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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
En aparté, il est intéressant, à plus d'un titre, de constater que le problème de la représentativité des syndicats est un problème tout ce qu'il y a de plus national ; nos partenaires européens ne connaissant pas les mêmes difficultés, n'ayant pas accordé de prédominance excessive au bénéfice de quelques syndicats, au détriment, de facto, de syndicats émergents et tout aussi représentatifs. En effet, la notion de représentativité syndicale, si elle existe aux Pays-Bas, n'a qu'un sens assez limité. La "pleine capacité juridique" suffit aux syndicats pour conclure des accords collectifs, proposer des listes de candidats pour les élections professionnelles et siéger dans certains organismes de concertation, parmi lesquels le Conseil économique et social. Par ailleurs, la reconnaissance mutuelle des partenaires sociaux prévaut en Allemagne, au Danemark et en Grande-Bretagne ; ainsi, la capacité à négocier est réservée aux organisations qui satisfont à plusieurs critères établis progressivement par la jurisprudence et la doctrine (indépendance, ancienneté, respect des principes démocratiques, capacité à exercer une influence sur les partenaires...). Dans l'entreprise, principal lieu de la négociation collective, l'employeur peut, de manière volontaire, reconnaître un syndicat, qui acquiert ainsi la capacité à négocier. Et, dans les entreprises de plus de vingt salariés, les syndicats qui n'ont pas été reconnus par l'employeur peuvent s'adresser à un organisme public indépendant, le Comité central d'arbitrage, pour se faire reconnaître, notamment, en Grande-Bretagne.
En France, l'accélérateur de la réforme fut, bien entendu, le rapport "Hadas-Lebel" présenté en mai 2006, suivi de l'avis favorable du Conseil économique et social émis en novembre de la même année. La course présidentielle aura ralenti cette velléité de réforme, mais, juin 2007 aura bien fait de commander aux partenaires sociaux de s'asseoir à la table des négociations pour, entre autres, débattre et trouver de nouveaux critères de représentativité des syndicats, aux fins exclusives de renforcer le syndicalisme, et donc la légitimité et la force exécutoire des accords signés à l'issue de toute négociation sociale. La date buttoir du 31 mars 2008 ayant été dépassée, on aurait eu beau jeu de penser que celle de la mi-avril ne serait pas plus respectée, tant les contrariétés entres les différentes positions syndicales étaient tenaces. Mais, désormais, "position commune" il y a.
Cette "position commune" propose que la reconnaissance de la représentativité syndicale soit évaluée en fonction de sept critères : les effectifs d'adhérents et les cotisations, la transparence financière (certification des comptes), l'indépendance, le respect des valeurs républicaines, l'influence (activité, implantation, etc.), une ancienneté de deux ans minimum, ainsi que l'audience établie à partir des élections professionnelles (élections aux comités d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel). Pour ce dernier critère, un seuil de 10 % des "suffrages valables exprimés" est fixé. Un syndicat pourrait négocier uniquement au niveau auquel il a été reconnu représentatif (entreprise, branche, national). Pour être valide, un accord devrait avoir reçu la signature d'un ou de plusieurs syndicats ayant recueilli seul ou ensemble au moins 30 % des suffrages exprimés et ne pas rencontrer l'opposition des syndicats ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés. Cette disposition s'appliquerait dès le 1er janvier 2009 au niveau de l'entreprise et d'ici cinq ans dans les autres cas. Il reste aux cinq syndicats actuellement représentatifs des salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) et des organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA) qui ont mené les négociations, à signer cette position, afin de pouvoir, ensuite, servir de base à l'élaboration d'un projet de loi.
"Ceux qui s'avancent trop précipitamment reculeront encore plus vite" nous enseigne la sagesse chinoise. Alors, pour bien marquer que l'affaire n'est toutefois pas "dans le sac", la Cour de cassation, le 16 avril 2008, a confirmé l'annulation, sur le fondement de la discrimination (d'un nouveau genre, puisqu'en l'espèce, elle était en défaveur des plus forts, c'est-à-dire des syndicats irréfragablement représentatifs) de la délibération du comité interentreprises du groupe d'une banque qui avait modifié les conditions de prise en charge, au titre des activités sociales et culturelles, des frais exposés par les salariés partant en congé de formation économique, sociale et syndicale, en répartissant la dotation globale affectée à cette prise en charge entre les organisations syndicales en fonction de leur représentativité au sein du groupe, les salariés bénéficiant, alors, du remboursement de leurs frais par le comité d'entreprise dont ils dépendent dans la limite de la dotation attribuée au syndicat organisateur du stage choisi par eux. Afin de permettre la prise en charge des frais exposés par les salariés suivant une formation dispensée par un organisme agréé n'appartenant pas aux cinq confédérations syndicales représentatives, le comité interentreprises avait, en outre, par une seconde délibération, affecté une somme à ces autres formations.
Deux solutions s'offraient, donc, au comité interentreprises du groupe : doter inéquitablement, selon le critère de la représentation de chaque syndicat au sein du groupe, ou élever le montant de la dotation globale, de manière à ce que tous les représentants de tous les syndicats du groupe puissent partir en congé de formation. Dans les deux cas, il était vivement critiqué que le comité interentreprises du groupe rende justice sous son chêne, même aux fins louables d'une répartition légitime des fonds de subvention, avant que les partenaires sociaux n'aient décidé d'accepter l'idée même d'une réforme de la représentativité et que le Parlement n'ait entériné cette réforme.
Mais, au-delà de la polémique, convenons avec Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, que la décision retenue mérite de retenir l'attention en ce qu'elle démontre qu'une discrimination, pour ne pas être directe, n'en reste pas moins réelle et condamnable, spécialement lorsqu'elle revient à prendre en compte l'appartenance ou les choix syndicaux des salariés.
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