Réf. : Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104, Epoux X. c/ Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (CRCAMCE) (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673, Mme Régine X., épouse Y. c/ Société Union bancaire du Nord (UBN) (N° Lexbase : A9646DW8)
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par Richard Routier, Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand 1
le 07 Octobre 2010
Dans les deux affaires, le banquier a eu la faveur des juges du second degré. Ces derniers sont, cependant, censurés pour n'avoir pas précisé si l'emprunteur était "non averti et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la [banque] justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts".
Plusieurs observations d'importance peuvent, dès lors, être faites.
Il résulte, d'abord, de ces arrêts du 29 juin 2007, que le caractère "profane" disparaît au profit de celui de "non averti". La différence n'est pas que de vocabulaire. La notion de profane est souvent opposée à celle de professionnel. Or, ainsi qu'il a déjà été observé (7), un professionnel n'est pas forcément averti. Cela permet à la Chambre mixte d'opérer une déconnexion radicale entre les qualités de "professionnel" et de "non averti". Cela est particulièrement évident dans la première espèce où l'agriculteur emprunteur, qui est manifestement un professionnel, pouvait, néanmoins, être non averti.
On remarquera, au passage, que l'attendu de la Chambre mixte est en quelque sorte "le négatif" de celui de la première chambre civile qui avait déjà modifié sa formulation en énonçant que, si le risque est élevé, à la limite de ce qui est raisonnable, le banquier doit vérifier si les emprunteurs sont avertis et, dans la négative, les alerter sur l'importance de ce risque (8).
Est, ensuite, précisé le moment où est dû le devoir de mise en garde : c'est celui de la conclusion du contrat. Il ne pouvait à la vérité en aller autrement car, naturellement, c'est à la formation du contrat, avant que le consentement de l'emprunteur ne soit donné, qu'un tel devoir présente une utilité.
Le périmètre de l'obligation est aussi plus précisément circonscrit. Le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde au regard "des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts". Ces deux conditions, cumulatives, méritent quelques explications. Si les capacités financières comprennent certainement la capacité de remboursement, et donc les revenus, la situation patrimoniale est plus problématique. Dans l'espèce ayant donné lieu au premier arrêt, l'état du patrimoine de l'agriculteur, d'une valeur dépassant pourtant le montant total des emprunts, n'a pas permis au banquier de s'exonérer de son obligation. Cela peut se comprendre s'agissant, en l'espèce, d'un cheptel, qui, s'il devait être réalisé pour désintéresser le banquier, ne serait pas sans conséquence pour l'activité de l'exploitation. Mais la solution devrait pouvoir être modulée selon la nature du patrimoine et sa liquidité. On peut raisonnablement penser que, si le patrimoine de l'emprunteur comporte d'importantes liquidités, permettant largement de faire face à ses engagements, le devoir de mise en garde du banquier pourrait être différent.
La deuxième condition relative aux "risques de l'endettement né de l'octroi des prêts" cantonne le devoir du banquier au seul accroissement des risques résultant des concours qu'il se propose d'octroyer. Cette solution est à la fois logique et juste. Une mise en garde du banquier ne peut se concevoir, dans le silence des parties, que pour les risques qu'il contribue à créer. Par ailleurs, si d'aventure l'emprunteur venait à cacher au banquier d'autres concours, ce dernier ne pourrait évidemment pas être responsable d'une absence de mise en garde, que la seule situation connue du banquier pouvait parfaitement justifier.
La Chambre mixte vient, enfin, mettre à la charge du banquier la preuve du bon accomplissement du devoir. Cette position était assez prévisible, car en énonçant qu'il appartient au banquier de justifier avoir satisfait à son obligation, la Haute juridiction ne fait que reprendre une solution déjà posée pour les autres professionnels. Il est, en effet, désormais classique que c'est aux professionnels -dont le banquier (9)-, légalement ou contractuellement tenus d'une obligation particulière d'information, qu'il revient de rapporter la preuve de l'exécution de leur obligation (10) ; cette preuve pouvant être rapportée par tous moyens (11). Conséquemment, le devoir de mise en garde, qui peut être vu comme une information qualifiée, ou, à tout le moins, qui relève de l'information lato sensu, pouvait difficilement suivre un sort différent.
La clarification apportée ici par la Chambre mixte à la jurisprudence du devoir de mise en garde marque incontestablement une grande étape. Sans doute, d'autres décisions seront-elles nécessaires pour régler, ci et là, certaines situations qui ne se sont pas encore présentées au juge. C'est le cas, par exemple, de l'articulation de cette nouvelle obligation avec l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU) (12). Mais, si l'on fait abstraction des quelques cas particuliers dont l'issue est encore incertaine, il est permis de penser qu'avec les arrêts du 29 juin 2007, le régime du devoir de mise en garde du banquier, à l'égard de l'emprunteur, est désormais bien établi.
(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, trois arrêts, n° 03-10.770, M. Franck Guigan c/ Crédit lyonnais, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9139DIC), n° 02-13.155, M. Joël Seydoux c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0277DKH) et n° 03-10.921, M. Simon Jauleski c/ Société BNP Paribas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9140DID), D. 2005, AJ p. 2276, obs. X. Delpech, Jur. p. 3094, note B. Parance, et 2006, Pan. p. 167, obs. D-R. Martin et H. Synvet ; Banque, n° 673, octobre 2005, p. 94, note J.-L. Guillot, M. Boccara Segal ; JCP éd. G, 2005, II, 10140, note A. Gourio, et éd. E, 2005, p. 1359, note D Legeais ; Banque et droit 2005, n° 104, p. 80, obs. T. Bonneau, RLDC 2005, n° 21, p. 15, note S. Piedelièvre, RD bancaire et fin., septembre-octobre 2005, p. 20, obs. D. Legeais, et novembre-décembre, p. 14, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Resp. civ. et assur. n° 10/2005, p. 22 ; BRDA 2005, n° 20, p. 11 ; Dr. et patr., 2005, n° 143, p. 98, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm, et 2006, n° 145, p. 123, obs. L. Aynes et P. Dupichot ; RTD com. 2005, p. 829, obs. D. Legeais.
(2) Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-11.211, M. Gilbert Joffre c/ Banque française commerciale Océan Indien (BFCOI), FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2447DPC), Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 2006, p. 1618, note J. François ; Gaz. Pal., 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; RD bancaire et fin., 2006, n° 4, p. 12, note F.-J. Crédot, T. Samin ; Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.517, Crédit lyonnais c/ M. Jean Pouth, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2486DPR), Bull. civ. IV, n° 101, D. 2006, p. 1445, note X. Delpech ; Gaz. Pal. 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; JCP éd. E, 2006, p. 996, note D. Legeais ; D. 2006, Jur. p. 1618, obs. J. François ; Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19.315, Mme Eliane Daviot, épouse Mainguy c/ Société Natiocrédibail, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2499DPA), Bull. civ. IV, n° 103, Gaz. Pal., 28-29 juin 2006, p. 5, note S. Piedelièvre ; RLDC juillet -août 2006, p. 36, note G. Marraud des Grottes. D. Chemin-Bomben, Devoir de mise en garde du banquier : un arrêt ça va trois... bonjour les débats !, Rev. Lamy dr. aff., septembre 2006, p. 34.
(3) Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts, n° 05-21.104 et n° 06-11.673, cités en référence.
(4) Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, n° 03-17.443, Mme Angèle Kuntzmann c/ Société Cetelem, F-P+B (N° Lexbase : A3277DLX), Bull. civ. I n° 397, lire nos obs., Nouveau contour de l'obligation du prêteur de mettre en garde l'emprunteur profane, Lexbase Hebdo n° 194 du 15 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1885AKZ) - Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 02-19.066, Claude Levrai c/ Crédit lyonnais, F-P+B (N° Lexbase : A1696DN7), Bull. civ. I, n° 91, JCP éd. E 2006, p. 611, note D. Legeais, et p. 1850, obs. J. Stoufflet ; RTD com. 2006, p. 462, obs. D. Legeais ; Rev. Lamy dr. aff. 2006/5, n° 256 ; D. 2006, Jur. p. 1618, obs. J. François ; RD imm. 2006, p. 294, obs. H. Heugas-Darraspen ; Banque et droit 2006, n° 108, p. 62, obs. T. Bonneau - Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 04-17.287, Mme Françoise Guilhem, épouse Dulcy, F-P+B (N° Lexbase : A2058DUR).
(5) Cass. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104, préc..
(6) Cass. mixte, 29 juin 2007, n° 06-11.673, préc..
(7) R. Routier, "Consécration et problématique de l'obligation de mise en garde de l'emprunteur profane", in Le devoir de mise en garde du banquier, Université de Clermont-Ferrand I, 29 mars 2007 ; RD bancaire et fin. novembre-décembre 2007 (à paraître), spéc. n° 8.
(8) Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 02-19.066, préc..
(9) Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 98-20.518, M. André Jaume c/ Caisse nationale de prévoyance, FS-P (N° Lexbase : A0594AXB), Bull. civ. I, n° 271.
(10) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres (N° Lexbase : A0061ACA), Bull. civ. I, n° 75 ; D. 1997, Somm. p. 319, obs. M. Penneau ; Gaz. Pal., 1997, 1, p. 274, rapp. P. Sargos, note J. Guigue ; JCP éd. G, 1997, I 4025, n° 7 obs. G. Viney ; LPA 16 juillet 1997, n° 85, p. 17, note A. Dorsner-Dolivet ; Contrats concur. consom. 5/1997, p. 4, note L. Leveneur ; RTD civ. 1997, p. 434, note P. Jourdain ; Rev. Lamy droit des aff. 1998, n° 6, p. 3, note Y. Chartier ; Defrénois 1997, p. 751, obs. J-L. Aubert (médecins) - Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132 ; JCP éd. G, 1997, II 22948, note R. Martin ; LPA 15 août 1997, n° 98, p. 15, note M.-H. et V. Maleville (avocat) - Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, Monsieur Dumin c/ Société d'Assurances Crédit Mutuel et autre (N° Lexbase : A0574ACA), Bull. civ. I n° 356 ; Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.485, M. Patrice Abadie c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8469DBB), Bull. civ. II n° 163, Dr et patr., juillet-août 2004, p. 95, obs. P. Chauvel (assureur).
(11) Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-19.609, Consorts X c/ Mme Y (N° Lexbase : A0710ACB), Bull. civ. I, n° 278, JCP éd. G, 1997, II 22942, rapp. P. Sargos, et I 4068, n° 6, obs. G. Viney ; RTD civ. 1998, p. 100, obs. J. Mestre ; LPA 13 mars 1998, n° 31, p. 18, note Y. Dagorne-Labbé - Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-11.339, M. Chérif Bouchemoua c/ Mme Michèle Guedj-Saal, F-P+B (N° Lexbase : A8632DEG), Bull. civ. I, n° 6 ; RTD civ. 2005, p. 381, note J. Mestre, B. Fages.
(12) Sur cette question : R. Routier, "Consécration et problématique de l'obligation de mise en garde de l'emprunteur profane", in Le devoir de mise en garde du banquier, Université de Clermont-Ferrand I, 29 mars 2007 préc., spéc. n° 17 s.
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