Réf. : CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Droit au respect de la vie familiale. Devant la Cour européenne des droits de l'Homme, madame K. se fonde sur le droit à la vie familiale et soutient d'une part que le délai de rétractation lui permettant de revenir sur l'abandon de son enfant était trop court (I), d'autre part, qu'elle n'avait pas été suffisamment informée des modalités de restitution de son enfant (II).
I - Le délai de rétractation
Madame K. soutenait que le délai de rétractation de deux mois prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 224-6 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5362DKS) constitue une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie familiale. Ce texte dispose que "dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle il a été déclaré pupille de l'Etat à titre provisoire [au moment où il est recueilli par le service de l'aide sociale à l'enfance], l'enfant peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par celui de ses père ou mère qui l'avait confié au service". Au-delà de ce délai de deux mois, la demande de restitution de l'enfant par son parent est recevable mais soumise à l'appréciation du tuteur de l'enfant. En pratique, l'enfant né sous X est rapidement placé en vue de son adoption et la volonté tardive de la mère de reprendre son enfant est le plus souvent vouée à l'échec (3).
Intérêt supérieur de l'enfant. Pour la plupart des auteurs, la protection du consentement de la mère pour abandonner son enfant dans le cadre de l'accouchement sous X était très insuffisante, surtout si on la compare à celle dont elle bénéficie dans le cadre de l'adoption ou avec les garanties qui entourent la déclaration judiciaire d'abandon de l'article 350 du Code civil (N° Lexbase : L8900G9I) (4). La Cour européenne des droits de l'Homme estime pourtant que, parmi les différents intérêts en présence dans le cadre de l'accouchement sous X, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer. L'argument opposé par le Gouvernement français, selon lequel la brièveté du délai permet à l'enfant de bénéficier rapidement de relations affectives stables au sein d'une nouvelle famille et de s'inscrire dans une filiation, a emporté la conviction des juges européens, la diversité des législations européennes en matière de rétractation du consentement des parents à l'abandon ou à l'adoption de leur enfant permettant, par ailleurs, à la France de disposer d'une large marge d'appréciation en la matière. La Cour européenne considère ainsi que "si le délai de deux mois peut sembler bref, il paraît néanmoins suffisant pour que la mère biologique ait le temps de réfléchir et de remettre en cause le choix d'abandonner l'enfant".
II - L'information de la mère
Nécessité du consentement. La requérante soutenait, également, que les autorités françaises n'ont pas pris toutes les dispositions pour qu'elle comprenne exactement la portée de ses actes. Ce faisant, elle tentait de démontrer qu'en réalité son consentement n'avait pas été suffisamment éclairé. Cet argument avait été balayé par la Cour de cassation qui avait considéré, de manière sans doute excessive, que le consentement à l'abandon de son enfant par la femme ayant accouché sous X n'est pas nécessaire puisqu'aucun lien de filiation n'est établi. La Cour européenne ne semble pas faire la même analyse. En procédant à un examen minutieux de l'information reçue par la requérante dans les jours qui ont suivi son accouchement, elle établit, au contraire, la nécessité de s'assurer du caractère éclairé du consentement de la femme. Pour la Cour européenne, le droit à la vie familiale, applicable en l'espèce, peut être atteint alors même qu'aucun lien de filiation n'a été établi entre l'enfant et son parent biologique. Le raisonnement de la Cour de cassation paraît ainsi condamné par l'arrêt "Kearns".
Caractère éclairé du consentement. Toutefois, la Cour européenne considère que, en l'espèce, le droit au respect de la vie familiale de la requérante n'a pas été violé parce qu'elle a reçu une information suffisante et détaillée, aussi complète que possible, sur les conséquences de son choix d'accoucher sous X, ainsi que sur les délais et les modalités pour rétracter son consentement. La Cour constate, notamment, que la requérante, certes de nationalité étrangère, était accompagnée de sa mère et d'un avocat, qu'elle a bénéficié d'une assistance linguistique non prévue par les textes (5), qu'elle s'est entretenue à deux reprises avec les représentants des services sociaux après son accouchement. La requérante a, également, reçu les documents prévus par la loi du 22 janvier 2002 et le décret n° 2002-781 du 3 mai 2002 ([LXB=PANIER]) qui informent la mère de la date à laquelle sa décision d'abandon sera définitive et des modalités concrètes de sa rétractation. Le décret prévoit même que le document d'information émanant du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), qui précise les délais et conditions de restitution de l'enfant, est accompagné d'un modèle de lettre de demande de restitution de l'enfant. La Cour conclut de ces éléments que "dès lors, aucune ambiguïté ne pouvait subsister dans l'esprit de la requérante sur le délai dont elle bénéficiait pour réclamer la restitution de sa fille".
(1) La Cour européenne a déjà admis la conformité de l'accouchement sous X au droit à la vie privé dans l'arrêt "Odièvre c/ France" : CEDH, 13 février 2003, Req. 42326/98, Odièvre (N° Lexbase : A9676A47), JCP éd. G, 2003, I, 120, étude P. Malaurie, JCP éd. G, 2003, II, 10049, obs. A. Gouttenoire et F. Sudre ; RTDCiv., 2003, p. 276, obs. J. Hauser et p. 375 obs. J.-P. Marguénaud.
(2) Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 03-19.026, Préfet du Nord, ès qualités de tuteur de l'enfant Ella, Karen, Isabel, née le 18 février 2002 c/ Mme Karen Kearns, épouse Taher, FS-P (N° Lexbase : A8479DBN), AJFamille, 2004, p. 241, obs. F. Bicheron, RTDCiv., 2004, p. 242, obs. J. Hauser ; Dr. fam., 2004, comm. n° 120, obs. P. Murat, RTDSanit et soc., 2004, p. 691, note F. Moneger, D., 2005, pan. p. 1748 obs. F. Granet.
(3) J. Massip, La remise de l'enfant à l'aide sociale en cas d'accouchement anonyme, D., 1997, p. 587.
(4) D. Fenouillet et F. Terré, Droit civil, Les personnes, la famille, les incapacités, Précis Dalloz, 2005, 7ème éd., n° 736.
(5) La Cour est d'avis que l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) ne saurait s'interpréter comme exigeant des autorités, dans un tel cas, qu'elles assurent la présence d'un interprète qualifié.
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