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N7972BBU
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Ainsi donc, l'ordonnance n° 2005-893 est contraire à la Convention OIT n° 158, en ses articles 4 (motif valable de licenciement), 7 (possibilité de se défendre contre les allégations formulées), 9 (possibilité pour les juridictions d'examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement) et 2 (régime dérogatoire, notamment caractère raisonnable de la durée de deux ans dite de consolidation). Au premier abord, l'argumentation semble proprement juridique et la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Longjumeau n'emporter que des motifs de validation sur le plan strict du droit. Pourtant, lorsque, d'après les juges, le CNE "prive le salarié de l'essentiel de ses droits en matière de licenciement", ce qui représente une "régression qui va à l'encontre des principes fondamentaux du droit du travail", l'oreille avertie décèle quelque motivation plus générale, ralliant à sa cause les grands principes fondamentaux. Enfin, lorsque la cour d'appel estime que "dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et qu'il est pour le moins paradoxal d'encourager les embauches en facilitant les licenciements", la seconde impression perdure : la motivation politico-économique tenterait-elle d'emporter l'adhésion, à défaut d'unanimité sur la motivation strictement juridique ? En effet, rappelons que le Conseil d'Etat avait jugé, le 19 octobre 2005, le CNE conforme à la Convention n° 158 de l'OIT. En outre, si la cour d'appel de Bordeaux a prononcé un arrêt identique à celui de la cour d'appel de Paris, le 27 juin dernier, le conseil de prud'hommes de Roubaix avait conclu à l'inverse, le 22 juin. Reste donc à la Cour de cassation de trancher définitivement le débat (la juridiction judiciaire étant définitivement compétente en la matière selon le Tribunal des conflits) ; ce qui ne devrait pas tarder puisque l'arrêt de Bordeaux a déjà fait l'objet d'un pourvoi.
Aux grands maux les grands remèdes, l'affaire semble se régler, mais dans un imbroglio qui ne peut être démenti, même au niveau international. Qu'on en juge : à la dysharmonie juridictionnelle s'ajoute la contrariété des instances internationales sur la question. Le CNE, condamné à disparaître sous la prééminence de l'OIT, était, il y a moins d'un mois, encensé par l'OCDE, qui regrettait qu'il ne soit réservé qu'aux entreprises de moins de vingt salariés et rappelait "qu'il demeure nécessaire, en France, de réformer les institutions et les pratiques rigides du marché du travail".
La dernière enquête menée par le ministère de l'Emploi montre qu'une embauche sur dix en CNE n'aurait pas eu lieu si ce contrat n'avait pas existé et que deux sur dix ont été anticipées. Ce dispositif aurait donc permis l'embauche de plus de 900 000 personnes. Or, le CNE aurait, depuis sa création, donné lieu à près de 800 litiges ! La tempête médiatico-judiciaire n'est-elle alors pas disproportionnée au regard de l'adhésion à ce type de contrat de la grande majorité des intéressés (en dehors de toute considération sur la nécessaire défense des principes généraux du droit du travail et de la protection des salariés) ?
Et puisque c'est là où il est le plus facile de mettre fin à un contrat de travail que les embauches sont les plus nombreuses, à en juger les faibles taux de chômage des pays appliquant ce type de contrat (en dehors de toute considération sur la précarité des marchés du travail concernés), ce succès des syndicats, plus que des salariés sur le plan médiatique, ne s'avèrerait-il pas une victoire à la Pyrrhus ? Surtout, lorsque de Hauts responsables syndicaux entendent, désormais, dialoguer et convaincre les magistrats ayant rendu cette décision rendue au nom du Peuple français ! "Encore une victoire comme celle là et [c'est le dialogue social en cours qui] serait complètement défait" ?
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