La lettre juridique n°268 du 12 juillet 2007 : Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209260-chronique-la-chronique-de-procedure-civile-d-b-etienne-verges-professeur-a-luniversite-de-grenoble-i
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le 30 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Au sommaire de cette chronique seront abordés, entre autres, la question de la désignation, lors d'une action en justice, de l'adversaire par un nom d'enseigne, la question du choix de la procédure qui confère sa force exécutoire à une transaction, ou encore, le fait que, en matière de preuve, le silence ne vaut pas acquiescement. I - Action en justice : désignation de l'adversaire par un nom d'enseigne
  • La désignation d'une société par son enseigne ne constitue pas une cause d'irrecevabilité de l'action, mais une simple nullité de forme : Cass. civ. 2, 24 mai 2007, n° 06-11.006, Société l'Industrielle du Ponant (IDP), FS-P+B (N° Lexbase : A4884DWS)

Un litige est né entre une entreprise en difficulté (société l'Industrielle du Ponant) et un établissement bancaire (la société Coopérative de Banque populaire Atlantique) à propos de l'admission au passif de l'entreprise de la créance de la banque.

A l'occasion de ce procès, la société industrielle a interjeté appel en désignant son adversaire par le nom de son enseigne ("la société Atlantique bail"). L'intimé a, alors, soulevé l'irrecevabilité de l'appel en ce qu'il n'indiquait pas correctement l'identité du défendeur.

La question se posait de connaître la nature de la sanction d'une erreur dans la désignation de l'adversaire en justice. La question peut avoir une incidence en pratique, tant il peut se révéler délicat d'identifier de façon claire son contradicteur.

La Cour de cassation a résolu cette difficulté en considérant que "la désignation de l'intimé, dans la déclaration d'appel, par une dénomination constituant en réalité une enseigne sous laquelle cette partie exerce son activité est un vice de forme". Cette décision est importante, car la nullité pour vice de forme n'est encourue qu'à condition que le défendeur démontre que la désignation erronée lui a causé un grief. Si le défendeur a eu la possibilité d'exercer normalement l'ensemble de ses droits procéduraux, il sera difficile, en pratique, d'établir le grief. Dès lors, une désignation visant uniquement l'enseigne de l'adversaire pourrait n'avoir aucune incidence sur la régularité de la procédure.

Cet arrêt a été rendu à propos d'un acte d'appel, mais la solution est facilement transposable à toute action en justice. Ainsi, on pourra considérer qu'une assignation désignant le défendeur par son enseigne s'expose à une simple nullité pour vice de forme, mais ne constitue pas une fin de non-recevoir.

II - Choix de la procédure qui confère sa force exécutoire à une transaction

  • L'action qui vise à conférer force exécutoire à une transaction doit suivre la procédure de l'ordonnance sur requête : Cass. civ. 2, 24 mai 2007, n° 06-11.259, M. Etienne Giammertini, FS-P+B (N° Lexbase : A4888DWX)

Dans cet arrêt, les faits étaient relativement simples. Un établissement bancaire avait conclu une transaction avec un couple et avait, par la suite, saisi le président du tribunal de grande instance afin que ce juge donne la force exécutoire à cette transaction en application de l'article 1441-4 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1780ADB). Le président de la juridiction ayant fait droit à cette demande, le couple avait interjeté appel de la décision de justice.

Le problème de cet arrêt portait sur la recevabilité de l'appel. Plus précisément, il s'agissait de savoir si l'instance tendant à conférer à la transaction une force exécutoire suivait les règles de la procédure contentieuse, gracieuse ou de l'ordonnance sur requête.

Par des motifs erronés, les juges du second degré avaient déclaré l'appel irrecevable en se fondant sur les formalités réalisées par l'appelant dans leur déclaration. La Cour de cassation rétablit, dans un premier temps, l'exacte qualification de la procédure en affirmant que "l'ordonnance rendue en application de l'article 1441-4 du Nouveau Code de procédure civile est une ordonnance sur requête". Elle en tire, ensuite, une conséquence logique par motifs substitués à ceux de la cour d'appel en décidant que "l'ordonnance ayant fait droit à la requête, M. et Mme X pouvaient seulement en demander la rétractation".

La solution emporte la conviction. L'ordonnance sur requête est une décision juridictionnelle prise sans débat contradictoire. Si le juge ne fait pas droit à la demande, le requérant peut interjeter appel. En revanche, s'il est fait droit à la requête, celui dont les droits sont atteints par l'ordonnance doit en demander la rétractation devant le juge qui a pris la décision (NCPC, art. 496 N° Lexbase : L2741ADU).

III - Preuve : le silence ne vaut pas acquiescement

  • Les principes relatifs à la répartition de la charge de la preuve font obstacle à ce que le juge retienne pour vrai un fait qui a été simplement affirmé par une partie et non contesté par l'autre : Cass. civ. 1, 24 mai 2007, n° 06-18.218, M. Jean-Jacques Barrault, F-P+B (N° Lexbase : A5000DW4)

Deux époux étaient en conflit sur le montant de la prestation que devrait verser l'ex-mari à son ex-épouse. La dame fondait sa demande sur plusieurs faits qui n'étaient étayés par aucun élément de preuve. Elle arguait, d'une part, que son mari vivait avec une autre femme ; ce qui réduisait les charges de la vie quotidienne. Elle invoquait, d'autre part, que l'époux venait de se porter acquéreur d'un voilier d'une valeur de 300 000 euros, élément démontrant qu'il possédait un patrimoine important. De son côté, le mari n'avait contredit aucun de ces faits.

La cour d'appel avait tenu compte de ces différents moyens de fait pour déterminer la prestation compensatoire (un capital de 90 000 euros). Elle faisait, ainsi, implicitement application de la théorie dite du "fait constant", selon laquelle le fait affirmé par une partie et non démenti par l'autre peut être tenu pour vrai par le juge. La solution n'était pas totalement absurde, dans la mesure où les parties définissent l'objet du litige et peuvent ainsi limiter, dans une certaine mesure, le pouvoir d'investigation du juge. A l'évidence, l'objet et les faits du litige ne doivent pas être confondus, mais un accord des parties sur un élément factuel emporte la disparition du fait du champ de la contestation, ce qui peut influer indirectement sur l'objet du litige.

Une telle analyse a pourtant été censurée par la Cour de cassation qui affirme clairement que "le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas à lui seul reconnaissance de ce fait". L'arrêt est rendu au visa de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). Ainsi, la Haute juridiction analyse-t-elle logiquement cette question sous le prisme de la charge de la preuve. Le silence de l'adversaire n'emporte aucune dispense de preuve, ni aucune présomption. Tout au plus pourrait-on parler d'un allègement de la charge de la preuve. En effet, en affirmant que le silence ne vaut pas "à lui seul" reconnaissance d'un fait, la Cour de cassation sous-entend que ce silence pourrait valoir preuve, s'il était corroboré par un autre élément. Une telle solution ne pourrait s'appliquer, en toute hypothèse, que lorsque la preuve est libre. Dans les matières dominées par la preuve légale, le silence, même corroboré, ne peut prendre la valeur d'un acte sous seing privé.

IV - Preuve : vie privée c/ droits de la défense

  • L'utilisation, au cours d'un procès, d'éléments de preuve dévoilant la vie privée d'une partie et le secret médical auquel elle a droit peut être justifiée par la protection des droits de la défense : Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-10.606, Société GMBA, F-P+B (N° Lexbase : A2532DWP)

Cet arrêt est important même s'il ne concerne qu'indirectement une question de procédure civile. Les faits portaient sur un litige relatif à la direction d'une société commerciale et à la validité de certains actes qui avaient été réalisés par une personne dont l'état de santé était susceptible de l'empêcher d'exercer ses fonctions. Au cours de cette instance, plusieurs pièces relatives à l'état de santé du dirigeant avaient été produites par d'autres parties. Ceux qui avaient divulgué ces pièces protégées par le secret médical furent poursuivis et condamnés par la cour d'appel pour atteinte à l'intimité de la vie privée. La cour d'appel avait ainsi décidé que, même obtenues sans fraude, les pièces en question ne pouvaient être révélées aux autres parties à la procédure sans constituer une violation du droit à l'intimité de la vie privée.

La question soulevée par cet arrêt était essentielle. Elle consistait à savoir si des pièces concernant la vie privée d'une partie, voire le secret médical, pouvaient être produites en justice pour les nécessités de la défense. Cette question relative à la force du principe du respect de l'intimité de la vie privée en procédure civile est d'autant plus intéressante qu'elle est très peu évoquée en jurisprudence, si l'on excepte le contentieux du licenciement et celui du divorce pour faute.

La Cour de cassation répond de façon nuancée à la question qui lui est posée. Au visa des articles 6 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, elle considère, d'abord, que "le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le succès de ses prétentions" est contraire au principe d'égalité des armes résultant du droit au procès équitable. Elle retient, ensuite, que "toute atteinte à la vie privée n'est pas interdite, et qu'une telle atteinte peut être justifiée par l'exigence de la protection d'autres intérêts, dont celle des droits de la défense, si elle reste proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence". Elle retient, enfin, qu'en l'espèce, "la production de pièces relatives à la santé du dirigeant pouvait être justifiée, si elle restait proportionnée, par la défense des intérêts" de l'une des parties au procès.

Le raisonnement tenu par la Cour de cassation est édifiant. Tout d'abord, elle déduit de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la protection des droits de la défense. De surcroît, elle reconnaît implicitement l'existence d'un droit de prouver, protégé par le principe de l'égalité des armes. Ensuite, en visant deux stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (les articles 6 et 8), elle place sur le même plan le droit au respect de la vie privée (art. 8) et le droit à la preuve qui dépend indirectement du droit au procès équitable (art. 6). Enfin, elle réalise un arbitrage entre ces deux droits en faisant appel au raisonnement de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ainsi, la production d'un moyen de preuve portant atteinte à la vie privée d'un individu ne peut être admise en justice que si elle est justifiée et proportionnée à la protection d'autres intérêts.

En définitive, la vie privée reçoit, en procédure civile, une protection toute relative s'il l'on considère que cet arrêt admet largement la révélation en justice d'un fait privé lorsque cette révélation est rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense. Cet arrêt est à mettre en relation avec les solutions applicables au contentieux familial, lesquelles visent à admettre largement la production de preuves relatives à la vie privée sous la seule réserve du respect de la loyauté probatoire (cf. notamment C. civ., art. 259-1 N° Lexbase : L2825DZN).

V - Preuve : vie privée du salarié et mesures d'instruction in futurum

  • La protection de la vie personnelle du salarié n'interdit pas au juge d'ordonner une mesure d'instruction in futurum visant à consulter et enregistrer la messagerie électronique du salarié : Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, Société Datacep, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP) (1)

Le respect de la vie privée des salariés dans le contentieux prud'homal est toujours aussi sensible, malgré les clarifications apportées par la jurisprudence "Nikon" dans ce domaine (2).

En l'espèce, un employé utilisait son ordinateur professionnel pour entretenir une correspondance électronique avec deux personnes étrangères à l'entreprise en vue de la constitution d'une société concurrente à celle de son employeur. L'employeur en question, qui suspectait des actes de concurrence déloyale, demanda au juge, sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3), qu'il autorise un huissier à prendre connaissance et à enregistrer les messages électroniques échangés par le salarié déloyal et ses comparses.

Les mesures d'instruction furent ordonnées par le juge de première instance, mais l'ordonnance fut rétractée par la cour d'appel au motif qu'elle portait atteinte à une liberté fondamentale. Les juges du second degré semblaient ainsi appliquer scrupuleusement la jurisprudence "Nikon", qui interdit à l'employeur de prendre connaissance des courriers électroniques privés ou personnels de leurs salariés.

Telle n'est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation. Celle-ci censure l'arrêt d'appel au motif que "le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées". La Cour de cassation constate, ensuite, que la mesure d'instruction était légitimée par les doutes de l'employeur sur la loyauté de son employé, et que l'huissier avait agi en présence du salarié. Elle en déduit que la cour d'appel ne pouvait interdire cette mesure.

L'arrêt est intéressant en ce qu'il revient partiellement sur le droit au respect de la vie privée (ou personnelle) du salarié ; droit qui avait été consacré avec vigueur par la Chambre sociale. Mais la Haute juridiction ne sacrifie pas le principe du respect de la vie privée sur l'autel du droit à la preuve. Elle n'admet qu'il soit porté atteinte audit principe que dans un cadre étroitement délimité : l'autorisation du juge, l'existence du motif légitime, la recherche de la preuve par un huissier et la présence de l'intéressé.

Il n'en reste pas moins que le droit à la vie privée subit une nouvelle atteinte en procédure civile ; une atteinte qui est rendue nécessaire par la recherche de la vérité.

Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) Sur cet arrêt lire, également, Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1969BBK).
(2) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Société Nikon France c/ M. Frédéric Onof, publié (N° Lexbase : A1200AWD), Bull. civ. V, n° 291 ; D. 2001, p. 3148, note P.-Y. Gautier ; D. 2002, somm., p. 2296, obs. C. Caron ; JCP éd. E, 2001, 1918.

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