Réf. : Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 07-10.597, Société Gaz de France-GDF et a. c/ Comité d'entreprise européen de Gaz de France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7784D3P)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Selon l'article 4-3 de l'accord instituant le comité d'entreprise européen du groupe Gaz de France, "en cas d'évènements exceptionnels susceptibles d'affecter gravement l'intérêt des salariés du groupe (fusion), le comité est réuni et il est, alors, consulté dans un délai suffisant pour que les éléments du débat ou l'avis puissent être intégrés au processus de décision". Ce délai doit permettre au comité de donner un avis au cours du processus devant aboutir à la décision, avant la tenue du conseil d'administration devant arrêter le projet de fusion qui est irréversible, selon les dispositions combinées des articles L. 236-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6356AIA et 254 modifié du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, sur les sociétés commerciales (N° Lexbase : L2613AHA). Les procédures de consultation du comité d'entreprise et du comité d'entreprise européen d'entreprise n'ayant pas le même objet, ni le même champ d'application, les renseignements fournis lors de la réunion du comité d'entreprise n'assurent pas nécessairement une complète information du comité d'entreprise européen. |
Observations
1 La date de consultation du comité d'entreprise européen
Pour ce qui est de déterminer la date à laquelle le comité d'entreprise doit être consulté, l'hésitation n'est pas permise. En effet, en application de l'alinéa 1er de l'article L. 431-5 du Code du travail, "la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise". L'exigence d'antériorité de la consultation par rapport à la décision est logique et parfaitement justifiée. Admettre le contraire reviendrait à mettre le comité d'entreprise devant le fait accompli.
Alors même qu'elle paraît, ainsi, présenter un caractère fondamental, cette exigence d'antériorité n'est pas exprimée à propos de la consultation du comité d'entreprise européen, au moins dans notre législation. Bien plus, si l'on se tourne vers la Directive européenne du 22 septembre 1994, elle laisse à penser que la consultation peut intervenir postérieurement à la décision (1). Une telle interprétation s'avère, néanmoins, critiquable, dans la mesure où elle revient à confiner le comité d'entreprise européen au rôle de simple "chambre d'enregistrement a posteriori" (2). En outre, donner un effet utile à la consultation du comité paraît exiger, au moins dans certains cas, que la consultation intervienne avant que la décision ne soit arrêtée.
Certains juges du fond français ont été sensibles à cette argumentation, n'hésitant pas à imposer la règle de l'antériorité lors de la consultation d'un comité d'entreprise européen. Ce fut, notamment, le cas dans l'affaire "Renault Vilvoorde", qui avait en son temps largement défrayée la chronique (3). Saisie à son tour de la question, la Cour de cassation adopte, dans l'arrêt rapporté, une position similaire sur le fondement de l'accord ayant mis en place le comité d'entreprise européen.
Etait en cause, en l'espèce, le comité d'entreprise européen du groupe Gaz de France, mis en place par un accord du 14 novembre 2001 (4). A la suite de l'annonce d'un projet de fusion entre la société Gaz de France et la Société Suez, le comité d'entreprise européen a été consulté sur le principe de la fusion les 23 mars et 31 mai 2006. La réunion du conseil d'administration de la société devant arrêter le projet de fusion était fixée le 22 novembre 2006. Lors de la réunion du 15 novembre, le comité d'entreprise européen a refusé d'émettre un avis et adopté une résolution aux termes de laquelle, constatant l'insuffisance flagrante d'informations sur les conséquences en matière d'emploi de ce projet de fusion, il a décidé de recourir à une expertise, dont le rapport devait être déposé dans les 10 jours à compter de la remise par GDF des documents nécessaires. Le même jour, le comité a saisi le tribunal de grande instance en référé pour qu'il soit ordonné au président du comité de convoquer une réunion extraordinaire du comité d'entreprise européen sous un délai de 10 jours à compter du dépôt du rapport, la remise de certaines informations et de réponses écrites aux questions posées par le comité lors de la réunion du 15 novembre, ainsi que le report du Conseil d'administration de Gaz de France du 22 novembre 2006.
La société employeur reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli ces demandes alors que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise européen conserve son effet utile et peut se poursuivre tant que la décision n'est pas irréversible et, donc, en cas de fusion, jusqu'à la date à laquelle l'assemblée générale des actionnaires doit se prononcer.
Rejetant cette argumentation, la Cour de cassation considère que les juges du fond ont fait une exacte application des dispositions combinées de la Directive 94/45 du 22 septembre 1994, de l'article L. 439-6 du Code du travail et de l'accord du 14 novembre 2001, instituant le comité d'entreprise européen de la société Gaz de France. Selon la Chambre sociale, la cour d'appel a exactement déduit des dispositions de l'article 4-3 de l'accord précité, selon lequel "en cas d'évènements exceptionnels susceptibles d'affecter gravement l'intérêt des salariés du groupe (fusion), le comité est réuni et il est, alors, consulté dans un délai suffisant pour que les éléments du débat ou l'avis puissent être intégré au processus de décision", que ce délai doit permettre au comité de donner un avis au cours du processus devant aboutir à la décision, avant la tenue du conseil d'administration devant arrêter le projet de fusion qui est irréversible, selon les dispositions combinées des articles L. 236-6 du Code de commerce et 254 modifié du décret du 23 mars 1967.
Au regard des termes de l'article 4-3 de l'accord de 2001, l'obligation pour le chef d'entreprise de consulter le comité d'entreprise européen avant que sa décision ne soit arrêtée ne faisait guère de doute. D'ailleurs, l'argumentation développée dans le pourvoi ne portait pas sur cette question, mais sur la conception qu'il convenait de retenir de la notion de "décision" lors d'une fusion de société (5). Selon GDF, la décision devait s'entendre, ici, du vote de l'assemblée générale des actionnaires et non de la délibération du conseil d'administration, étant entendu que la décision ne devenait irréversible qu'au moment où l'assemblée générale était appelée à se prononcer sur la fusion.
Cette position n'était pas dénuée de tout fondement. Il est, en effet, généralement admis que la consultation doit porter sur un projet suffisamment élaboré, mais susceptible de modifications. Cela dit, il est logique de considérer qu'elle doit se situer avant le stade ultime et irréversible que constitue, dans le processus d'élaboration d'une décision, son adoption par les organes dirigeants compétents (6). Le problème réside dans le fait que le processus de décision peut faire intervenir plusieurs organes d'une même société. Tel est précisément le cas d'une opération, par définition complexe, de fusion.
Selon l'article L. 236-2, al. 2 du Code de commerce, la fusion est décidée "par chacune des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification des statuts". Or, compte-tenu des conséquences de la fusion, tant pour l'absorbée (dissolution), que pour l'absorbante (augmentation de capital), la décision de fusion relève des assemblées générales des actionnaires. Ces quelques précisions tendent à démontrer que, en matière de fusion, la décision ne devient irréversible qu'à la date à laquelle l'assemblée se prononce, ce qui rejoint l'argumentation qui était développée par GDF dans son pourvoi. Toutefois, les actionnaires se prononcent sur un projet de fusion qui, en application des articles L. 236-6 et R. 236-1 (N° Lexbase : L5097HZS) du Code de commerce doit obligatoirement être dressé par le conseil d'administration. Par suite, dès lors que ce projet de fusion est arrêté par le conseil d'administration, il a vocation à être transmis à l'assemblée et aucun retour en arrière n'est possible. Par suite, on peut approuver la Cour de cassation d'avoir considéré que, lorsque le conseil d'administration se réunit et adopte le projet de fusion, celui-ci devient irréversible, même si la fusion, elle, ne l'est pas.
En conséquence, dès lors que l'on admet que la consultation du comité d'entreprise européen doit précéder la décision, celle-ci doit s'entendre, en matière de fusion, de la réunion du conseil d'administration arrêtant le projet de fusion sur lequel se prononcera l'assemblée générale (7).
Au-delà de la détermination du moment précis auquel doit intervenir la consultation du comité d'entreprise européen, lors d'une opération de fusion, l'arrêt commenté confirme que cette consultation doit être préalable à la décision du chef d'entreprise. On ne saurait, cependant, accorder une trop grande portée à cette dernière solution, qui reste, ici, exclusivement fondée sur les stipulations de l'accord conclu au sein de GDF. Il faudra, donc, attendre encore pour savoir si la Cour de cassation entend faire une application générale de cette exigence.
2 L'information à délivrer au comité d'entreprise européen
A supposer que l'on comprenne bien les faits, passablement embrouillés, de l'arrêt, il semblerait qu'à l'occasion du projet de fusion, l'information qui avait été remise au comité d'entreprise européen était identique à celle qui avait été délivrée au comité central d'entreprise. S'estimant insuffisamment informé sur les conséquences sociales de la fusion, le comité d'entreprise européen avait eu recours à une expertise.
La cour d'appel avait écarté tout abus, dans l'exercice par le comité, de la faculté de recourir à un expert, motif pris que l'information délivrée par GDF ne prenait pas suffisamment en compte la dimension européenne du projet et que l'information du comité d'entreprise européen ne saurait être complètement identique à celle remise au comité central d'entreprise.
Pour contester cette décision, l'employeur s'appuyait sur une décision du Président du TGI de Paris qui, lors d'un litige précédent, avait jugé que l'information remise au comité central d'entreprise de GDF était suffisante et qu'aucune norme juridique communautaire ou interne n'exige que l'information remise au comité d'entreprise européen en cas de projet de fusion soit plus complète que celle remise au comité central d'entreprise.
Là encore, l'argumentation est rejetée par la Cour de cassation qui affirme que "les procédures de consultation du comité d'entreprise et du comité d'entreprise européen d'entreprise n'ayant pas le même objet, ni le même champ d'application, les renseignements fournis lors de la réunion du comité d'entreprise n'assurent pas nécessairement une complète information du comité d'entreprise européen". Par suite, "la cour d'appel, qui a constaté dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que l'information donnée au comité d'entreprise européen sur le projet de fusion était incomplète, a pu ordonner les mesures nécessaires à cette information".
Deux enseignements peuvent être tirés de cette solution. Tout d'abord, l'appréciation du caractère complet, ou non, de l'information remise au comité relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ensuite, et surtout, les informations à remettre au comité d'entreprise européen ne sont pas "nécessairement" les mêmes que celles délivrées à l'instance nationale, alors même que les deux institutions sont consultées sur la même opération. Il faut remarquer que la Chambre sociale prend soin de ne pas donner un caractère général à son affirmation. Si un comité d'entreprise européen peut prétendre à une information plus complète que celle remise à l'instance nationale, c'est en fonction des circonstances ou de l'évènement qui a conduit à la consultation. Cela étant, cette différence doit être approuvée. Il est, en effet, évident qu'une instance de représentation transnationale ne peut avoir la même vision d'une opération de restructuration et de ses conséquences qu'une instance nationale. Elle est, ainsi, en droit de demander des informations lui permettant d'avoir une vision globale du projet et de ses conséquences.
L'arrêt rapporté constitue une étape importante dans la détermination de l'étendue des prérogatives du comité d'entreprise européen. Nul doute que d'autres décisions devraient lui succéder, ne serait-ce que pour trancher la récurrente question de l'articulation des consultations du comité d'entreprise et du comité d'entreprise européen.
(1) V., de manière argumentée en ce sens, B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, 3ème éd., 2006, § 825.
(2) Selon l'expression de M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 8ème éd., 2005, p. 225.
(3) CA Versailles, 14ème ch., 7 mai 1997, n° 2780/97, Société Renault S.A. c/ Comité de groupe européen Renault (C.G.E) (N° Lexbase : A4320A77), Dr. soc., 1997, p. 506, obs. M.-A. Moreau et A. Lyon-Caen.
(4) V., sur cette affaire, P. Rodière, La fusion GDF/Suez ou quand le comité d'entreprise européen s'en mêle, Sem. soc. Lamy, n° 1285, p. 6.
(5) Relevons que l'article 4-3 de l'accord ne vise pas stricto sensu la "décision", mais le "processus de décision".
(6) V., sur la question, M. Cohen, préc., p. 560.
(7) Reste à savoir s'il ne conviendrait pas, également, de consulter le comité avant la tenue de l'assemblée générale. La prudence pourrait l'imposer...
Décision
Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 07-10.597, Société Gaz de France-GDF et a. c/ Comité d'entreprise européen de Gaz de France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7784D3P) Rejet, CA Paris, 14ème ch., sect. A, 21 novembre 2006, n° 06/20033, Société Gaz de France c/ Comité d'entreprise européen de Gaz de France (N° Lexbase : A8237DSU) Textes concernés : Directive (CE) 94/45 du 22 septembre 1994, concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs (N° Lexbase : L8165AUX) ; C. trav., art. L. 439-6 (N° Lexbase : L5330ACE) ; C. com., art. L. 236-6 (N° Lexbase : L6356AIA) et R. 236-1 (N° Lexbase : L5097HZS) Mots clefs : comité d'entreprise européen, consultation, caractère préalable à la décision, information. Liens base : |
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