Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Ni la Directive 94/45 CE (N° Lexbase : L8165AUX), ni la Directive 2002/14/CE (N° Lexbase : L7543A8U) ne portent atteinte aux systèmes nationaux dans le cadre desquels s'exerce concrètement le droit d'information des travailleurs. En conséquence, il appartient au seul expert comptable désigné par le comité d'entreprise, par application de l'article L. 434-6 du Code du travail (N° Lexbase : L8967G7A), de déterminer les documents utiles à l'exercice de sa mission, laquelle porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise. |
Commentaire
I. Le droit communautaire sans influence sur la faculté de l'expert-comptable d'exiger des documents comptables
Aux termes de l'article L. 434-6 du Code du travail, "le comité d'entreprise peut se faire assister d'un expert-comptable de son choix en vue de l'examen annuel des comptes". La mission de cet intervenant "porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise" et il a, pour cela, accès "aux mêmes documents que le commissaire aux comptes".
Le pouvoir de recourir à l'expert-comptable bénéficie à tous les comités de l'entreprise, qu'il s'agisse du comité d'établissement (3), du comité de groupe (4) ou, encore, du comité d'entreprise européen (5). Ainsi, la consultation concomitante du comité d'entreprise et du comité d'entreprise européen ne devrait pas faire difficulté.
En revanche, la question pouvait se poser de savoir si les textes communautaires n'entraînaient pas la restriction des informations perçues par le comité d'entreprise, par l'effet de l'identification des informations dont pouvait être destinataire le comité d'entreprise européen.
En effet, la Directive 2002/14/CE dispose que les institutions représentatives du personnel établies sur le territoire d'un Etat membre ont droit à une information à un "niveau approprié" et avec un "contenu approprié" (6). Par ailleurs, la Directive CE 94/45 précise que le comité d'entreprise européen voit sa compétence "limitée à l'information et à la consultation sur les questions qui intéressent l'ensemble de l'entreprise de dimension européenne ou au moins deux établissements ou entreprises du groupe situés dans des Etats membres différents". Une interprétation extensive de ces textes pouvait laisser penser, comme le soulevaient les requérants, que le comité d'entreprise européen ne devait être informé que d'éléments d'un niveau et d'un contenu "appropriés" (7).
Il ne restait plus, alors, qu'un pas pour étendre ces restrictions aux documents que l'expert-comptable peut exiger lorsqu'il assiste un simple comité d'entreprise.
En l'espèce, un comité d'entreprise avait fait appel à un expert-comptable pour l'assister dans l'examen des comptes annuel de 2004 et des documents prévisionnels de 2005. Afin de mener à bien sa mission, l'expert avait exigé que lui soit fournies des informations relatives à d'autres sociétés du groupe auquel appartenait l'entreprise et, spécialement, des documents comptables de la société mère dont le siège s'établit aux Pays-Bas. Face au refus de l'entreprise de procurer ces documents, le comité d'entreprise et le cabinet d'expertise demandèrent, en référé, que soit ordonnée la transmission de ces documents.
Alors que la cour d'appel faisait droit à cette demande, l'entreprise formait un pourvoi en cassation, arguant d'une limitation des documents dont l'expert-comptable pouvait exiger la transmission sur le fondement des Directives communautaires évoquées.
La Cour de cassation refuse une telle extension de l'interprétation des textes communautaires en estimant que "ni la Directive 94/45 CE, ni la Directive 2002/14/CE ne portent atteinte aux systèmes nationaux dans le cadre desquels s'exerce concrètement le droit d'information des travailleurs". L'interprétation de ces textes doit donc être strictement limitée au fonctionnement du comité d'entreprise européen, sans pouvoir avoir d'influence sur le recours à l'expert-comptable par le comité d'entreprise.
Cette solution paraît raisonnable. En effet, la Directive 94/45 CE ne concerne pas l'ensemble des institutions représentatives du personnel mais, seulement, le comité d'entreprise européen. S'il peut, éventuellement, paraître légitime que l'information de ce comité soit moins étendue puisqu'elle ne fait que se surajouter à des instances déjà présentes au niveau interne dans la plupart des législations européennes, il n'y aurait, en revanche, aucune raison d'étendre par analogie le raisonnement aux instances représentatives internes, non concernées directement par le texte.
Quant à la Directive 2002/14/CE, si elle exige des informations d'un niveau et d'un contenu appropriés, elle ne fournit aucune indication sur ce caractère approprié, si bien que les législations nationales de transpositions peuvent librement fixer cet élément. Or, le Code du travail ouvre largement le pouvoir des experts-comptables, si bien qu'aucune restriction fondée sur la Directive ne peut s'imposer.
II. Une solution manifestant le caractère particulièrement étendu des pouvoirs de l'expert-comptable assistant le comité d'entreprise
Les moyens soulevaient un autre argument s'appuyant sur l'élément d'extranéité caractéristique des groupes de société à dimension internationale. La Cour de cassation devait trancher, ici, entre deux arguments antagonistes.
D'un côté, l'article L. 434-6, alinéa 3, du Code du travail renvoie explicitement aux pouvoirs du commissaire aux comptes pour déterminer les documents auxquels l'expert a accès. Or, l'article L. 823-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L3049HCW) précise que les investigations du commissaire aux comptes "peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l'entité dont les commissaires aux comptes sont chargés de certifier les comptes que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle". En application de ce texte, il ne faisait, alors, aucun doute que les documents de la société mère puissent être exigés par l'expert-comptable (8).
D'un autre côté, l'entreprise requérante avançait le "principe de territorialité" du droit français, au nom duquel les dispositions du Code du travail français ne devraient pouvoir s'imposer à une société de droit néerlandais.
Là encore, la Chambre sociale ne se laisse pas convaincre par cette argumentation et estime qu'il appartient à l'expert-comptable "de déterminer les documents utiles à l'exercice de sa mission, laquelle porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise". Celui-ci est donc en droit d'exiger les documents comptables de la société mère néerlandaise, dans la mesure où ces documents sont nécessaires à la compréhension de la situation financière de l'entreprise.
La décision doit, une nouvelle fois, être approuvée. D'un point de vue juridique, le principe de territorialité ne paraît pas être entravé par la simple fourniture de documents comptables, principalement parce que la demande de transmission de ces éléments n'était pas adressée à la société mère étrangère, mais directement à l'entreprise qui les avait en sa possession. En outre, par analogie avec les pouvoirs des commissaires aux comptes, seul le principe de territorialité du droit pénal s'oppose à ce que des mesures soient prises à l'encontre d'une société étrangère, la transmission de documents comptables n'étant, dès lors, manifestement pas concernée par une telle règle (9).
Mais c'est, surtout, d'un point de vue pratique que la solution est particulièrement opportune, tant l'appréciation de la santé financière et économique d'une entreprise inscrite dans un groupe, a fortiori de dimension internationale, ne peut s'effectuer convenablement sans l'observation de divers éléments relatifs au reste du groupe. C'est, d'ailleurs, ce type de considération qui a présidé à l'émergence du groupe comme unité de représentation, qu'il s'agisse de l'apparition du comité de groupe (10) ou de la possibilité de conclure des accords collectifs au niveau du groupe (11).
Enfin, d'une manière plus générale, la façon dont la motivation de la Cour de cassation est rédigée, laissant le soin à l'expert-comptable de déterminer les documents qui lui sont nécessaires, va nettement dans le sens d'un élargissement des pouvoirs de l'expert-comptable en droit du travail. Quoi que l'on en pense, l'expert est, désormais, une pièce essentielle de la compréhension de l'information au comité d'entreprise et la Cour de cassation entend bien se poser en garante de ce pouvoir (12).
La Cour de cassation ménage, néanmoins, une exception. En effet, la Chambre sociale estime que l'entreprise n'avait jamais "soutenu qu'elle aurait été dans l'impossibilité de produire les documents demandés" et que ces documents avaient déjà "été communiqués pour des exercices antérieurs". Par une interprétation a contrario, on peut en déduire que l'entreprise pourra s'exonérer de l'obligation de transmettre les documents comptables de la société mère étrangère, à partir du moment où elle prouvera qu'elle était dans l'impossibilité de fournir ces documents.
En réalité, seul un refus de la société mère de transmettre ces documents à l'entreprise française semblerait en mesure de constituer une telle impossibilité, ce qui, il faut bien le reconnaître, paraît peu probable, tant le fonctionnement économique des différentes entités d'un groupe est entrelacé.
Décision
Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W) Rejet, CA Versailles, référé, 10 janvier 2007 Textes cités : Directive (CE) 94/45 du 22 septembre 1994, concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs (N° Lexbase : L8165AUX) ; Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne (N° Lexbase : L7543A8U) ; et C. trav., art. L. 434-6 (N° Lexbase : L8967G7A). Mots-clés : Information des représentants du personnel ; comité d'entreprise ; expert comptable ; documents utiles à l'exercice de sa mission ; groupe à dimension internationale. Liens base : |
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