Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-40.273, Société Oce Business services et a. c/ Syndicat CGT Oce France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3373D73)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Il résulte des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail que le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation, par le chef d'entreprise, d'un accord d'entreprise qui intéresse l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise. A défaut, la dénonciation demeure sans effet jusqu'à l'accomplissement de cette formalité. |
Commentaire
1. L'obligation de consulter le comité d'entreprise en cas de dénonciation d'un accord collectif
En application de l'alinéa 1er de l'article L. 432-1 du Code du travail , "dans l'ordre économique, le comité d'entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel". Cette disposition revêt une importance capitale dans la mesure où elle pose le principe d'une compétence générale du comité d'entreprise dans l'ordre économique. Il faut donc comprendre que le chef d'entreprise peut être tenu d'informer et de consulter l'institution représentative du personnel en cause, alors même qu'aucun texte spécifique ne l'exige. Le texte précité doit être combiné avec l'alinéa 1er de l'article L. 431-5 qui dispose que "la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise". Il en résulte que le chef d'entreprise doit consulter le comité d'entreprise avant de prendre une décision ayant pour objet l'une des questions ou mesures mentionnées à l'article L. 432-1.
La Cour de cassation a su tirer profit de ces deux articles. On se souvient, en effet, que par un retentissant arrêt en date du 5 mai 1998, elle a affirmé qu'"il résulte de la combinaison des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail que la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise quand elle porte sur l'une des questions ou mesures visées par le second de ces textes, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la décision en cause est une décision unilatérale ou prend la forme de la négociation d'un accord collectif d'entreprise portant sur l'un des objets soumis légalement à l'avis du comité d'entreprise" (1).
Cette solution n'allait pas de soi dans la mesure où, notamment, la "décision" visée par l'article L. 431-5 du Code du travail semble plutôt renvoyer à la décision unilatérale du chef d'entreprise. Toutefois, cela étant acquis, restait, alors, à régler la question de la dénonciation d'un accord collectif par l'employeur. Dans un arrêt particulièrement motivé rendu le 6 mars 2002, la cour d'appel de Paris avait apporté certains éléments de réponse en jugeant que, "loin de violer les textes relatifs à la consultation du comité d'entreprise, le juge des référés en fait, au contraire, une exacte application en privant d'effet la dénonciation par l'employeur d'une convention collective d'entreprise non précédée d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise et en décidant qu'une éventuelle poursuite de la procédure de dénonciation devait être précédée d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise. Malgré son caractère discrétionnaire, la dénonciation d'une convention collective constitue, en effet, une décision ayant des conséquences évidentes sur l'emploi, la formation et les conditions de travail des salariés" (2).
Eu égard à la position adoptée par la Cour de cassation dans l'arrêt "EDF" de 1998 et à la lettre même de la loi, il ne faisait guère de doute que celle-ci reprendrait la solution de la cour d'appel de Paris. C'est chose faite avec l'arrêt rapporté. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "il résulte des articles L. 431-5 et L. 432-1 du Code du travail que le comité d'entreprise doit être consulté sur la dénonciation, par le chef d'entreprise, d'un accord d'entreprise qui intéresse l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise". A dire vrai, cette solution encourt moins la critique que celle issue de l'arrêt de 1998 (3). En effet, la dénonciation d'un accord collectif est, par essence, un acte unilatéral. Or, ainsi qu'il a été déjà mentionné, la "décision" évoquée par l'article L. 431-5 est, d'abord et avant tout, la décision unilatérale du chef d'entreprise.
Cette qualification ne suffit, cependant, pas à déclencher l'obligation de consultation du comité d'entreprise. Encore faut-il, en application de l'article L. 432-1 du Code du travail, que la décision en cause soit "notamment, de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel". On admettra qu'il y a bien peu d'hypothèses dans lesquelles la dénonciation d'un accord d'entreprise n'aura pas, de près ou de loin, de conséquences sur, au moins, l'un des points visés par ce texte. Bien plus, on est tenté de dire que les conséquences de la dénonciation importent peu. En effet, il faut rappeler que l'article L. 432-1 prescrit de consulter le comité sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise. Par conséquent, et ainsi que le souligne la Cour de cassation, il suffit que l'accord dénoncé intéresse l'une de ces questions.
Il est, par suite, pour le moins difficile de souscrire à l'argumentation développée dans le pourvoi selon laquelle la dénonciation d'un accord collectif n'a pas pour effet de modifier les règles en vigueur dans l'entreprise, l'accord dénoncé trouvant à s'appliquer jusqu'à la conclusion d'un accord de substitution ou, au moins, pendant un certain délai de survie. On se bornera à relever que l'article L. 432-1 vise "les mesure de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail" (4). Or, il est difficile de contester que la dénonciation d'un accord de réduction du temps de travail n'est pas, notamment, de nature à affecter la durée du travail.
Au total, et pour en rester au plan des principes, la solution retenue par la Cour de cassation, dans l'arrêt sous examen, doit être pleinement approuvée. Il importe, maintenant, d'en mesurer la portée.
Etant acquis que la dénonciation d'un accord collectif d'entreprise intéressant l'organisation, la gestion ou la marche de l'entreprise, doit être précédée de la consultation du comité d'entreprise, il convient d'apporter les précisions suivantes.
Tout d'abord, le comité devra, évidemment, être consulté préalablement à la dénonciation, au stade du "projet" de dénonciation (5). Ensuite, "si une dénonciation d'accord n'a pas à être motivée, en revanche, la consultation peut, sur le plan pratique, rapidement se transformer en justification devant le comité d'entreprise. Il est, dès lors, évident qu'aucun employeur ne peut prendre le risque de se lancer dans une telle dénonciation sans avoir préalablement préparé un argumentaire sur sa motivation et une ouverture sur la suite qui sera donnée à la dénonciation" (6).
Enfin, dans la mesure où la dénonciation d'un accord collectif doit être précédée de la consultation du comité d'entreprise, il faut, alors, considérer que la même procédure doit être suivie lorsque l'employeur dénonce un usage (7), voire lorsqu'il démissionne du groupement patronal dont il faisait partie (8). Cette exigence entraînera des changements importants car, qu'il s'agisse de la dénonciation d'un usage ou de la démission du groupement patronal, ces deux décisions sont, pour l'heure, soumises à une simple information, qu'elle soit collective pour la démission (C. trav., art. L. 135-8, al. 2 N° Lexbase : L5721ACU, art. L. 2262-6, recod. N° Lexbase : L0600HXI) ou, à la fois, collective et individuelle pour l'usage (9).
2. La sanction du défaut de consultation
L'employeur qui ne respecte pas l'obligation de consulter le comité d'entreprise, avant de dénoncer un accord collectif, encourt une pluralité de sanctions. Tout d'abord, il peut faire l'objet d'une condamnation pénale sur le fondement du délit d'entrave. Ensuite, il encourt des sanctions civiles sur lesquelles il convient de s'arrêter.
Ainsi que le rappelle un auteur, il découle du droit commun qu'"un acte juridique fait en violation des formes requises est, en principe, nul, dès lors que ces formes ont pour objet d'influer sur le fond de l'acte. Or, la consultation du comité d'entreprise est bien une formalité substantielle de ce type : elle n'a de sens que comme un moyen d'influence au fond des représentants du personnel sur les décisions de l'employeur" (10).
En l'espèce, la Cour de cassation n'évoque pas la nullité de la dénonciation intervenue sans que le comité ait été préalablement consulté, mais souligne que celle-ci "demeure sans effet jusqu'à l'accomplissement de cette formalité". Le résultat est, cependant, le même, puisque cette absence d'effet conduit à retenir que l'accord irrégulièrement dénoncé reste en vigueur. En ne consultant pas le comité d'entreprise, l'employeur ne viole pas seulement les prérogatives de cette institution, il porte atteinte au droit des salariés de participer, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective de leurs conditions de travail et à la gestion de l'entreprise. La nullité de l'acte juridique, ou encore son absence d'effets, est, de ce fait, parfaitement justifiée.
Au-delà, il faut encore admettre que le juge des référés est à même, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC), de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Il peut, par suite, prononcer la suspension des décisions arrêtées par le chef d'entreprise sans avoir été soumises, pour avis, au comité d'entreprise. L'arrêt rapporté démontre que le juge des référés peut, en outre, mettre fin à des mesures prises par le chef d'entreprise consécutivement à la décision qui aurait dû être soumise au comité d'entreprise. Il s'agissait, en l'espèce, d'une note de service relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail (11).
Ainsi que nous l'avons vu précédemment, dans la mesure où la dénonciation irrégulière ne produit aucun effet, l'acte juridique affecté par celle-ci reste en vigueur tant que cette formalité n'a pas été accomplie. On imagine, sans peine, les conséquences pratiques d'une telle sanction : tous les accords collectifs dénoncés sans que le comité d'entreprise ait été consulté préalablement sont restés en vigueur dans les entreprises concernées et les salariés sont donc à même de s'en prévaloir.
Lourde de conséquences pour l'employeur, cette situation peut, cependant, être, à notre sens, évitée, si un accord a été conclu avant la fin de la période de survie de l'acte dénoncé. On sait qu'un tel accord se substitue immédiatement à celui qui a été dénoncé, quand bien même il serait moins favorable. En outre, il convient de rappeler que la Cour de cassation a expressément exclu que l'application d'une convention collective conclue en violation des prérogatives du comité puisse être suspendue par le juge (12). Si cette solution peut être critiquée en ce qu'elle constitue une exception difficilement compréhensible au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les sanctions de l'absence de consultation du comité, elle prend, ici, un sens nouveau.
Reste, évidemment, le cas des chefs d'entreprises qui, ces dernières années, n'auront pas pris soin de suivre la recommandation qui leur avait été faite de consulter le comité d'entreprise, avant de dénoncer une convention ou un accord collectif de travail (13). L'addition risque de s'avérer lourde à défaut d'accords de substitution.
Décision
Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-40.273, Société Oce Business services et a. c/ Syndicat CGT Oce France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3373D73) Rejet, CA Paris, 14ème ch., sect. A, 22 novembre 2006, n° 06/08148, Syndicat CGT Oce France et autres c/ Syndicat des travailleurs de la métallurgie (N° Lexbase : A1888DT4) Textes visés : C. trav., art. L. 431-5 (N° Lexbase : L8867G7K) et L. 432-1 (N° Lexbase : L3116HIA) Mots-clefs : accord collectif ; dénonciation ; consultation du comité d'entreprise ; sanction. Liens base : |
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