Réf. : Cass. civ. 1, 17 octobre 2007, n° 06-11.887, Mme Françoise Bel, FS-P+B (N° Lexbase : A8040DYG)
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N2201BDU
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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne
le 07 Octobre 2010
A première vue, il serait logique de conclure que la mort de l'un des futurs époux rend impossible la formation du contrat puisqu'un consentement ne peut plus être obtenu au jour de la célébration. Cependant, comme il est de l'esprit du Code civil de considérer que c'est l'intention matrimoniale qui fait le mariage et non la communauté de vie (nuptias non concubitus, sed consensus facit) (3), le législateur a admis qu'il puisse exister un mariage in extremis entre deux futurs époux et, surtout, un mariage posthume.
La loi du 31 décembre 1959 a, ainsi, introduit dans le Code civil un article 171 selon lequel le mariage peut être célébré, moyennant une autorisation discrétionnaire du Président de la République, s'il existe un motif grave de déduire de l'accomplissement des formalités officielles exigées en vue du mariage le consentement du futur époux décédé (4).
Les circonstances de ce texte sont connues car liées au décès d'un futur époux lors de la rupture du barrage de Malpasset. L'opinion publique s'étant émue de la situation de la jeune fille enceinte dont le fiancé avait été emporté par les eaux, il fut inséré, sous la forme d'un amendement, dans le projet de loi tendant à l'indemnisation des victimes de la catastrophe, un article 23 qui, après adoption, donna naissance, dans sa rédaction actuelle, à l'article 171 du Code civil.
Rarement un texte n'aura suscité autant de polémiques. L'idée qu'il puisse valablement exister un mariage entre une personne vivante et un mort remet effectivement en cause non seulement le régime mais aussi la nature même du mariage. Il a ainsi été reproché au législateur de méconnaître "le donné réel du mariage, union légale des sexes, contrat des vivants par excellence, et institution tournée vers l'avenir" (5) dont la vocation essentielle est la durée "indéfinie, indéterminée, illimitée" (6).
L'utilité d'une telle institution a, également, été fortement discutée. Institué originellement dans le but d'attribuer à l'enfant né ou à naître une légitimité résultant de la célébration du mariage, le mariage posthume a perdu, selon l'avis d'une doctrine majoritaire (7), son intérêt depuis que la loi du 3 janvier 1972 a introduit dans le Code civil la légitimation par autorité de justice dans les cas où le mariage est impossible (8) ; légitimation que l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation (ordonnance n° 2005- 759 N° Lexbase : L8392G9P) a, par ailleurs, supprimée.
Le présent arrêt montre, néanmoins, que le mariage posthume conserve dans les rapports entre époux un intérêt tant matériel que moral qui explique qu'il y soit encore recouru. En l'espèce, après avoir vécu en concubinage et eu un enfant, M. Jean-Michel X. et Mme Y. se fiancèrent en 1997. Après le décès du fiancé en 1998, la fiancée survivante forma une requête auprès du Président de la République sollicitant l'autorisation de célébrer un mariage posthume. Selon elle, le consentement du défunt au mariage était établi par des témoignages qui révélaient que celui-ci avait acquis une bague de fiançailles et qu'il avait informé le joaillier de son désir d'acheter des alliances. Cette requête fut rejetée en 1999, rejet, ensuite, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel ici attaqué. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu'il appartient seulement au juge de vérifier l'existence de formalités officielles dont le Président de la République apprécie souverainement si elles sont de nature à marquer sans équivoque le consentement au mariage de l'époux décédé. Or, selon les faits rapportés, la requérante n'avait pu produire "aucun document officiel tendant à mettre en évidence les démarches entreprises pour la célébration du mariage".
La Cour de cassation rappelle, ici, une jurisprudence constante. Puisqu'il ne peut pas y avoir de mariage sans un accord de volontés, il est nécessaire de rechercher, chez le défunt, une intention matrimoniale antérieure à la célébration qui pourra tenir lieu de consentement non équivoque si elle s'extériorise par l'accomplissement de formalités officielles. Sont ainsi visées toutes les formalités légales prénuptiales prévues à peine de nullité par le Code civil (9), notamment, les publications légales préalables au mariage (C. civ., art. 63 N° Lexbase : L1379HIW) (10), l'établissement des certificats médicaux prénuptiaux (11), ainsi que la notification écrite de l'intention de mariage reçue par un juge de paix étranger (12). En revanche, il a été jugé que l'unique démarche du défunt faite à la mairie en vue de constituer un dossier de mariage ne suffit pas à faire croire la réalité du consentement (13).
A noter, toutefois, que l'accomplissement des seules formalités ne peut suffire à justifier l'exception au principe selon lequel on ne peut marier un vivant à un mort. Il faut, également, prouver, par le biais de motifs graves, l'opportunité de la célébration. Aucune allusion n'est faite, en l'espèce, à l'existence de cette condition. Néanmoins, d'après les faits rapportés, elle semble être remplie par la naissance d'un enfant issu du concubinage de la requérante et du défunt, encore que celui-ci n'y trouve qu'un faible intérêt depuis la reconnaissance d'une égalité des filiations et la suppression de la légitimation.
Outre l'intérêt de l'enfant, la demande de mariage posthume peut être fondée sur un simple intérêt moral (14), comme la volonté de garder le souvenir du défunt, ou comme le besoin pour le fiancé survivant de conserver par delà la mort la preuve concrète de son union. Le mariage posthume présente encore des avantages matériels pour le conjoint survivant. S'il est vrai que ce mariage "n'entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit de l'époux survivant et aucun régime matrimonial n'est réputé avoir existé entre les époux" (C. civ., art. 171, al. 3), il existe d'autres moyens pour le survivant de tirer des ressources de l'union posthume. Il lui est, ainsi, possible de se prévaloir des dispositions testamentaires que le défunt aurait pu prendre à son égard ou des donations de biens présents ou à venir que les fiancés auraient pu se consentir dans un contrat de mariage. De même, rien ne s'oppose à ce que le conjoint survivant puisse prétendre au bénéfice de l'assurance vie, des prestations sociales et des droits qui lui sont expressément réservés (versement d'une pension de réversion, d'une allocation de veuvage (15), d'un capital-décès (16), droit aux aliments à l'encontre de la succession du prédécédé, cotitularité du droit au bail prévue à l'article 1751 du Code civil N° Lexbase : L1873ABY ou continuation du bail selon la loi du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L8461AGH, droit à réparation en tant que conjoint contre le civilement responsable du décès du fiancé (17)...). Enfin, le mariage posthume peut avoir une incidence successorale indirecte lorsqu'il existe un enfant né ou à naître. Dans la mesure où ce dernier recueille la succession de son auteur, le conjoint survivant est effectivement assuré d'en profiter dès lors qu'il a la jouissance légale des biens transmis ou, de manière plus incertaine, lorsque l'enfant décède sans postérité.
En vertu de l'article 171 du Code civil, ces éléments de légalité et d'opportunité doivent être appréciés par le chef de l'Etat, désigné par le législateur comme autorité habilitante. La décision qu'il prend se manifeste, ainsi, à travers un décret non motivé qui n'est susceptible d'aucun recours.
Cette compétence présidentielle est, de ce fait, très controversée (18). Selon les détracteurs de l'article 171 du Code civil, il est difficile de justifier qu'on laisse ainsi la responsabilité d'apprécier des questions d'état aussi fondamentales (19) à un seul homme dont la décision, si elle n'est pas concertée et motivée, peut facilement souffrir de contradictions.
Une requête en annulation de la décision présidentielle est, toutefois, possible, comme le démontre l'arrêt du 17 octobre 2007, ici commenté. Seules les juridictions judiciaires sont alors compétentes (20). La Cour de cassation se prononçait, pour la première fois, dans un arrêt du 6 décembre 1989 sur ce point en décidant que "l'existence comme la gravité des motifs qui justifient le mariage posthume" relèvent "du pouvoir discrétionnaire du Président de la République" et s'il "appartient au juge de vérifier l'existence de formalités officielles" nécessaires à la célébration, "le chef de l'Etat apprécie souverainement si elles sont de nature à marquer sans équivoque le consentement au mariage de l'époux décédé" (21). L'existence des formalités officielles est donc distinguée de la réalité du consentement. Les juges ne sauraient vérifier l'existence du consentement au mariage du défunt puisque l'examen de cette condition est expressément laissé à l'appréciation souveraine et discrétionnaire du chef de l'Etat. Seul ce dernier peut apprécier si les formalités officielles sont de nature à marquer sans équivoque le consentement au mariage du fiancé décédé. Le juge, quant à lui, ne peut vérifier que l'existence de ces mêmes formalités.
Récemment, la Cour de cassation semblait avoir infléchi sa jurisprudence. Dans un arrêt du 28 février 2006, la première chambre civile avait, en effet, décidé que "s'il résulte de l'article 171 du Code civil que le Président de la République apprécie la réalité du consentement du futur époux décédé au moment des formalités officielles, il appartient au juge, saisi d'une demande d'annulation de mariage posthume, de vérifier si ce consentement a persisté jusqu'au décès" (22). Le rôle du juge judiciaire semblait donc être élargi puisqu'en plus de vérifier l'existence des formalités officielles, il devait, selon cet arrêt, s'assurer de la "persistance" jusqu'au décès du consentement au mariage, ce qui lui permettait de corriger une éventuelle erreur d'appréciation du chef de l'Etat.
Une telle jurisprudence paraît aujourd'hui isolée. Preuve en est avec l'attendu du présent arrêt du 17 octobre 2007, quasi identique à celui de l'arrêt précité du 6 décembre 1989.
En définitive, si les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour se prononcer sur la requête en annulation pour illégalité de la décision présidentielle, ces derniers, de façon plutôt contradictoire, cantonnent leur intervention à l'exercice d'un contrôle minimal de légalité, "à une seule mission, peu glorieuse et vide de sens" (23), pour finalement s'en remettre à la décision d'un seul homme, fût-il au plus haut niveau de l'Etat.
(1) J. Carbonnier, Droit civil, La famille, l'enfant, le couple, T. 2, PUF, Coll. Thémis, 21ème éd., 2002, p. 436.
(2) C. civ., art. 75 (N° Lexbase : L3236ABH) et 146-1 (N° Lexbase : L1572ABT).
(3) Ulpien, Dig. 35, 1, 15, cité par J. Carbonnier, Droit civil, La famille, L'enfant, Le couple, préc., p. 433.
(4) J. Noirel, Mariage 1960 : le mariage posthume, S. 1960, p. 15.
(5) J. Noirel, préc..
(6) G. Cornu, Droit civil, La famille, Domat, Droit privé, Montchrestien, 8ème éd., 2003, p. 274, n° 158.
(7) F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, 7ème éd., Dalloz, 2005, p. 336, n° 368 ; B. Beignier, J.-Cl. Code civil, art. 16 à 16-12, Fasc. 72, Le mort, n° 5 ; I. Corpart, Mariage à titre posthume : une prérogative présidentielle dépassée ?, JCP éd. N, 2004, n° 1328.
(8) C. civ., anc. art. 333 à 333-6 (N° Lexbase : L6490DI9).
(9) Cass. civ. 1, 30 mars 1999, n° 96-20989, M. X et autre c/ Mlle Z, publié (N° Lexbase : A5358CKN), Dr. fam. 1999, comm. n° 62, note H. Lécuyer.
(10) TGI Seine, 25 mai 1964, D. 1964, p.546, note P. Esmein ; Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, n° 88-11994, Mme X c/ Mme Y, publié (N° Lexbase : A3987CGR), D. 1990, p.225, note J. Hauser.
(11) Cass. civ. 1, 30 mars 1999, préc..
(12) CA Grenoble, 5 septembre 2001, Dr. fam. 2002, comm. n° 139, note H. Lécuyer.
(13) CA Paris, 7 mai 1993.
(14) TGI Paris, 12 avril 1983, et sur appel, CA Paris, 25 juin 1985, cités par J. Rubellin-Devichi, RTDciv. 1986, p.573 ; TGI Albertville, 3 juillet 1987, GP 1989, I., p. 27, note J. Pascal.
(15) Cass. soc., 15 février 2001, n° 99-17.199, Mme Thérier c/ Caisse régionale d'assurance maladie Nord Picardie (N° Lexbase : A3858ARC), D. 2002, somm., p. 535, obs. J.-J. Lemouland.
(16) Cass. civ. 1, 22 mai 2007, n° 05-18.582, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine et Marne, FS-P+B (N° Lexbase : A4839DW7), Dr. fam., 2007, comm. n° 160, note A. Devers.
(17) TGI Rouen, 21 novembre 1966, GP 1967, I., somm. p. 38.
(18) I. Corpart, Mariage à titre posthume : une prérogative présidentielle dépassée ?, préc..
(19) J. Noirel, préc.. V., également, les obs. de J. Hauser, sous Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, préc..
(20) CE, 25 octobre 1963, Compan, GP 1964, I., p. 149 ; Cass. crim. 29 avril 1964, n° 62-92630, publié (N° Lexbase : A4224CKN), JCP 1964, II., 13912, note R. Meurisse : "Attendu que les autorisations accordées en vertu de l'article 171 nouveau du Code civil sont indissociables des questions d'état relatives au mariage lui-même et que la validité de celui-ci ne peut être appréciée que par l'autorité judiciaire".
(21) Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, préc..
(22) Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 02-13.175, Mme Nathalie Auriac c/ Mme Stéphanie Clark, épouse Cialdella, FS-P+B (N° Lexbase : A4050DNC), Dr. fam. 2006, comm. n° 79, note V. Larribau-Terneyre.
(23) J. Hauser, note sous Cass. civ. 1, 6 décembre 1989, préc..
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