La lettre juridique n°290 du 31 janvier 2008 : Baux commerciaux

[Textes] Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (première partie) (*)

Réf. : Décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007, relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (N° Lexbase : L6840H3Q)

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[Textes] Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (première partie) (*). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209769-textespublicationdudecretrelatifaudroitdepreemptiondescommunessurlesfondsdecommercel
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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

En vue de permettre aux commerces de première nécessité et de proximité de se maintenir en milieu rural et dans certains quartiers des grandes villes, le législateur a reconnu aux communes un droit de préemption, en cas de cession de fonds de commerce ou artisanal ou de bail commercial (article 58 de la loi du 2 août 2005 n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK). Ces nouvelles dispositions n'étaient, toutefois, pas applicables, tant qu'un décret, pris en Conseil d'état, n'en avait pas précisé les conditions d'application (C. urb., art. L. 214-3 N° Lexbase : L5589HBM). Le décret d'application a été publié le 28 décembre 2007, soit plus de deux ans après la création de ce droit. Le nouveau droit de préemption ne semble, toutefois, toujours pas applicable, dans la mesure où le nouvel article R. 214-4 du Code de l'urbanisme subordonne sa mise en oeuvre à l'édiction, par arrêté interministériel, des formes de la déclaration préalable prévue au deuxième alinéa de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5587HBK). Le décret commenté crée, dans la partie réglementaire du Code de l'urbanisme, au titre Ier du livre II, un nouveau chapitre IV intitulé "Droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les baux commerciaux".

Seront étudiées, dans le cadre du présent commentaire, les dispositions relatives au champ d'application et aux modalités de mise en oeuvre du droit de préemption. Ses effets seront étudiés dans un prochain commentaire.

I - Champ d'application du droit de préemption

A - Champ d'application géographique

Il appartient au conseil municipal de délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel seront soumises au droit de préemption les cessions de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux (C. urb., art. L. 214-1).

Il ne s'agit que d'une faculté et, à défaut de délibération en ce sens, la commune ne bénéficie d'aucun droit de préemption.

Les nouveaux articles R. 214-1 et R. 214-2 du Code de l'urbanisme précisent les modalités selon lesquelles une commune pourra prendre cette décision.

Le projet de délibération devra, ainsi, être soumis pour avis à la chambre de commerce et d'industrie et à la chambre des métiers et de l'artisanat dans le ressort desquelles se trouve la commune. Il devra être accompagné :

  • du projet de plan délimitant le périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité ;
  • d'un rapport analysant, d'une part, la situation du commerce et de l'artisanat de proximité à l'intérieur de ce périmètre et, d'autre part, les menaces pesant sur la diversité commerciale et artisanale.

L'avis de ces deux chambres sera réputé favorable, en l'absence d'observations, dans les deux mois de leur saisine. Le texte est silencieux sur les conséquences d'un avis négatif.

La délibération doit, enfin, faire l'objet de mesures de publicité et d'information, dans les conditions prévues à l'article R. 211-2 du Code de l'urbanisme ([LXB=L8018ACX ]), dont il convient de relever que le second alinéa subordonne les effets juridiques de la délibération instituant un droit de préemption à l'accomplissement de ces mesures.

B - Champ d'application au regard des opérations visées

Aux termes de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme, le droit de préemption porte sur les "cessions de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux".

Le nouvel article R. 214-3 du Code de l'urbanisme ne vise pas le terme "cession", mais l'expression "aliénation à titre onéreux". En effet, aux termes de ce texte, le droit de préemption peut s'exercer "sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce ou les baux commerciaux lorsqu'ils sont aliénés à titre onéreux". Un auteur (D. Dutrieux, JCP éd. N, 2008, n° 129, p. 3) a fait remarquer que le domaine du droit de préemption s'en trouverait élargi. Ainsi, selon cet auteur, si l'apport d'un fonds de commerce à une société ne pouvait être assimilé à une cession (en ce sens, voir l'article L. 141-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5666AIP, qui distingue les deux opérations), la question se posait de savoir si, compte tenu de la rédaction de l'article R. 214-3 du Code de l'urbanisme, cette opération se trouvait désormais visée ou non au titre des opérations soumises au droit de préemption. Toutefois, la Cour de cassation a pu juger que l'apport du droit au bail à une société devait, au regard des clauses du bail, être analysé en une cession (Cass. civ. 3, 8 juillet 1992, n° 90-16.758, SARL Suffren Fleurs c/ SCI 4, rue Desaix à Paris 15ème N° Lexbase : A8883AHH).

L'article R. 214-3 prévoit, ensuite, certaines exclusions. En effet, ne sont pas soumises au droit de préemption, les aliénations de fonds artisanaux, fonds de commerce ou baux commerciaux, compris dans la cession d'une ou de plusieurs activités prévue à l'article L. 626-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4101HBI) ou dans le plan de cession arrêté en application de l'article L. 631-22 (N° Lexbase : L4033HBY) ou des articles L. 642-1 (N° Lexbase : L9092HGT) à L. 642-17 du Code de commerce. Le but de ces exclusions est d'éviter que le droit de préemption paralyse toute cession et vienne, ainsi, entraver les chances de redressement du débiteur soumis à une procédure de sauvegarde ou de redressement, ou de maintien de l'activité ou d'apurement du passif, dans le cadre d'une liquidation.

II - Modalités d'exercice du droit de préemption - Règles générales

A - La déclaration préalable de l'intention de céder

Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme, le cédant devra, avant chaque cession, effectuer une déclaration préalable à la commune, déclaration qui précisera le prix et les conditions de la cession.

L'article R. 214-4 du Code de l'urbanisme dispose que la déclaration préalable devra être établie dans les formes prescrites par un arrêté du ministre chargé de l'Urbanisme et du ministre de la Justice.

Il prévoit, néanmoins, d'ores et déjà, qu'elle devra être effectuée en quatre exemplaires et être adressée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à la mairie de la commune où est situé le fonds ou l'immeuble dépendant des locaux loués. Elle pourra également être déposée en mairie, contre récépissé.

On rappellera qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme, la sanction du défaut de déclaration est sévère, puisqu'il entraînera la nullité de la cession.

Le texte ne prévoit pas la nature de la nullité encourue. Toutefois, ce droit de préemption revêt un caractère interventionniste et vise la protection d'un intérêt général qu'est la sauvegarde de la diversité commerciale. Il ne fait, donc, guère de doute que sa violation sera sanctionnée par une nullité absolue, qui devrait pouvoir être invoquée, en premier lieu, par la commune, mais également par tout intéressé, par exemple, un acquéreur potentiel éconduit.

L'alinéa 5 de l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme dispose, également, que cette "action en nullité se prescrit par cinq ans à compter de la prise d'effet de la cession" et non à compter de la date de conclusion du contrat, qui peut être différente.

Enfin, le nouvel article R. 214-10 du Code de l'urbanisme donne compétence au tribunal de grande instance du lieu de situation du fonds ou de l'immeuble dont dépendent les locaux loués, pour connaître de cette action en nullité.

B - L'exercice par la commune de son droit de préemption

On rappellera, à titre préalable, que l'article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7906HBG) avait été complété d'un 21° en vue de conférer au maire, par délégation de son conseil municipal, le pouvoir d'exercer, au nom de la commune et dans les conditions fixées par le conseil municipal, ce droit de préemption.

1. Le délai imparti au titulaire du droit de préemption pour se prononcer

L'article L. 214-1, alinéa 3, du Code de l'urbanisme dispose que le silence de la commune pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration vaudra renonciation à l'exercice du droit de préemption et que le cédant pourra réaliser la vente aux prix et conditions figurant dans sa déclaration.

L'article R. 214-5 du Code de l'urbanisme rappelle cette règle, en précisant, d'une part, que la commune qui entend préempter devra faire connaître son intention dans le délai de deux mois courant à compter de la date de réception de la déclaration préalable et, d'autre part, que le silence gardé par le titulaire du droit de préemption au terme de ce délai vaut renonciation à l'exercice de son droit.

2. Le contenu du droit de préemption

L'article R. 214-5 du Code de l'urbanisme dispose, également, que, dans le délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration préalable, le titulaire du droit de préemption doit notifier au cédant :

  • soit sa décision d'acquérir aux prix et conditions indiqués dans la déclaration préalable ;
  • soit son offre d'acquérir aux prix et conditions fixés par l'autorité judiciaire saisie dans les conditions prévues à l'article R. 214-6.

L'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme précise, en effet, que le droit de préemption est exercé selon les modalités prévues pour le droit de préemption urbain (C. urb., art. L. 213-4 N° Lexbase : L7384ACH à L. 213-7). La commune peut, donc, contester le prix et les conditions de la cession envisagée et demander à la juridiction compétente en matière d'expropriation de fixer le prix d'acquisition. Les règles de saisine de la juridiction sont prévues à l'article R. 214-6 du Code de l'urbanisme (voir infra). Le renvoi opéré par l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme à l'article L. 213-7 du même code (N° Lexbase : L7389ACN) devrait permettre, à défaut d'accord sur le prix, au vendeur de renoncer à la cession et, à la commune qui a exercé son droit de préemption, d'y renoncer. Aux inconvénients liés à la durée prévisible d'une procédure en fixation du prix, qui pèseront essentiellement sur le cédant, s'ajoutera celui de pouvoir voir la commune renoncer, à tout moment, à la cession.

  • soit sa décision de renoncer à l'exercice du droit de préemption.

3. La forme de l'exercice du droit de préemption

La titulaire du droit de préemption, qui souhaite exercer ce dernier, doit notifier sa décision au cédant, par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou par remise contre décharge au domicile ou au siège social du cédant (C. urb., art. R. 214-5, al. 2).

Lorsque le cédant est lié par un contrat de bail, une copie de cette notification est adressée au bailleur (même texte).

4. La fixation judiciaire du prix et des conditions de l'offre d'acquérir du titulaire du droit de préemption

Le titulaire du droit de préemption peut offrir de préempter aux prix et conditions fixés par l'autorité judiciaire (voir supra).

Le nouvel article R. 214-6 du Code de l'urbanisme dispose qu'en cas de désaccord sur le prix ou les conditions indiqués dans la déclaration préalable, le titulaire du droit de préemption, qui veut acquérir, saisit, dans le délai fixé à l'article R. 214-5 du Code l'urbanisme (deux mois à compter de la réception de la déclaration préalable), la juridiction compétente en matière d'expropriation, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat de cette juridiction, accompagnée d'une copie en double exemplaire de son mémoire.

Une copie de la lettre de saisine et du mémoire doit être simultanément notifiée au cédant et, le cas échéant, au bailleur.

III - Modalités d'exercice du droit de préemption - Règles spécifiques

A - L'exercice du droit de préemption en cas de cession par voie d'adjudication

Le nouvel article R. 214-7 du Code de l'urbanisme régit de manière dérogatoire le processus de préemption, en cas de cession d'un fonds artisanal, d'un fonds de commerce ou d'un bail commercial par voie d'adjudication.

Dans cette hypothèse, en effet, c'est le commissaire-priseur judiciaire, le greffier de la juridiction ou le notaire chargé de procéder à la vente, selon la nature de l'adjudication, qui procède à la déclaration préalable prévue à l'article L. 214 -1 du Code de l'urbanisme.

Cette déclaration est établie dans les formes de droit commun (C. urb., art. R. 214-4) et indique la date et les modalités de la vente.

Elle est alors adressée au maire, trente jours au moins avant la date fixée pour la vente, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Le titulaire du droit de préemption dispose, ensuite, d'un délai de trente jours à compter de l'adjudication pour notifier, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au greffier ou au notaire sa décision de se substituer à l'adjudicataire.

Il ne peut bénéficier, dans ce cas, de la possibilité de saisir le juge de l'expropriation pour obtenir la fixation d'un nouveau prix. La substitution ne peut intervenir, en effet, qu'au prix et aux conditions de la dernière enchère ou de la surenchère.

Une copie de la décision de préempter devra ensuite être annexée au jugement ou à l'acte de l'adjudication et publiée au bureau des hypothèques, en même temps que celui-ci.

Le greffier, le notaire ou le rédacteur de l'acte, selon les cas, devra, enfin, informer l'adjudicataire évincé de l'acquisition réalisée par voie de préemption.

B - L'exercice du droit de préemption en cas de cession de gré à gré dans le cadre d'une liquidation judiciaire

En cas de cession de gré à gré d'un fonds artisanal, d'un fonds de commerce ou d'un bail commercial, autorisée par le juge-commissaire en application de l'article L. 642-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L3926HBZ), le liquidateur doit procéder, avant la signature de cet acte, à la déclaration préalable prévue à l'article L. 214-1 du Code de l'urbanisme dans les formes prévues à l'article R. 214-7 du même code, relatif à la cession par voie d'adjudication (voir supra).

Le titulaire du droit de préemption peut, alors, exercer son droit dans les conditions également prévues par ce texte, à cette différence qu'en cas d'acquisition par voie de préemption, il incombe au liquidateur d'en informer l'acquéreur évincé.


(*) La deuxième partie de ce commentaire sera publiée dans Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale.

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