La lettre juridique n°304 du 15 mai 2008 : Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] La valeur patrimoniale d'une licence de taxi fait partie de l'actif de la communauté (à propos de la distinction du titre et de la finance)

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-16.105, M. Moussa Nait Bachir, F-P+B (N° Lexbase : A9741D7W)

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N9004BE9

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'article 1404 du Code civil (N° Lexbase : L1535ABH) déclare comme propres "tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne". La mise en oeuvre de ce texte du régime de communauté légale n'est pas sans soulever un certain nombre d'interrogations et d'hésitations à propos des droits de propriétés incorporelles qui se caractérisent par le fait qu'ils exigent de leurs titulaires, pour être acquis et/ou exercés, des qualités personnelles particulières ou qu'ils sont l'émanation de la personnalité de celui-ci. On n'ignore pas, en effet, que, pour une catégorie de biens, la jurisprudence, procédant à une analyse "mixte", fait, parfois, application de la distinction du titre et de la finance : le titre est propre, mais la finance, autrement dit la valeur patrimoniale, est, elle, comprise dans la masse commune. Ainsi par exemple, s'agissant des offices ministériels, a-t-on décidé que le titre était propre en ce qu'il tient à une investiture de l'autorité publique, tandis que la finance, donc la valeur patrimoniale de l'office, est commune, à condition, bien sûr, que l'office ait été acquis pendant le mariage (1). Et la distinction a, ensuite, été reprise à propos des clientèles des professions libérales, du moins pour celles pour lesquelles un droit de présentation d'un successeur était admis (2), la reconnaissance tardive pure et simple de la patrimonialité des clientèles civiles ne devant pas modifier, fondamentalement, la solution (3). En outre, la Cour de cassation a fait application de la distinction du titre et de la finance à des concessions de parcs à huitres accordées par l'Administration (4), à des parts sociales non négociables (5) ou encore, récemment, à une officine de pharmacie, décidant que si, aux termes des dispositions du Code de la santé publique, la propriété des officines de pharmacie est réservée aux personnes titulaires du diplôme de pharmacien, la valeur du fonds de commerce acquis par des époux communs en biens tombe en communauté (6). C'est dans ce courant que s'inscrit un arrêt qu'il nous semblait utile, ne serait-ce que rapidement, de signaler, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 avril dernier et à paraître au Bulletin.

En l'espèce, à la suite du divorce des époux, la liquidation de leur régime matrimonial avait fait l'objet d'un procès verbal de difficulté, notamment quant à la nature de la licence de taxi du mari. Celui-ci reprochait, en effet, aux juges du fond d'avoir dit que l'actif de la communauté comprenait essentiellement la valeur de ladite licence, et faisait valoir, dans son pourvoi, que cette licence, qui n'est pas un contrat d'exploitation, ni un instrument de travail nécessaire à la profession, et qui se distingue de l'exploitation effective proprement dite, est délivrée à titre personnel. Autrement dit, le mari soutenait qu'il s'agissait d'un bien propre par nature, ne pouvant au besoin que faire l'objet d'une reprise à la dissolution de la communauté, contre récompense s'il y a lieu. Mais l'argumentation n'a pas convaincu la Haute juridiction : la Cour de cassation rejette le pourvoi, énonçant que "le caractère personnel de 'l'autorisation de stationnement' délivrée par l'administration pour l'exercice de la profession d'exploitant de taxi, n'a pas pour effet d'exclure de la communauté la valeur patrimoniale de la faculté de présenter un successeur qui y est attachée", pour finalement approuver les premiers juges d'avoir décidé que "la valeur patrimoniale de la licence de taxi [du mari] faisait partie de l'actif de la communauté". Comme l'ont justement fait remarquer plusieurs auteurs, la distinction permet en réalité essentiellement de concilier les intérêts légitimes de la communauté avec la nécessaire maîtrise exclusive de l'administration des biens attachés au titre, de telle sorte qu'elle règle davantage une question de pouvoirs qu'une question de qualification proprement dite : "le titre prétendument propre", a-t-on écrit, "peut en effet difficilement être considéré comme un bien et n'apparaît, en définitive, que comme un moyen détourné d'assurer à l'époux titulaire la gestion exclusive des biens communs en question" (7).


(1) Cass. civ., 4 janvier 1853, S., 1853, 1, p. 568 ; Cass. req., 6 janvier 1880, S., 1881, 1, p. 49, note Labbé ; Cass. civ. 1, 21 octobre 1959, JCP, 1959, II, 11353, note Becqué.
(2) Cass. civ. 1, 29 avril 1954, JCP, 1954, II, 8249, note Bellet ; Cass. civ. 1, 27 avril 1982, n° 81-11258, L. c/ Dame L. (N° Lexbase : A1922CKE), Bull. civ. I, n° 145 ; Cass. civ. 1, 10 mai 1984, n° 83-10.849, Mme G. c/ K. (N° Lexbase : A0222AHP), Bull. civ. I, n° 152.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 98-17.731, M. Woessner c/ M. Sigrand (N° Lexbase : A7780AHM), Bull. civ. I, n° 283.
(4) Cass. civ. 1, 8 décembre 1987, n° 86-12426, Mme Aigouy c/ M. Canales (N° Lexbase : A6987CGU), Bull. civ. I, n° 333, D., 1989, p. 61, note Malaurie.
(5) Cass. civ. 1, 9 juillet 1991, n° 90-12.503, M. Louis Gelada et autre c/ Consorts Gelada (N° Lexbase : A5108AHN), Bull. civ. I, n° 232, Defrénois, 1991, p. 1333, obs. Le Cannu.
(6) Cass. civ. 1, 18 octobre 2005, n° 02-20.329, Mme Jacqueline Yvon, épouse Briquet c/ Société Société générale, FS-P+B (N° Lexbase : A0184DLE), Bull. civ. I, n° 373, JCP éd. G, 2006, I, 141, n°17, obs. Simler.
(7) F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, Précis Dalloz, 3ème éd., n° 329, spéc. p. 261.

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