Réf. : Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.132, Société Laboratoires Forte Pharma, F-P+B (N° Lexbase : A4981D9D)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'éventualité du renouvellement de la période d'essai n'étant pas prévue par la convention collective applicable, la clause du contrat de travail qui prévoit un tel renouvellement est nulle. |
Commentaire
I - La clarification des conditions d'un renouvellement de la période d'essai
Le régime juridique de la période d'essai, qui initie de manière de plus en plus systématique le contrat de travail, a été profondément modifié sous l'effet de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 et de la loi du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (2). Tel est, en particulier, le cas des règles relatives au renouvellement de la période d'essai, sous l'effet des nouveaux articles L. 1221-21 et L. 1221-23 du Code du travail. Le premier de ces textes conditionne la possibilité d'un renouvellement de la période d'essai à l'existence d'une telle prévision par l'accord de branche étendu. Quant au second, il impose que le renouvellement de la période d'essai soit expressément stipulé dans la lettre d'engagement ou le contrat de travail. En bref, il faudra donc, à l'avenir, que le renouvellement éventuel de l'essai soit à la fois prévu par la convention collective et par le contrat de travail (3).
Les règles gouvernant ce renouvellement n'ont, pourtant, pas toujours été aussi strictes. Longtemps laissées à la discrétion de la liberté contractuelle (4), elles ont, tout de même, été encadrées par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Celle-ci décidait, sans ambages, que "le renouvellement ou la prolongation d'une période d'essai doit être expressément prévu par le contrat de travail ou la convention collective" (5). Il ne s'agissait donc manifestement pas de conditions cumulatives, mais bien alternatives.
La jurisprudence pouvait, cependant, paraître, parfois, contradictoire. En effet, la Cour de cassation prononçait, déjà, la nullité de la clause contractuelle de renouvellement de la période d'essai dans l'hypothèse où la convention collective n'envisageait pas une telle possibilité (6). L'argumentation proposée par la jurisprudence reposait sur l'application du principe de faveur au salarié : la convention collective restant silencieuse sur la possibilité de renouveler la période d'essai, elle s'avérait donc plus favorable que le contrat de travail, si bien que la clause contractuelle devait être annulée, en application de l'ancien article L. 135-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5715ACN, art. L. 2254-1, recod. N° Lexbase : L0563HX7).
Une clarification méritait donc d'intervenir, même si, du fait des évolutions législatives évoquées, celle-ci n'aura, nécessairement, qu'une portée assez limitée.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en qualité de directeur commercial d'un laboratoire spécialisé en compléments alimentaires, engagement accompagné d'une période d'essai de trois mois, dont le contrat de travail prévoyait qu'elle pourrait être renouvelée. Après que l'essai ait été renouvelé, l'employeur décida de rompre le contrat de travail un mois environ avant l'échéance de la phase d'expérimentation. La cour d'appel de Paris qualifia la rupture de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L'employeur contesta cette décision en invoquant les dispositions de la Convention collective nationale des détaillants de la confiserie chocolaterie biscuiterie relatives à la durée de la période d'essai (7). En effet, ce texte prévoyait des durées d'essai standard (8) sans, pour autant, fermer la porte à un aménagement contractuel de cette durée. Dès lors, il estimait que la durée de la période d'essai pouvait être allongée par le contrat de travail.
La Chambre sociale de la Cour de cassation ne se place, pourtant, pas directement sur le terrain de la durée de l'essai, mais préfère raisonner en termes de possibilité de renouvellement de la période d'essai. Elle estime, en effet, que, la possibilité d'un renouvellement de l'essai n'étant pas prévue par la convention collective applicable, la clause du contrat prévoyant un tel renouvellement est nulle, si bien que la rupture du contrat de travail était intervenue après l'expiration de la période d'essai et devait naturellement s'analyser comme un licenciement.
II - Une clarification entre faveur au salarié et anticipation des modifications issues de la loi portant modernisation du marché du travail
Cette solution constitue manifestement une anticipation de l'application de la loi portant modernisation du marché du travail, qui impose expressément que l'accord de branche prévoie une telle faculté de renouvellement. Pour autant, au regard du droit applicable à l'espèce, la solution ne manque pas de surprendre, puisqu'elle fait une application assez inattendue du principe de faveur.
L'allongement d'une période d'essai est-il une mesure favorable, défavorable ou neutre pour le salarié ? Plusieurs auteurs rapportent que, pendant longtemps, la Cour de cassation a considéré que l'existence d'un renouvellement de la période d'essai constituait une véritable faveur faite au salarié. Elle considérait que, celui-ci n'ayant pas disposé d'un temps suffisant pour faire ses preuves, l'employeur lui permettait, par ce renouvellement, de finalement parvenir à le convaincre de ses qualités professionnelles (9). Or, il nous semble qu'une telle considération soit hautement contestable.
La véritable faveur au salarié consisterait justement à ne pas renouveler la période d'essai et à juger celle-ci comme réussie. L'essai étant caractérisé par la précarité qui l'accompagne, il est bien difficile de voir dans son allongement une faveur faite au salarié, sentiment, d'ailleurs, exacerbé par l'observation des difficultés que peuvent rencontrer les salariés en période d'essai face à un établissement de crédit ou à un bailleur (10).
Pour autant, ce raisonnement retrouve un semblant de vigueur par l'effet de la nouvelle définition de la période d'essai offerte par les partenaires sociaux et la loi portant modernisation du marché du travail. Rappelons, en effet, que l'article L. 1221-20 du Code du travail a confirmé le caractère bilatéral de la période d'essai et son utilité pour l'employeur comme pour le salarié. "La période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent". Si l'essai est utile au salarié, son allongement ne devrait pas lui être défavorable... Il est vrai que, pour certains salariés très demandés sur le marché de l'emploi, soit qu'ils bénéficient de qualifications professionnelles très recherchées, soit qu'ils travaillent dans un secteur où le marché de l'emploi est très tendu, la période d'essai peut conserver un intérêt relatif (11).
Quoi qu'il en soit, il nous paraît raisonnable de conclure que l'allongement de la période d'essai du contrat de travail est défavorable au salarié, même s'il ne faut probablement pas avoir une approche totalement générale de la question.
La Cour de cassation reprend donc la solution énoncée en 1995, dans laquelle elle avait jugée nulle une clause contractuelle de renouvellement de l'essai, alors même qu'aucune disposition de la convention collective ne l'envisageait. Il y a donc tout lieu de penser que, malgré une argumentation bien moins détaillée dans l'espèce commentée, c'est, encore, l'application du principe de faveur qui gouverne la solution.
Ce raisonnement, en termes de principe de faveur, insidieusement opéré par la Cour de cassation, est, pour le moins, hardi. Rappelons que le principe de faveur constitue une règle de conflit en droit du travail. Il permet, en cas de pluralité de normes applicables à une situation, d'appliquer celle qui s'avère la plus favorable au salarié (12).
Or, la Haute juridiction juge habituellement qu'une norme demeurée silencieuse, s'agissant de tel avantage ou de telle sujétion, ne peut constituer l'un des termes du conflit. Ainsi, particulièrement, le silence du contrat de travail ne permet pas au salarié de se prévaloir du principe de faveur pour écarter une obligation lui étant faite par la convention collective (13). Pourquoi serait, alors, justifiée la solution inverse, permettant d'écarter une prescription du contrat de travail en raison du silence de la convention collective ?
Répétons-le, la réponse à cette question figure très probablement dans l'évolution de la législation. La Cour de cassation prend les devants et interprète la législation applicable à l'affaire à la lumière des modifications destinées à être appliquées à l'avenir. L'exigence d'une double prévision, par le contrat et l'accord collectif, de la possibilité de renouveler la période d'essai règle le problème, sans sembler se référer au principe de faveur.
Pour autant, le silence de l'un des deux textes permettra d'exclure toute hypothèse de renouvellement. De fait, l'existence de la condition cumulative prévue par la loi de modernisation du marché du travail permet de faire une sorte d'application du principe de faveur en cas de silence de l'un des deux textes, y compris, d'ailleurs, si c'est le contrat qui est demeuré silencieux. On disait le principe de faveur moribond, il réapparaît, pourtant, parfois, là où on ne l'attendait guère.
(1) G. Lyon-Caen, La fraude à la loi en matière de licenciement, Dr. soc., 1978, n° spéc. avr., p. 69.
(2) Sur ces textes, v. les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL) ; et nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) ; J. Mouly, Sur le caractère impératif de la durée des nouvelles périodes d'essai, SSL, 28 avril 2008, n° 1351, p. 6 ; Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288 ; A. Mazeaud, Un nouveau droit de la formation du contrat de travail dans la perspective de la modernisation du marché du travail ?, Dr. soc., 2008, p. 626 ; A. Sauret, La période d'essai, JCP éd. S, 2008, 1364.
(3) Une telle exigence de "double autorisation" ne va pas sans rappeler celle qui devrait être mise en place par le droit communautaire en matière de clause d'opt out, permettant aux Etats membres de déroger à la durée maximale hebdomadaire de travail, imposée par l'article 6 de la Directive 2003/88/CE (N° Lexbase : L5806DLM). En effet, une proposition de modification de cette Directive impose, pour que cette durée maximale puisse être dépassée, que cette faculté soit prévue à la fois par un accord collectif et par un accord du salarié. V. COM (2004) 607 final, point n° 25 et COM (2005) 246 final, point n° 9.
(4) V. H. Sinay, Le travail à l'essai, Dr. soc., 1963, p. 153, in fine ; v., également, Cass. soc., 28 avril 1955, JCP éd. S, 1957, II, 9725.
(5) Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-41.579, Mme Champion c/ M. Zowczak (N° Lexbase : A4570AGD), Bull. civ. V, n° 483 ; RJS, 1998, n° 1442, p. 881 ; Cass. soc., 17 février 1999, n° 97-41.012, Mme Christine Journois c/ Société Les Airelles, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A3071AGT).
(6) Cass. soc., 30 mars 1995, n° 91-44.079, Société Europa discount Rhône-Alpes c/ Mme Pradon (N° Lexbase : A1893AAD), Bull. civ. V, n° 117 ; D., 1995, IR, 112 ; Dr. soc., 1995, p. 502 ; RJS, 1995, n° 863, p. 571.
(7) Ce qui ne manque pas de sel, compte-tenu de l'activité de l'employeur, principalement axée sur les compléments alimentaires destinés à aider ses clients... à mincir !
(8) Article 1er de l'annexe I de l'accord : "la durée normale de la période d'essai est de [...] trois mois".
(9) V. H. Sinay, Le travail à l'essai, préc., p. 153 ; A. Brun, La jurisprudence en droit du travail, Bibl. de droit du travail et de la Sécurité sociale, p. 143 ; J. Mouly, Le renouvellement de la période d' essai dans les contrats de travail : nécessité d'une stipulation expresse, D., 2000, p. 6.
(10) V., Bailleurs et banques se méfient des salariés en période d'essai, Le Monde du 2 août 2005.
(11) Même si, là encore, l'amenuisement de la distinction entre rupture d'essai à l'initiative du salarié et démission pousse à demeurer bien circonspect. Sur ce point, v. nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, préc..
(12) V. A. Jeammaud, Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente, Dr. soc., 1999, p. 115 ; J. Pélissier, Existe-t-il un principe de faveur en droit du travail, in Mélanges dédiés à M. Despax, 2001, p. 289 ; F. Bocquillon, Que reste-t-il du principe de faveur, Dr. soc., 2001, p. 255.
(13) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., p. 136, spéc. note n° 3 ; J. Pélissier, Existe-t-il un principe de faveur en droit du travail, préc. ; X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015.
Décision
Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.132, Société Laboratoires Forte Pharma, F-P+B (N° Lexbase : A4981D9D) Rejet, CA Paris, 21ème ch., sect. B, 9 novembre 2006 Textes concernés : Convention collective de la confiserie chocolaterie biscuiterie, art. 1 de l'annexe I 'Cadres' Mots-clés : période d'essai ; durée de l'essai ; clause de renouvellement ; nullité. Lien base : |
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