La lettre juridique n°297 du 20 mars 2008 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] Rupture négociée et cotisations sociales

Réf. : Cass. civ. 2, 6 mars 2008, n° 07-40.591, Régie autonome des transports parisiens (RATP), agissant en qualité de Caisse autonome de coordination des assurances sociales de la RATP (CCAS), F-P+B (N° Lexbase : A3374D74)

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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Licenciement et démission constituent les modes de rupture du contrat de travail à durée indéterminée les plus fréquents. La jurisprudence admet, cependant, également, la rupture négociée du contrat de travail, à la suite d'un accord entre l'employeur et le salarié. Des conditions relativement classiques doivent être respectées pour garantir la validité d'un tel mode de rupture du contrat de travail. En particulier, et de façon très évidente, le consentement du salarié doit être parfaitement exempt de toute trace de vice (pour un exemple de motivation particulièrement explicite, v. Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-43.568, FS-P N° Lexbase : A7384A4A). Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 6 mars 2008, est l'occasion d'aborder d'autres aspects qui se révèlent problématiques en matière de rupture négociée du contrat de travail. Se posent, en effet, fréquemment des questions à propos des sommes qui peuvent accompagner une rupture négociée et de leur assujettissement à cotisations de sécurité sociale.
Résumé

A l'occasion d'une restructuration de services, une salariée refusant le transfert de son contrat de travail demande et conclut une rupture négociée. Les sommes allouées à la salariée à l'occasion de cette rupture ont un caractère indemnitaire et ne sont donc pas soumises à cotisations de sécurité sociale, car la rupture du contrat avait pour origine une restructuration de services provoquée par l'employeur.

Commentaire

1. Rupture négociée et autres modes de rupture

En matière de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, le droit du travail réserve une place majeure aux deux modes de résiliation unilatérale que sont le licenciement et la démission. Qu'elle soit à l'initiative de l'employeur ou du salarié, la voie de la résiliation unilatérale du contrat de travail est, en effet, sans nul doute, celle qui est la plus en adéquation avec certaines caractéristiques de la relation de travail salarié, au premier chef desquelles le fameux lien de subordination.

On sait, cependant, que le droit du travail n'est pas complètement hermétique aux principes issus du droit commun des contrats. C'est, ainsi, qu'avec, certes, de nombreuses précautions, la jurisprudence a admis que les parties au contrat de travail puissent rompre ce dernier de manière négociée, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (1). De la même manière, et même si elle ne constitue pas un mode de rupture du contrat, la transaction a trouvé sa place en droit du travail, souvent en articulation avec le licenciement ou la démission.

Pourtant, rupture négociée (ou d'un commun accord) et transaction ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations, notamment, en ce qu'elles sont l'une et l'autre susceptible de constituer des voies d'évitement de certaines obligations issues du droit social (tant sous son versant de droit du travail que sous son versant de droit de la Sécurité sociale).

En principe, la rupture d'un commun accord du contrat de travail n'est possible qu'en l'absence d'un litige sur la rupture du contrat de travail. Les deux parties au contrat de travail, conviennent, par consentement mutuel, de mettre fin au contrat qui les lie. Classiquement, on distingue clairement la rupture d'un commun accord de la transaction. Cette dernière constitue, en elle-même, un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent des contestations à naître (C. civ., art. 2044 N° Lexbase : L2289ABE). Ainsi, la transaction peut être un instrument utilisé pour prévenir ou faire cesser un litige survenu à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail. Dans cette hypothèse, il n'y a pas rupture d'un commun accord du contrat de travail, mais consentement mutuel des parties pour vider un litige relatif à cette rupture. La transaction n'est donc envisageable qu'en cas de litige et elle ne saurait constituer une voie permettant d'éluder les règles du licenciement entourant la rupture unilatérale du fait de l'employeur.

Il est difficilement admissible qu'un même acte emporte, à la fois, rupture amiable et transaction. De la même façon, on ne saurait admettre qu'un accord de rupture négociée ait pour objet de mettre fin à un litige concernant la rupture du contrat de travail. La jurisprudence est bien établie et considère que tout litige sur la rupture du contrat de travail exclut toute rupture d'un commun accord (v., notamment, Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-40.610, M. Milesi c/ M. Serafinos N° Lexbase : A2870ACB).

Pourtant, des décisions montrent régulièrement que les situations concrètes ne sont pas toujours aussi simples. Ainsi, dans certaines hypothèses de rupture négociée, même s'il y a bien eu accord pour rompre, il apparaît, parfois, que l'une des parties a été à l'origine de la rupture. La jurisprudence sociale est loin d'être insensible à ces situations, mais elle s'enferme, parfois, dans des solutions pour le moins assez peu claires.

2. Les étranges contradictions de la décision

La décision rendue le 6 mars 2008 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laisse une impression d'étranges contradictions. Si l'on a bien compris, rupture négociée et transaction ne devraient pas faire bon ménage ou pouvoir s'articuler car elles sont destinées à intervenir dans des situations très distinctes. Si la rupture est réellement négociée, nul besoin de transaction pour régler un litige qui n'existe manifestement pas. Si une transaction est utile, c'est que les parties ont connu un litige qui touche, par exemple, la décision de rupture du contrat de travail (spécialement le licenciement). La décision du 6 mars 2008 paraît, cependant, jouer sur les deux tableaux de la rupture négociée et de la transaction.

En effet, la deuxième chambre civile ne remet pas en cause la rupture négociée du contrat de travail conclue entre la salariée et son employeur. Mais, dans le même temps, la juridiction retient que les sommes versées à la salariée à l'occasion de cette rupture ont une nature indemnitaire et ne doivent donc pas être soumises à cotisations sociales. Or, habituellement, les indemnités versées à l'occasion d'un départ volontaire du salarié sont soumises à cotisations (v. notamment, Cass. soc., 6 janvier 1998, n° 94-21.159, Urssaf de Paris c/ Société Rhône-Poulenc Chimie N° Lexbase : A2133AAA). A l'inverse, les indemnités versées à l'occasion d'une transaction, qui fait suite à la rupture d'un contrat de travail, sont, dans certaines limites, habituellement exonérées de cotisations de sécurité sociale, au moins pour la partie qui correspond à la réparation du préjudice né de la cette rupture. En l'espèce, la Cour de cassation ne remet pas en cause la rupture négociée, mais soumet les sommes versées à cette occasion au régime social des indemnités transactionnelles destinées à compenser un préjudice.

La solution retenue par la deuxième chambre civile peut laisser perplexe, elle était, pourtant, tout à fait prévisible eu égard à d'assez nombreuses décisions antérieures du même type. En effet, dans des espèces voisines, la même solution est, souvent, retenue. C'est, en particulier, le cas depuis une décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en ce sens (Ass. plén., 2 avril 1993, n° 89-15.490, Société Jeumont-Schneider N° Lexbase : A6238ABN) : "les indemnités, versées par l'employeur aux salariés qui acceptent de quitter volontairement l'entreprise et qui ont, comme les indemnités légales ou conventionnelles de licenciement, le caractère de dommages-intérêts, compensant le préjudice né de la rupture du contrat de travail, ne doivent pas être incluses dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale". La Cour de cassation ne remet pas en cause le fait que les salariés concernés ont accepté de quitter l'entreprise, mais elle fonde manifestement sa décision sur le fait qu'ils n'étaient pas à l'origine de la rupture de leur contrat de travail.

L'espèce du 6 mars 2008 est dans la même lignée, lorsqu'il insiste sur le fait que "la rupture du contrat de travail [...] a pour origine la restructuration de certains services [...] et [...] qu'elle a été provoquée par l'employeur". L'accent est mis sur l'origine de la rupture, sur son initiative. Le même raisonnement est suivi en matière d'assurance chômage. A cet égard, on sait que le bénéfice des allocations chômage est, en principe, réservé aux salariés involontairement privés d'emploi. En toute rigueur, le salarié ayant conclu avec son employeur une rupture négociée de son contrat de travail ne devrait pas être susceptible de percevoir des allocations chômage. L'assurance chômage adopte, cependant, une position plus nuancée. S'il apparaît, en effet, que la rupture négociée a un motif économique, la situation du salarié est considérée comme relevant du chômage involontaire susceptible d'ouvrir droit à allocations chômage.

Mais alors, dans les cas de rupture provoquée par l'employeur, pourquoi ne pas écarter la qualification de rupture négociée pour privilégier la voie du licenciement ? En effet, cette dernière se trouve finalement souvent éludée. On ne peut s'empêcher de poser la question à la lecture de certains passages de l'arrêt de la cour d'appel de Paris dont la solution est confirmée par l'arrêt ici commenté : "Mme B. a contesté auprès de la CCAS la ponction ainsi effectuée par elle, en faisant valoir qu'elle ne l'avait pas avisée de cet assujettissement qui était contraire, tant à la teneur qu'à l'esprit de leur accord, lequel, précisait-elle, n'avait eu, en réalité, pour objet, compte tenu des circonstances de sa conclusion, que de permettre à la CCAS d'échapper aux conséquences d'un licenciement"... (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 30 novembre 2006, n° 05/06526, Mme Catherine Bassila N° Lexbase : A5736DXQ).


(1) Le Code du travail envisage expressément la possibilité d'une rupture d'un commun accord pour les contrats à durée déterminée.
Décision

Cass. civ. 2, 6 mars 2008, n° 07-40.591, Régie autonome des transports parisiens (RATP), agissant en qualité de Caisse autonome de coordination des assurances sociales de la RATP (CCAS), F-P+B (N° Lexbase : A3374D74)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 30 novembre 2006, n° 05/06526, Mme Catherine Bassila (N° Lexbase : A5736DXQ)

Textes concernés : CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L3404HWY)

Mots clefs : rupture du contrat de travail ; rupture d'un commun accord ; indemnités de rupture ; caractère indemnitaire ; assiette des cotisations de sécurité sociale.

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