Réf. : Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-41.717, Société Air France, F-D (N° Lexbase : A6023DZ4)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
La situation résultant du retrait d'une habilitation par l'autorité publique, en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation, ne constitue pas, en soi, un cas de force majeure. |
1. Les conditions de la rupture du contrat de travail pour force majeure
Quoiqu'il ne s'agisse pas d'un mode de rupture expressément prévu par le Code du travail pour le contrat de travail à durée indéterminée, contrairement au contrat de travail à durée déterminée (1), la survenance d'un cas de force majeure permet, à certaines conditions, de rompre le contrat de travail.
C'est là une illustration du caractère relatif de l'autonomie du droit du travail. Si le licenciement et la démission sont les deux modes classiques de rupture du contrat, cela n'exclut pas que soient utilisés des modes de rupture issus du droit commun des contrats. Ainsi, à côté de la résiliation judiciaire et de la rupture amiable du contrat de travail, subsiste la faculté de reconnaître la rupture du contrat de travail pour force majeure.
Mais, à l'instar des deux autres modes de rupture civilistes évoqués, la rupture du contrat pour force majeure est enserrée dans des conditions extrêmement strictes, si bien qu'en pratique, l'invocation de ce motif suffit rarement à justifier la rupture.
Traditionnellement, un évènement constitue un cas de force majeure à condition qu'il réunisse trois caractéristiques. Cet évènement doit avoir été irrésistible, imprévisible et extérieur.
S'agissant du critère d'imprévisibilité, la Chambre sociale de la Cour de cassation exige, en général, que l'employeur n'ait pas été informé du risque suffisamment à l'avance ou qu'il n'ait pu être en mesure de le prévoir. Ainsi des inondations (2) ou des gelées tardives (3) ne constituent-elles pas des évènements imprévisibles aux yeux des juges. Le critère d'irrésistibilité n'est pas envisagé d'une façon plus souple puisque, par exemple, un incendie dans l'entreprise ne sera pas considéré comme revêtant cette caractéristique lorsque l'employeur n'avait pas respecté les mesures de protection (4). Enfin, le critère d'extériorité est, lui aussi, très strict. La jurisprudence a ainsi pu décider, par exemple, que la décision d'expropriation d'un fonds de commerce de l'employeur n'est pas un fait extérieur pouvant constituer un cas de force majeure (5).
A ces critères classiques que l'on trouve, d'ailleurs, dans la notion civiliste de force majeure, la Chambre sociale ajoute un élément temporel. En effet, il faut que l'évènement constituant la force majeure ne constitue pas une impossibilité seulement temporaire d'exécuter le contrat de travail. Si cette impossibilité est seulement temporaire, elle justifiera une suspension du contrat, mais pas sa rupture (6).
La Cour de cassation a, parfois, estimé que le fait du prince puisse constituer, pour l'employeur, un cas de force majeure.
La Cour de cassation définit habituellement le fait du prince comme un acte de la puissance publique qui vient rendre impossible, pour l'un ou l'autre des contractants, l'exécution du contrat de travail (7). Mais la décision de l'autorité publique ne suffit pas, à elle seule, à caractériser la force majeure. Encore faut-il qu'elle remplisse les critères décrits précédemment. Spécialement, c'est souvent le caractère d'imprévisibilité qui fait défaut afin d'assimiler le fait du prince à la force majeure.
C'est ainsi que la Chambre sociale juge traditionnellement que l'employeur ne peut invoquer le fait du prince pour rompre le contrat de travail lorsque la décision de l'autorité publique a été conditionnée par le comportement du salarié. L'employeur ayant connaissance de ces agissements, il était en mesure de prévoir que l'autorité administrative puisse prendre une telle décision (8). C'est, à peu de chose près, la teneur de la décision commentée.
Une salariée d'Air France accède, pour l'exercice de ses fonctions, à une zone d'embarquement. Cet accès est soumis à la délivrance d'une habilitation et d'un titre de circulation par le préfet. Placée sous contrôle judiciaire, la salariée se voit retirer ces autorisations, d'abord provisoirement, puis de manière définitive. Air France notifie, alors, à la salariée la résiliation de son contrat de travail. Le juge des référés saisi considère cette rupture comme constituant un licenciement irrégulier, refusant l'argumentation de la société fondée sur l'existence d'un fait du prince et, donc, d'un cas de force majeure.
La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve les juges du fond en précisant que "la situation résultant du retrait d'une habilitation par l'autorité publique en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation ne constitue pas, en soi, un cas de force majeure".
C'est donc l'interférence du comportement du salarié dans la survenance du fait du prince qui lui ôte les caractéristiques de la force majeure.
2. L'interférence du comportement du salarié dans la qualification de force majeure
Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation s'interroge sur l'existence d'un fait du prince permettant d'obtenir la résiliation du contrat de travail pour force majeure, alors même que le fait du prince trouverait son origine dans un comportement du salarié. Ainsi, par exemple, a-t-elle déjà décidé, à la fin des années 80, que ne constituait pas un cas de force majeure le retrait de l'agrément d'une bibliothécaire, dès lors que cet agrément était soumis à une appréciation du comportement et de la conduite de celle-ci (9).
En l'espèce, si la situation dans laquelle se trouve l'employeur justifie probablement qu'un licenciement soit rendu nécessaire, on peut, cependant, douter que la qualification de force majeure ait été adéquate.
Seul le critère d'extériorité de la force majeure semblait indubitablement être caractérisé en l'espèce. La réunion des critères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité était probablement plus discutable.
S'agissant de l'imprévisibilité, tout dépend, finalement, du fait de savoir si l'employeur avait connaissance des agissements de la salariée ayant mené à son placement sous contrôle judiciaire. Si ce comportement avait été porté à sa connaissance, l'employeur ne pouvait arguer du caractère imprévisible du retrait des autorisations.
Il demeure, cependant, difficile de répondre à cette question au vu des faits retranscrits dans l'arrêt. Il n'est fait état, à aucun moment, de la connaissance ou non de l'employeur de ces éléments.
S'agissant de l'irrésistibilité, le doute est, également, permis. Deux situations semblent s'opposer.
La première situation consisterait à considérer que le comportement de la salariée ayant donné lieu au retrait de l'autorisation s'était produit dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. Une qualification fautive sur le plan du droit du travail était alors envisageable, un licenciement disciplinaire pouvant être prononcé. Dans ces conditions, le fait du prince n'aurait pas revêtu un caractère irrésistible pour l'employeur qui aurait parfaitement pu licencier la salariée.
La seconde situation serait constituée de l'hypothèse selon laquelle le placement sous contrôle judiciaire de la salariée aurait été prononcé au vu de comportements tenus hors de l'exécution du contrat de travail. Dans cette situation, la réponse est probablement plus délicate. A priori, le prononcé d'un licenciement disciplinaire ne peut intervenir en se fondant sur des faits n'étant pas directement en rapport avec l'exécution du contrat de travail. Dans l'impossibilité de licencier la salariée, le critère d'irrésistibilité réapparaîtrait.
Il ne faut, néanmoins, pas oublier que la Cour de cassation a parfois accepté de reconnaître la qualification de faute grave dans des situations relativement similaires, comme celle, par exemple, du retrait de permis de conduire pour un chauffeur routier, retrait prononcé pour conduite en état d'alcoolémie hors de son temps de travail (10).
Dans ces conditions, il était possible de considérer qu'un tel retrait d'autorisation puisse être constitutif d'une faute disciplinaire justifiant un licenciement, si bien que le retrait de l'autorisation n'aurait pas pu être qualifié d'évènement irrésistible pour l'employeur. Cependant, il s'agirait alors là d'une extension du champ des comportements intervenant hors du champ de la vie professionnelle pouvant justifier l'existence d'une faute.
Cette décision confirme donc, si cela était encore nécessaire, le carcan extrêmement étroit dans lequel est enserrée la force majeure en droit du travail.
Mais il ne faut pas s'y tromper. Ce sont moins les critères intrinsèques de la force majeure qui s'opposent à son utilisation pour rompre le contrat de travail que la volonté de mettre en avant l'autonomie du droit du licenciement et la faculté qu'avait l'employeur, dans cette affaire, de rompre le contrat de travail sans passer par le canal du droit commun (11).
Décision
Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-41.717, Société Air France, F-D (N° Lexbase : A6023DZ4) Rejet (CA Saint-Denis de la Réunion, chambre sociale, 21 février 2006) Textes visés : néant Mots-clés : licenciement ; fait du prince ; force majeure (non). Liens bases : ; . |
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