La lettre juridique n°290 du 31 janvier 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Procédure de licenciement économique et UES : le statu quo maintenu

Réf. : Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-46.313, Société Oce business service Est (OBS EST), FS-P+B (N° Lexbase : A7768D34)

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N8536BDI

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Lorsqu'un employeur envisage de procéder à des licenciements économiques dans son entreprise, il est soumis à une procédure détaillée qui varie en fonction du nombre de salariés concernés et de l'effectif de l'entreprise. Mais l'évolution des modes d'organisation des entreprises, voyant la multiplication des groupes de sociétés et, comme en l'espèce, des unités économiques et sociales (UES), a bouleversé la notion même d'entreprise, si bien que l'on en vient, parfois, à se demander si les conditions prévues par le Code du travail ne sont pas devenues obsolètes. La Cour de cassation avait l'occasion d'étendre le champ d'appréciation des conditions de la procédure de licenciement économique au-delà du champ classique de l'entreprise. Elle s'y refuse, pourtant, par cet arrêt rendu par la Chambre sociale le 16 janvier 2008. Les juges préfèrent cantonner les modalités d'appréciation de ces conditions à l'entreprise au sens le plus classique du terme (1). Si la question de l'usage de l'unité économique et sociale comme champ d'appréciation est légitimement écartée en l'espèce, la Cour ne fait guère preuve d'audace face à une question qui se représentera nécessairement (2).
Résumé

C'est au niveau de l'entreprise ou de l'établissement concerné par les mesures de licenciement économique envisagées, au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée, que s'apprécient les conditions déterminant la consultation des instances représentatives du personnel et l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Commentaire

1. Le cadre d'appréciation des conditions de procédure du licenciement pour motif économique limité à l'entreprise

  • Rappel des obligations de consultation des institutions représentatives du personnel et de mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi

Les articles L. 321-3 (N° Lexbase : L8925G7P) et L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q) du Code du travail, visés dans l'arrêt commenté, mettent en place des obligations particulières à la charge de l'employeur, qui envisage de prendre des mesures de licenciement fondées sur un motif économique. Plus spécifiquement, et au regard des faits de l'espèce, ces obligations varient en fonction de l'effectif de l'entreprise et du nombre de licenciements prononcés. C'est, surtout, la question de l'effectif qui nous intéresse, puisque le nombre de licenciement prononcé sur une même période de trente jours ne fait pas débat dans l'arrêt.

S'agissant de la consultation des institutions représentatives du personnel, l'article L. 321-3 du Code du travail distingue selon que l'entreprise ou l'établissement concerné comporte un effectif inférieur ou supérieur à cinquante salariés. Si l'effectif est inférieur à ce seuil, seuls les délégués du personnel doivent être réunis et consultés. En revanche, dès lors que l'effectif est supérieur ou égal à cinquante salariés et qu'il existe un comité d'entreprise, conformément aux dispositions de l'article L. 431-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6389ACM), la délégation du personnel s'efface à son profit. Le comité sera, alors, consulté, selon une procédure, d'ailleurs, duale, issue, à la fois du livre III et du livre IV du Code du travail, et dont le régime a été plusieurs fois remodelé (1).

S'agissant de la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, l'article L. 321-4-1 du Code du travail ne l'impose qu'aux seules entreprises dont l'effectif dépasse cinquante salariés. Parmi les mesures présidant à sa mise en place figurent de nouvelles réunion, information et consultation des représentants du personnel ce qui, toujours au regard de l'effectif, vise directement le comité d'entreprise.

Que ce soit à l'égard de l'une ou l'autre de ces obligations, des difficultés ont pu survenir dans la détermination de l'entité dans laquelle devait s'effectuer le calcul de l'effectif.

  • Les questions relatives au calcul de l'effectif

S'il apparaît que le seuil de cinquante salariés soit fatidique à l'égard de ces diverses obligations, l'unité de représentation dans laquelle il sera apprécié peut, également, jouer un rôle important. L'effectif doit-il être apprécié au niveau de l'établissement dans lequel la procédure est engagée ? Au niveau de l'entreprise ? Voire de l'unité économique et sociale ou du groupe ?

Les deux textes invoqués ne semblent, à première vue, pas viser les mêmes conditions, puisque l'article L. 321-3 du Code du travail évoque les "entreprises ou établissements" pour la consultation des institutions représentatives du personnel, alors que l'article L. 321-4-1 ne se réfère qu'à "l'entreprise employant au moins cinquante salariés".

La jurisprudence a, déjà, clairement décidé que, s'agissant de la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, l'effectif devait être apprécié au niveau de l'entreprise (2). La Cour de cassation exclut, d'ailleurs, explicitement la prise en compte du groupe comme unité de représentation pouvant servir au calcul du seuil d'effectif (3).

En revanche, concernant l'information et la consultation des représentants du personnel, seules les questions relatives au décompte des salariés concernés par le licenciement semble avoir fait débat. L'administration, pour déterminer si le nombre de dix salariés nécessaire est atteint, semble inviter à choisir entre établissement et entreprise en fonction de l'autonomie de l'établissement et du champ dans lequel interviennent les licenciements (4), solution à laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation paraît adhérer (5).

Restait la question de l'unité économique et sociale, dont la convergence croissante avec la notion d'entreprise permettait légitimement d'envisager la possibilité d'y voir une unité de représentation apte à servir de niveau de référence pour l'appréciation du seuil de cinquante salariés (6).

  • En l'espèce

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, une procédure de licenciement économique concernant dix-neuf salariés était mise en oeuvre, à la fin de l'année 2003, dans une entreprise, dont l'effectif comportait quarante salariés. Seule la consultation de la délégation du personnel devait, donc, intervenir et aucun plan de sauvegarde de l'emploi n'avait à être mis en place.

Pourtant, deux jugements d'un tribunal d'instance décidaient, entre mai et juillet 2004, de reconnaître l'existence d'une unité économique et sociale entre l'entreprise concernée par le licenciement et deux autres sociétés. Ces décisions devaient emporter la mise en place d'institutions représentatives du personnel centrales, en particulier d'un comité d'entreprise, en application de l'article L. 431-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6389ACM). Les licenciements économiques n'étaient notifiés aux salariés qu'en juillet 2004, sans que l'instance représentative n'ait été instituée. Salariés et syndicats demandèrent, alors, l'annulation des licenciements pour non-respect de la procédure de consultation.

La cour d'appel de Besançon prononça la nullité de la procédure de licenciement, estimant qu'il aurait dû être mis en place un comité d'entreprise commun, qui aurait été informé et consulté et, qu'en outre, un plan de sauvegarde de l'emploi aurait dû accompagner les licenciements.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision en estimant que "c'est au niveau de l'entreprise ou de l'établissement concerné par les mesures de licenciement économique envisagées, au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée que s'apprécient les conditions déterminant la consultation des instances représentatives du personnel et l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi".

Ce faisant, la Cour de cassation semble soigneusement éviter la question du champ d'appréciation de la consultation des représentants du personnel et de la mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi. Elle évince totalement la question de l'existence de l'unité économique et sociale pour se placer seulement sur un plan chronologique. Le projet de licenciement ayant été engagé avant la reconnaissance de l'unité économique et sociale, il n'était pas nécessaire, à ses yeux, de s'interroger sur cette question. Si la solution n'est guère discutable s'agissant du moment auquel doivent être appréciées les conditions de procédure encadrant le licenciement, on ne peut que regretter que l'occasion de régler la question de l'unité économique et sociale n'ait pas été saisie.

2. La question de l'unité économique et sociale comme champ d'appréciation soigneusement évitée par le juge

  • Le moment déterminant les conditions de procédure du licenciement économique

Pour la Chambre sociale, il n'est pas nécessaire de s'interroger sur la structure de l'entreprise. En effet, les conditions du licenciement doivent être appréciées au moment où la procédure est engagée et non au moment où le licenciement est prononcé. L'unité économique et sociale n'ayant, à ce moment-là, pas encore été reconnue, seule l'entreprise constituait un cadre adéquat de calcul de l'effectif. Une telle solution nous paraît parfaitement logique.

Elle est, tout d'abord, justifiée au regard de la rédaction des textes du Code du travail relatifs aux conditions de procédure dont il était question.

S'agissant de la consultation des représentants du personnel, les deux premiers alinéas de l'article L. 321-3 prévoient, en effet, que les employeurs doivent réunir et informer les représentants du personnel lorsqu'ils "projettent" de procéder à des licenciements économiques. Nul ne contestera que le fait de projeter des mesures de licenciement est bien une action antérieure à leur prononcé. Il est, d'ailleurs, probable que la Chambre sociale, en estimant qu'il faille se référer au moment où la procédure est engagée, reste en la matière en deçà des obligations du texte qui paraît viser un temps encore antérieur.

S'agissant de la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, l'article L. 321-4-1 du Code du travail demeure plus flou. Le moment de la mise en place du plan n'est pas clairement envisagé. Néanmoins, l'objectif du plan de sauvegarde qui, rappelons-le, vise, notamment, à "éviter les licenciements ou [à] en limiter le nombre", mais, aussi, la sanction de nullité frappant une procédure établie "tant qu'un plan [...] n'a pas été présenté par l'employeur aux représentants du personnel", implique nécessairement que l'obligation de le mettre en place soit antérieure au prononcé des licenciements.

L'arrêt semble donc offrir une harmonisation de régime entre les deux mesures. Pour l'une comme pour l'autre, les conditions de leur mise en oeuvre devront être appréciées au moment de l'engagement de la procédure, ce qui paraît plus réaliste que le stade de projet visé pour la consultation des représentants du personnel, et plus précis que la simple antériorité à la notification des licenciements déduite de l'article L. 321-4-1 pour le plan de sauvegarde de l'emploi.

La solution est, également, cohérente en ce qu'elle se refuse à donner une sorte d'effet rétroactif aux décisions des juges d'instances ayant reconnu l'existence d'une unité économique et sociale. Si la Cour de cassation avait, comme la cour d'appel, retenu l'existence de l'unité économique et sociale pour apprécier les conditions de consultation des représentants du personnel et de mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi, elle aurait nécessairement fait produire aux décisions du tribunal d'instance des effets à une date antérieure, ce raisonnement étant conforté par la proximité temporelle entre la reconnaissance de l'unité économique et sociale et la notification des licenciements (7).

Cela n'empêche pas d'avoir le sentiment que la Chambre sociale prend grand soin de ne pas se prononcer, fût-ce par obiter dictum, sur la question de la prise en compte de l'unité économique et sociale comme unité de représentation valable dans le cadre de l'appréciation des seuils d'effectifs.

  • Une occasion manquée ?

L'interaction des règles du licenciement économique et de celles guidant l'unité économique et sociale pose un certain nombre de difficultés que la doctrine n'a pas manquées de souligner (8).

D'un côté, la Chambre sociale de la Cour de cassation restreint à l'entreprise ou à l'établissement l'appréciation des conditions de consultation des représentants du personnel ou de mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi.

Mais, d'un autre côté, l'unité économique et sociale est de plus en plus souvent prise en considération dans d'autres mécanismes liés au licenciement pour motif économique. Ainsi, par exemple, la validité du plan de sauvegarde est-elle appréciée "au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou, le cas échéant, l'unité économique et sociale ou le groupe" aux termes du dernier alinéa de l'article L. 321-4-1 du Code du travail. Ainsi, également, l'effectivité du motif de difficultés économiques de l'entreprise invoqué au soutien d'un licenciement doit-elle être appréciée au regard du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, cadre paraissant plus large que celui de l'entreprise (9).

S'il ne peut être reproché à la Cour de cassation d'avoir tranché le litige en appliquant les règles relatives au moment d'appréciation des conditions de la procédure, la formule employée demeure elliptique quant à l'usage de l'unité économique et sociale comme unité de représentation pour déterminer ces mêmes conditions. Plus encore, la Cour évite soigneusement les termes d'"unité économique et sociale" pour estimer que "c'est au niveau de l'entreprise ou de l'établissement concerné" que s'apprécient les conditions, même si la référence au moment de l'engagement de la procédure laisse pressentir que la solution aurait pu être différente si la reconnaissance de l'unité économique et sociale était intervenue plus tôt.

Il faudra donc attendre que de nouvelles affaires soient portées au rôle de la Chambre sociale pour déterminer si l'unité économique et sociale peut être une unité de représentation valable pour fixer les conditions de procédure du licenciement économique. En somme, il ne s'agissait donc que de reculer pour mieux sauter...



(1) La dernière modification date de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) et les obs. de N. Mingant, Fiche n° 1 : la modification du droit applicable en cas de "grand" licenciement économique, Lexbase Hebdo n° 152 du 27 janvier 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4383ABX).
(2) Cass. soc., 26 février 2003, n° 01-41.030, M. Albert Benarroche c/ Société Trigano Industries, F-P (N° Lexbase : A2923A7E), RJS 2003, n° 589 ; v., également, Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-42.672, Office public d'aménagement et de construction de l'Ariège (OPAC) c/ Mme Yolande Dupuy, FS-P+B N° Lexbase : A9017DCX) et les obs. de S. Koleck-Dessautel, Le calcul de l'effectif pour la mise en place d'un plan social, Lexbase Hebdo n° 129 du 15 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2334AB3), RJS 2004, n° 1015 ; JCP éd. S. 2005, I, 122, n° 19, obs. P. Morvan.
(3) Ibid..
(4) Si un établissement disposant d'une grande autonomie projette de réaliser des licenciements pour des motifs économiques propres à son établissement, n'excédant pas les pouvoirs du chef d'établissement, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre dans cet établissement. Si des établissements distincts réalisent simultanément des licenciements pour un même motif économique, dans le cadre d'un plan de restructuration dont les modalités excèdent les pouvoirs des chefs d'établissement, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre au niveau global de l'entreprise. Si un licenciement collectif pour un même motif est envisagé au niveau général de l'entreprise et affecte des entités ou des structures différentes de l'entreprise, le nombre de licenciements à prendre en compte est celui mis en oeuvre au niveau de l'entreprise.
V. la circulaire DGEFP/DRT/DSS n° 2002/1 du 5 mai 2002, relative à la mise en oeuvre des articles 93 à 123 de la loi de modernisation sociale (N° Lexbase : L6281A4E) et le volet licenciement pour motif économique, Bulletin officiel du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle n° 2002/11, 20 juin 2002.
(5) Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-42.379, Société Tekelec Temex c/ M. Jean-Philippe Deblauwe, inédit (N° Lexbase : A7958BSK) et les obs. de Ch. Willmann, Le seuil de déclenchement du plan de sauvegarde de l'emploi : un régime complexe, à la croisée de la loi et de la jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 72 du 22 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7372AAB).
(6) La Chambre sociale a déjà eu l'occasion de considérer que l'unité économique et sociale ne constituait qu'une seule entreprise pour le droit du travail (Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 99-44.037, FS-P N° Lexbase : A4913AWU). Sur cette question, v. I. Desbarats, La notion d'unité économique et sociale en droit du travail, in Mélanges Despax, PU Toulouse, 2001, p. 78 ; G. Blanc-Jouvan, L'unité économique et sociale et la notion d'entreprise, Dr. soc. 2005, p. 68 ; B. Boubli, L'unité économique et sociale à l'époque des voeux. Etat des lieux et souhaits de réforme, SSL 16 février 2004 et SSL 23 février 2004.
(7) L'arrêt précise, en effet, que les juges d'instance ont reconnu l'existence d'une unité économique et sociale par deux jugements de mai et de juillet 2004, alors que les licenciements ont été notifiés aux mois de juin et juillet.
(8) V. P. Morvan, obs. sous Cass. soc., 30 juin 2004, préc. ; v., également, de manière plus générale, J. Daniel, La mécanique du licenciement pour motif économique à l'épreuve de l'UES, JCP éd. S. 2007, 1949.
(9) En ce sens, également, P. Morvan, obs. sous Cass. soc., 30 juin 2004, préc..
Décision

Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-46.313, Société Oce business service Est (OBS EST), FS-P+B (N° Lexbase : A7768D34)

Cassation, Cour d'appel de Besançon, 2ème ch. civ., 10 octobre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 321-3 (N° Lexbase : L8925G7P), art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q) et art. L. 431-1 (N° Lexbase : L6389ACM)

Mots-clés : Licenciement économique ; consultation des institutions représentatives du personnel ; plan de sauvegarde de l'emploi ; unité économique et sociale.

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