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N4432BEU
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Vieille tradition française, que chacun souhaiterait voir tomber dans l'obsolescence, remontant à Saint-Vincent de Paul, l'abandon organisé d'enfants nouveau-nés concerne, aujourd'hui encore, près de 600 femmes par an (contre 10 000 par an dans les années 70). Les deux tiers d'entre elles ont moins de vingt-cinq ans ; et la majorité de ces femmes est sans autonomie et sans ressources. Aujourd'hui, on dénombrerait plus de 400 000 personnes nées sous X en France.
Depuis l'ordonnance de 1556, relative à l'obligation de déclaration de naissance luttant contre les infanticides, jusqu'à la loi du 22 janvier 2002, relative à l'accès aux origines personnelles, en passant par le décret-loi du 2 septembre 1941, organisant la gratuité des frais d'hébergement des femmes accouchant anonymement et qui constitue le fondement actuel de l'accouchement sous X, seules deux aspirations étaient légitimement prises en considération : la volonté maternelle de ne pas reconnaître son enfant et d'être déchargée de sa responsabilité naturelle et la volonté de l'enfant de retrouver ses origines biologiques. C'est dans l'équilibre de ces deux aspirations que l'Etat et la jurisprudence ont organisé la procédure d'accouchement sous X et d'abandon inscrite aux articles L. 222-6 et suivants du Code de l'action sociale et des familles.
Pourtant, un troisième parti pourrait bien devoir être, également, pris en compte : celui de la mère accouchant sous X, abandonnant son enfant, mais souhaitant se rétracter -elle se heurte alors non pas à l'anonymat, mais à l'adoption éventuelle de son enfant-. C'est le cas de figure rencontré dans un arrêt du 6 avril 2004 rendu par la Cour de cassation et qui vient de connaître son épilogue auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt rendu le 10 janvier dernier, sur lequel revient, pour nous, cette semaine, Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université de Montesquieu Bordeaux IV. Sur le délai de rétractation légal de deux mois offert à la mère, la Cour considère qu'il s'agit là d'un délai raisonnable pour que cette dernière prenne conscience de son acte et que l'enfant puisse, au terme de ce délai, entamer une procédure d'adoption en qualité de pupille de l'Etat. Sur le consentement éclairé requis de la mère accouchant sous X, la Cour, contrairement à la Haute juridiction française, reconnaît le droit de la mère à être accompagnée et à bénéficier d'un soutien lui permettant de donner ce consentement éclairé. Mais, au cas d'espèce, la Cour précise que la procédure française d'abandon d'enfant garantit justement ce consentement.
Aux termes de l'article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, "l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux". Mais, "la France n'a pas excédé sa marge d'appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question qui soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial". Et la Cour européenne de confirmer sa position soutenue précédemment dans l'arrêt "Odièvre" du 13 février 2003.
Sous la Révolution, la Convention avait ainsi disposé qu'"il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement rétablie de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne". La solution laissait assurément le temps aux mères, en péril social, de revenir sur leurs décisions lourdes d'abandonner leurs enfants, au prix d'une reconstruction psychologique dépassant, malheureusement mais nécessairement,... deux mois.
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