° 34792).

2. La déductibilité d'une charge née de l'exécution d'un engagement pris à l'égard des associés n'est pas nécessairement constitutive d'un acte anormal de gestion

Ce n'est que dans le cas ou l'acte aurait eu pour unique objet de procurer un avantage à l'associé qu'il serait anormal (2.1), mais en l'espèce, la substitution de la mère aux associés dans le paiement de leur dette a pour contrepartie la poursuite de l'activité de la filiale (2.2).

2.1. Une substitution possible aux associés dans la charge de leurs dettes en application d'une délibération de l'assemblée générale

Postérieurement à la défaillance de la société Serres et Pilaire, la Société générale a pris des mesures conservatoires à l'encontre des cautions solidaires avant que n'intervienne un accord transactionnel ramenant la créance de la banque de 5 024 766 francs (766 020 euros euros) hors intérêts à la somme de 3 500 000 francs (533 571 euros) pour solde de tout compte. La société GGS a alors payé cette somme pour partie en ayant recours à l'emprunt. Le service a estimé que ce paiement ne relevait pas d'une gestion commerciale normale et a notifié des redressements à ce titre à la société civile du groupe Comte, société mère de la société GGS, en sa qualité de redevable de l'IS dû par le groupe.

Il est de jurisprudence constante que l'engagement de caution souscrit en faveur de sa mère par une filiale constitue un acte anormal de gestion s'il n'a pas été souscrit dans l'intérêt de la filiale "consentante" (CE, 27 avril 1988, n° 57048, SA "Entreprise du Centre" N° Lexbase : A6689APG : RJF, 6/88, n° 707). De même, les intérêts de l'emprunt qu'une filiale a dû contracter pour exécuter l'engagement de caution qu'elle a souscrit en faveur de la mère, ainsi que la provision qu'elle a constituée à raison des difficultés réelles du recouvrement de la créance qu'elle détient sur la mère par voie de subrogation, ne sont pas déductibles dès lors que l'engagement de caution qui en est la cause, constitue un acte anormal de gestion (CE 7° et 9° s-s-r., 27 avril 1988, n° 57048 ; CE, 14 novembre 1970, n° 77214 N° Lexbase : A0332B8S : Dupont, 1971, p. 73 ; CE plénière, 24 mars 1978, n° 2628 N° Lexbase : A5160AIX : RJF, 5/78, n° 224).

La substitution des engagements pris en application de la délibération en date du 4 août 1983 s'effectue, en l'espèce, sans rechercher au préalable une exécution des associés de leur engagement de caution, ni s'assurer de leur incapacité à respecter une exécution de leur engagement. Ce qui est apprécié c'est seulement l'intérêt propre de la mère.

2.2. L'intérêt de la société GGS : le maintien des cautions personnelles des associés pour faciliter l'activité de la filiale

Si l'intérêt pour la société GGS ne peut se trouver du côté de l'existence d'un intérêt de groupe, il peut sans doute être replacé sur le terrain du risque pris pour permettre la poursuite de l'activité de la filiale. L'engagement de caution souscrit par les associés de la filiale l'était sans doute dans l'intérêt du groupe, mais le Conseil d'Etat n'apprécie l'existence de l'intérêt que par rapport à celui de la filiale. La notion de groupe demeure encore une notion aux contours imprécis en droit fiscal.

Il en va autrement sur le terrain du risque. Le Haut conseil avait, ainsi, déjà jugé, en 1983, que le fait, pour un agent immobilier spécialisé dans les transactions sur fonds de commerce qui se charge en qualité d'intermédiaire financier, pour favoriser le développement des transactions, de mettre en relation des prêteurs de capitaux avec des acquéreurs de fonds de commerce qui désirent emprunter, de se substituer aux emprunteurs défaillants ne constitue pas un acte anormal de gestion dès lors que cette pratique a pour intérêt le développement de son entreprise et ne lui fait pas courir un risque manifestement exagéré (CE, 28 septembre 1983, n° 34626 N° Lexbase : A1280AMD).

Par ailleurs, dans son arrêt du 22 avril 1985, le Conseil d'Etat avait regardé le fait que l'actionnaire majoritaire se soit porté caution de certains engagements comme suffisant à transformer en acte anormal une intervention en elle-même légitime (une mère venant en aide à une filiale en difficulté). La Haute juridiction semble abandonner cette position en considérant que la prise en charge des dettes contractées dans le cadre de l'engagement de caution n'a pas eu pour but uniquement de procurer un avantage aux associés. Ajoutons que la circonstance que l'associé ait été contraint de souscrire des engagements personnels au profit d'une société alors que la Société générale subordonnait l'octroi de crédit au respect de cette condition a sans doute son importance dans la solution adoptée.

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