La lettre juridique n°290 du 31 janvier 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Qualification du mandat de l'agent commercial

Réf. : Cass. com., 15 janvier 2008, n° 06-14.698, Société Radio communications équipements (RCE), FS-P+B (N° Lexbase : A7597D3R)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Les règles du Code civil relatives au mandat, défini à l'article 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) comme "l'acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom", traitent du mandat ordinaire et constituent, ainsi, en quelque sorte le droit commun du mandat. Sans bien entendu avoir perdu de leur intérêt, il reste que ces dispositions ne suffisent plus à rendre compte de la diversité des hypothèses de ce "contrat aux mille visages" qu'est le mandat (1). C'est que, en effet, des règles particulières ont, progressivement, vu le jour pour finir par composer un droit spécial du mandat. S'éloignant ainsi de la représentation qu'avaient pu se faire les rédacteurs du Code civil de ce contrat, conçu comme un contrat de bienfaisance et de confiance, gratuit, représentatif et conclu dans l'intérêt exclusif du mandant, la pratique a fait apparaître de nouvelles figures : mandats salariés, mandats sans représentation, mandats d'intérêt commun. Ce à quoi s'ajoute un certain nombre de mandats réglementés par le législateur. Cette diversité complexifie la matière. Aussi n'est-il pas fondamentalement très étonnant de voir la jurisprudence fréquemment conduite à préciser les critères de qualification de tel ou tel mandat. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 15 janvier dernier, à paraître au Bulletin, en est, s'agissant du mandat de l'agent commercial, un exemple. En l'espèce, une société, ultérieurement absorbée par la Société française de radiotéléphonie (SFR), avait conclu avec la société RCE un "contrat partenaire", confiant à cette dernière le soin d'assurer la diffusion de services de radiotéléphonie, ainsi que d'assumer les tâches liées à l'enregistrement des demandes d'abonnement. Le contrat, conclu pour deux ans, prévoyait sa tacite reconduction par période annuelle, sauf dénonciation par l'une des parties trois mois avant son terme. Or, faisant usage de cette faculté, la société SFR avait refusé le renouvellement du contrat. Le cocontractant avait alors invoqué le bénéfice du statut d'agent commercial afin, entre autres, de pouvoir bénéficier du droit au paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive. Approuvant un arrêt de la cour d'appel de Paris, la Cour de cassation décide que "l'agent commercial est un mandataire indépendant chargé de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats au nom et pour le compte de son mandant", ce qui, en l'espèce, n'était pas le cas, la société RCE n'étant en réalité investie "d'aucun pouvoir de négocier les contrats" puisqu'elle s'était engagée à n'apporter aucune modification, de quelque nature que ce soit, aux tarifs et conditions fixés par la société SFR pour la souscription des abonnements aux services.

La pratique, soutenue par la doctrine, et finalement entendue par la jurisprudence, a dégagé la notion de mandat d'intérêt commun, c'est-à-dire d'un mandat de collaboration poussant le mandataire à agir aussi bien dans l'intérêt du mandant que dans le sien propre (2). Le mandat est donc d'intérêt commun lorsque les parties ont des droits directs et concurrents sur l'objet du mandat et qu'elles contribuent par leur collaboration à l'accroissement d'une chose commune, par exemple lorsqu'elles ont intérêt à l'essor de l'entreprise par la création et le développement d'une clientèle. Or, le prototype du mandat d'intérêt commun est, précisément, le mandat de l'agent commercial. La jurisprudence l'avait, d'ailleurs, depuis longtemps déjà admis, avant que le législateur ne consacre cette analyse. L'article L. 134-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5652AI8), issu de la loi du 25 juin 1991, relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants (loi n° 91-593 N° Lexbase : L8328AIB), dispose, en effet, que "les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties". La qualification est importante dans la mesure où elle commande l'application d'un régime particulier, aussi bien pour ce qui est des droits et obligations des parties que de la révocation du mandat (C. com., art. L. 134-1 à 134-17 N° Lexbase : L5665AIN). On saisit ainsi mieux l'enjeu qu'avait, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale du 15 janvier dernier, le débat portant sur la nature du contrat liant les parties et, plus précisément, sur le point de savoir s'il pouvait ou non être qualifié de convention d'agence commerciale, les conditions de la rupture du contrat obéissant à des règles spécifiques (préavis obligatoire, droit à indemnité sauf faute grave...). Dans ces conditions, les discussions ont assez logiquement porté sur la notion d'agence commerciale, étant entendu que, comme le rappelle la jurisprudence, "l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont données à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée" (3). Les agents commerciaux sont des mandataires qui représentent régulièrement une ou plusieurs entreprises de production : ils sont bien, comme on l'a dit plus haut, le type même du mandataire d'intérêt commun, dans la mesure où le développement de leur activité pour le mandant passer par celui de leur propre clientèle. Or, en l'espèce, l'examen concret des rapports entre les parties laissait apparaître, contrairement à ce que soutenait le pourvoi, que les conditions du mandat d'agence commerciale telles que définies par le Code de commerce n'étaient pas remplies. C'est donc finalement assez logiquement que la Cour de cassation approuve les premiers juges d'avoir rejeté la qualification du statut d'agent commercial.


(1) F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Précis Dalloz, 7ème éd., n° 628.
(2) Ghestin, Le mandat d'intérêt commun, Mél. Derruppé, p. 105 ; Pigache, Le mandat d'intérêt commun, thèse Paris V, 1991.
(3) Cass. com., 10 décembre 2003, n° 01-11.923, Mme Françoise Blanc Canet c/ Société Europcar France, FS-P+B (N° Lexbase : A4236DA7), Bull. civ. IV, n° 198, D., 2004, p. 210, note Chevrier.

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