Réf. : Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, M. Robert Meynet, administrateur judiciaire, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5843DZG)
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N2220BDL
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 07 Octobre 2010
En effet, après avoir énoncé que "le pourvoi dirigé contre un arrêt rendu sur l'appel d'un jugement statuant en dehors des cas prévus par les articles 160 et 170, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, dans lesquels la notification ou la signification incombe au greffier, n'est recevable qu'à condition que cet arrêt ait été préalablement signifié par la partie la plus diligente", la Cour affirme, sous le visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), des articles 611-1 (N° Lexbase : L2867ADK) et 675 (N° Lexbase : L2943ADD) du Nouveau Code de procédure civile, et des articles 160 (N° Lexbase : L5274A44), 161 (N° Lexbase : L5275A47) et 170 (N° Lexbase : L5186A4T) du décret du 27 décembre 1985, que "l'application immédiate, à l'occasion d'un revirement de jurisprudence, de cette règle d'irrecevabilité, dans une instance en cours aboutirait à priver le demandeur au pourvoi d'un procès équitable, en lui interdisant l'accès au juge". Elle en déduit, au cas d'espèce, "qu'il n'y a donc pas lieu de faire une application immédiate de cette règle d'irrecevabilité au pourvoi en cassation formé par M. Y, ès qualités, même si celui-ci n'a pas remis au greffe, dans le délai du dépôt du mémoire ampliatif, un acte de signification de l'arrêt attaqué, alors que cette décision déclarant irrecevable son action en annulation de paiements faits durant la période suspecte, n'est pas au nombre de celles énumérées aux articles 160 et 170, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985" (4).
Au regard de ce qui nous intéresse ici, il faut noter que la Chambre commerciale de la Cour de cassation reprend exactement la formule retenue par l'Assemblée plénière en décembre dernier. On rappellera brièvement que, dans cette dernière affaire, à la question de savoir si l'action en réparation d'une atteinte à la présomption d'innocence est ou non soumise aux conditions de prescription de droit commun ou à la courte prescription de la loi du 29 juillet 1881, l'Assemblée plénière avait affirmé "que les dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 instaurent, pour les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence, un délai de prescription particulier qui déroge au droit commun de la prescription des actions en matière civile ; que ces dispositions, d'ordre public, imposent au demandeur, non seulement d'introduire l'instance dans les trois mois de la publication des propos incriminés, mais aussi d'accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant à l'adversaire son intention de poursuivre l'instance ; que si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme X n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§ 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge".
Autrement dit, à la question de savoir si un demandeur en justice, qui agit en se conformant, pour le délai d'exercice de son action, à l'interprétation donnée à cette date par la Cour de cassation du texte relatif à la prescription de l'action, pouvait se voir privé d'un droit processuel régulièrement mis en oeuvre par l'effet d'une interprétation nouvelle qu'il ne pouvait connaître à l'époque, la Cour de cassation répondait négativement, reprenant ainsi la proposition faite par le groupe de travail présidé par le Professeur Molfessis : la Cour a jugé qu'on ne pouvait appliquer à la victime d'une atteinte à la présomption d'innocence une obligation de réitération des actes interruptifs que la Cour de cassation n'imposait pas à la date de son action, dès lors que l'application immédiate de l'interprétation nouvelle, résultant d'un arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2004 (Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 01-10.426, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0975DDH, Bull. civ. II, n° 387) aurait eu pour effet de la priver d'un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 susvisé, en lui interdisant l'accès au juge. La logique qui sous-tend aujourd'hui la solution de la Chambre commerciale est la même : l'application rétroactive du revirement relatif aux conditions de recevabilité du pourvoi en cassation formé par le commissaire à l'exécution du plan dans le cadre de son action en contestation des paiements faits pendant la période suspecte "aboutirait à priver le demandeur au pourvoi d'un procès équitable, en lui interdisant l'accès au juge".
On remarquera que, dans les espèces dont a eu à connaître la Cour, l'application rétroactive du revirement aurait conduit, à chaque fois, à priver le justiciable d'un droit processuel, du droit à un procès équitable en l'occurrence et, plus précisément encore, du droit à l'accès au juge, composante du droit au procès équitable. Est-ce pour autant à dire que la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence est nécessairement limitée à ce cas de figure ? La question mérite d'être posée. Le Professeur Mouly avait relevé que "dans un Etat de droit, où les solutions juridiques tracent le paysage dans lequel chaque individu détermine ses prévisions et ses actions, seules sont admissibles des normes et solutions connues de tous au moment où les prévisions sont formées et les actions engagées. Les normes ne doivent pas être rétroactives, car la rétroactivité fausse les données ; elle spolie ceux qui se sont engagés en fonction de l'état du droit antérieur ; elle mine la prévisibilité et bafoue la croyance commune. Elle porte atteinte au principe supérieur de sécurité juridique, dont la Cour européenne des droits de l'homme fait grand cas" (5) -ainsi d'ailleurs que le Conseil constitutionnel. Par où l'on voit bien que, fondamentalement, ce qui justifie la modulation dans le temps du revirement, c'est l'atteinte que porte la rétroactivité au sentiment élémentaire de bonne administration de la justice. Pourquoi, dans ces conditions, limiter cette modulation au cas dans lequel ce qui serait atteint par la rétroactivité serait seulement un droit processuel du justiciable ? Ne faudrait-il pas étendre la modulation dans le temps du revirement au cas dans lequel un droit substantiel serait bafoué par la rétroactivité ?
(1) Ch. Mouly, Le revirement pour l'avenir, JCP éd. G, 1994, I, 3776.
(2) Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
(3) Cass. Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, Société La Provence c/ Mme Véronique Danve, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), et nos obs., La présomption d'innocence devant l'Assemblée plénière de la Cour de cassation : consécration de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 245 du 25 janvier 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7989A9R), JCP éd. G, 2007, II, 10016, note Guyader, RTDCiv. 2007, p. 72, obs. P. Deumier.
(4) Sur le point relatif aux procédures collectives, voir les obs. de F. Labasque, Le commissaire à l'exécution du plan, titulaire de l'action en nullité de... quelle période suspecte ?, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2192BDK).
(5) Ch. Mouly, préc.
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