La lettre juridique n°315 du 31 juillet 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Mise en oeuvre de la sanction du dol : prescription, nullité et dommages et intérêts

Réf. : Cass. civ. 1, 25 juin 2008, n° 07-18.108, M. Louis-Frédéric Behar, F-P+B (N° Lexbase : A3720D9N)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

La mise en oeuvre de la sanction du dol n'est pas sans soulever quelques difficultés tenant, notamment, au délai de prescription de l'action ainsi, notamment, qu'au point de savoir si, et, à quelles conditions, la nullité de l'acte peut s'accompagner de l'allocation de dommages et intérêts à la victime des manoeuvres dolosives. Bien qu'assez classiques, ces questions n'en demeurent pas moins importantes. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 juin dernier, à paraitre au Bulletin, permet précisément, au moins rapidement, d'y revenir. En l'espèce, après avoir cédé leurs droits dans la succession de leur grand-père à la veuve de celui-ci, les cédants avaient assignés la cessionnaire et leurs cohéritiers en nullité des actes de cession de droits successifs pour dol et, subsidiairement, en paiement de dommages et intérêts. La cour d'appel de Versailles, rendant un arrêt confirmatif, les ayant débouté de leurs demandes, ils se sont pourvus en cassation.

Le premier moyen, qui contestait le rejet de la demande en faisant valoir que l'action en nullité ne serait pas prescrite, le délai de trente ans de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY), alors en vigueur, n'étant pas écoulé, est écarté par la Haute juridiction, aux motifs que "la prescription extinctive trentenaire de l'article 2262 du Code civil n'étant pas applicable à l'action en nullité pour dol régie par le seul article 1304 (N° Lexbase : L1415ABZdu même code, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a constaté que la prescription avait commencé à courir le 30 juin 1994, date à laquelle les consorts B. avaient eu connaissance de l'erreur substantielle affectant le montant de leurs droits, en a déduit que l'action introduite par une assignation délivrée en mars 2003, soit plus de cinq ans après, était irrecevable comme prescrite".

Le second moyen reprochait, lui, aux juges du fond d'avoir rejeté la demande de dommages et intérêts. Avec succès d'ailleurs puisque la Cour de cassation affirme "qu'en statuant ainsi, alors que le droit de demander la nullité d'un contrat par application des articles 1116 (N° Lexbase : L1204AB9) et 1117 (N° Lexbase : L1205ABA) du Code civil n'exclut pas l'exercice par la victime des manoeuvres dolosives d'une action en responsabilité délictuelle, non soumise à la prescription quinquennale, pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu'elle a subi, la cour d'appel a violé [l'article 1382 du Code civil N° Lexbase : L1488ABQ]". Les réponses de la Cour de cassation aux questions soulevées par les deux moyens sont tout à fait cohérentes et, il faut bien l'admettre, sans grande surprise.

D'abord, en effet, rappelons que l'article 2262 du Code civil, dans sa version alors en vigueur, disposait, dans des termes très généraux, que "toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi". Encore faut-il, pour que le texte soit applicable, qu'une prescription plus courte n'ait pas été prévue par un texte spécial. Et il en va précisément ainsi de l'article 1304 qui ramène la prescription à cinq ans et précise, s'agissant des vices du consentement, que "ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol du jour où ils ont été découverts" (al. 2). Or, assez logiquement au demeurant, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 novembre 1958 avait décidé que la prescription décennale (quinquennale depuis la loi du 3 janvier 1968) édictée par l'article 1304 du Code civil constitue, dans tous les cas où l'action n'est pas limitée à un moindre temps par une disposition particulière, la règle de droit commun en matière d'action en nullité relative pour vice du consentement (Cass. civ. 1, 17 novembre 1958, n° 57-10.120 N° Lexbase : A9075CHL, D., 1959, p. 18, note Holleaux, JCP, 1959, II, 10949, note Esmein). Et la solution avait, ensuite, été répétée par un arrêt de la même première chambre civile du 11 janvier 2005 à propos non plus d'une action en nullité pour vice du consentement d'un mariage comme en 1958, mais d'une action en nullité de donations entre vifs et de testaments (Cass. civ. 1, 11 janvier 2005, n° 01-13.133, F-P+B+R N° Lexbase : A0099DGR, Bull. civ. I, n° 23, Rép. Defrénois, 2005, p. 1065, obs. Massip). Bien que la question paraisse entendue, une difficulté s'est tout de même posée tenant au point de savoir si, en tout état de cause, le délai de droit commun de trente ans à compter de la conclusion de l'acte ne devait pas être considéré comme un délai butoir au-delà duquel il ne serait plus possible d'agir en nullité pour vice du consentement ? Autrement dit, dans l'hypothèse dans laquelle l'erreur ou le dol auraient été découverts plus de trente ans après la conclusion de la convention, l'action en nullité serait prescrite, et ce quand bien même l'article 1304 permet, littéralement, d'agir dans les cinq ans à compter de la découverte du vice. Une telle limitation, inspirée par des considérations de sécurité juridique, a, cependant, été fermement rejetée par un important arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 24 janvier 2006 (Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-11.889, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5472DMM, Bull. civ. I, n° 28, JCP éd. G, 2006, II, 10036, note M. Mekki, RDC, 2006, p. 708, obs. D. Mazeaud). Sous le visa des articles 1304 et 2262 du Code civil, la Cour a, en effet, décidé que "la prescription extinctive trentenaire de l'article 2262 du Code civil n'est pas applicable à l'action en nullité pour dol régie par le seul article 1304 du même code, sauf à priver d'effectivité l'exercice de l'action prévue par ce texte" (lire nos obs., La prescription trentenaire de l'article 2262 du Code civil n'est pas applicable à l'action en nullité pour dol, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition affaires N° Lexbase : N4086AKK).

Sans doute faut-il relever que, si la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I) avait été applicable, la question de savoir si le délai de l'action en nullité pour dol et, plus largement, pour vices du consentement était de cinq ou de trente ans -autrement dit de savoir s'il fallait s'en tenir au délai spécial de l'article 1304 ou bien se référer au délai de droit commun- ne se serait même pas posée puisque, précisément, la loi, harmonisant les délais de prescription, a réduit de trente à cinq ans le délai de prescription civile de droit commun. A ce titre, l'article 1304 parait, aujourd'hui, faire doublon avec le nouvel article 2224 qui précise en effet que "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer" (sur la réforme de la prescription en matière civile, et, notamment, sur les principes de droit transitoire en matière de délai de prescription, lire les obs. de Etienne Vergès, Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N6679BGH).

Ensuite, l'allocation de dommages et intérêts est une sanction classique du dol, que la nullité soit ou non d'ailleurs prononcée. Il se peut, en effet, que le dol soit seulement invoqué pour conclure à une réduction du prix (Cass. com., 14 mars 1972, n° 70-12.659, Epoux G. c/ Dame C. N° Lexbase : A6747AGY, D., 1972, p. 653, note Ghestin), l'allocation de dommages et intérêts permettant alors, au moins indirectement, cette réduction. Mais il se peut, également, que les dommages et intérêts accompagnent la nullité de l'acte, l'action en responsabilité délictuelle, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, permettant à la victime du dol d'obtenir la réparation de son dommage (voir déjà, en ce sens, et dans les mêmes termes que l'arrêt commenté, Cass. civ. 1, 4 février 1975, n° 72-13.217 N° Lexbase : A6868AGH, Bull. civ. I, n° 43, JCP éd. G, 1975, II, 18100, note Larroumet ; Cass. civ. 1, 4 octobre 1988, n° 85-18.763, Consorts Vallet c/ Société Laboratoires Bio Codex et autres N° Lexbase : A1407AHL, Bull. civ. I, n° 265 ; Cass. com., 4 janvier 2000, n° 97-13.265, Mme Anne-Marie Chauchard, épouse Barnabe c/ M. Pierre Bousquet et autres N° Lexbase : A1887CMT, Contrats, conc., consom., 2000, n° 79, obs. Leveneur ; Cass. com., 15 janvier 2002, n° 99-18.774, FS-P N° Lexbase : A8031AXQ, Bull. civ. IV, n° 11). C'est d'ailleurs là l'un des éléments de la supériorité du dol sur l'erreur de l'article 1110 (N° Lexbase : L1198ABY), et qui tient à l'aspect délictuel du dol (l'intention de tromper).

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