La lettre juridique n°264 du 14 juin 2007 : Social général

[Questions à...] La télésurveillance : questions à Sophie Jammet, avocat au barreau de Paris

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par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La télésurveillance est un moyen souvent tentant, pour les employeurs, de contrôler efficacement l'activité de leurs salariés. Pourtant, il ne peut être mis en place dans l'entreprise à n'importe quel prix, tant il empiète par nature sur certaines libertés des salariés. La question de la télésurveillance est récurrente en droit du travail et alimente régulièrement le contentieux de la Cour de cassation. Ce procédé oppose, par définition, certaines libertés du salarié et d'autres de l'employeur : d'une part, la liberté de l'employeur de contrôler l'activité de ses salariés et au besoin de les sanctionner, ces derniers étant, rappelons-le, placés dans un lien de subordination par rapport à l'employeur ; d'autre part, le respect de la vie privée des salariés qui s'exerce aussi sur leur lieu de travail. Pour faire le point sur cette question délicate et, notamment, sur la question des écoutes téléphoniques, nous avons choisi d'interroger Sophie Jammet, avocat spécialisée en droit social au barreau de Paris. Lexbase : Que faut-il entendre par télésurveillance ?

Sophie Jammet : La télésurveillance est le fait pour l'employeur de procéder à une surveillance de son salarié à travers la captation et/ou l'enregistrement, sous quelque forme que ce soit, des conversations et correspondances des salariés émises, transmises ou perçues par voies de télécommunications, telles que les écoutes téléphoniques, les enregistrements sonores, les traçages des connexions informatiques, les captations des messageries internet.

Lexbase : L'employeur peut-il librement installer un système de télésurveillance dans l'entreprise ?

Sophie Jammet : Non, car la règle est l'interdiction de principe de la télésurveillance. Cette interdiction trouve son fondement dans le principe de la protection de la vie privée, auquel peut prétendre le salarié y compris sur son lieu de travail. Cette interdiction est prévue à la fois par le Code pénal (C. pén., art. 226-1 N° Lexbase : L2092AMG et art. 226-15 N° Lexbase : L2125AMN) et le Code du travail (C. trav., art. L. 120-2 [LXB=L5441ACIL]).

Lexbase : Existe-il des exceptions à ce principe ?

Sophie Jammet : Oui, bien entendu. La télésurveillance peut être mise en place dans l'entreprise, à condition que certaines exigences soient respectées.

En premier lieu, l'employeur doit procéder à une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). A défaut de satisfaire à cette exigence, la mise en oeuvre de la télésurveillance ne sera pas licite. La Cour de cassation a considéré, dans un arrêt relatif à la mise en oeuvre d'un système de badge permettant d'identifier les salariés à leur entrée et à leur sortie des locaux de l'entreprise, "qu'à défaut de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés d'un traitement automatisé d'informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en oeuvre d'un tel traitement ne peut lui être reproché" (Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8004DB3 ; lire les obs. de Ch. Radé, L'entreprise, espace privé d'exercice des libertés publiques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1239ABI). Cette solution est transposable aux écoutes téléphoniques et l'on peut imaginer qu'à défaut de déclarer à la Cnil le dispositif de télésurveillance mis en place, l'employeur s'expose à une issue telle que celle retenue par cet arrêt.

En deuxième lieu, la Cour de cassation exige, pour que la mise en place de la télésurveillance soit licite, que les salariés en soient informés (Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98 -42.090, M. Dujardin c/ Société Instinet France, publié N° Lexbase : A4968AG4). L'information individuelle des salariés n'étant pas ici exigée puisqu'il n'existe aucune précision à ce sujet dans le Code du travail, le problème de la preuve que les salariés ont bien été informés de la mise en place de la télésurveillance va se poser de façon récurrente. Dès lors, le meilleur moyen pour l'employeur de rapporter cette preuve est de faire signer à chaque salarié, lors de l'embauche, un écrit par lequel il reconnaît avoir eu connaissance du dispositif mis en place. A défaut, l'employeur peut aussi inscrire dans le règlement intérieur la mise en place des ces procédés, ou l'insérer en écran d'accueil, ou bien encore faire passer une note d'information. Toutefois, il est à noter que le simple affichage dans les locaux paraît insuffisant.

En revanche, la preuve de cette connaissance par le salarié peut être rapportée par tout moyen. La Cour de cassation a considéré que la preuve de l'information du salarié était rapportée quand bien même ce dernier, chargé de recevoir et de transmettre au téléphone des ordres d'achats en bourse, avait été informé de cette pratique lors d'une réunion dont l'objet était seulement d'informer les salariés d'écoutes téléphoniques des opérateurs (Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-42.090, préc.).

La Cour de cassation a récemment décidé, par un arrêt du 23 mai 2007, que la preuve pouvait être également rapportée par SMS ; "si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, en revanche, la communication par messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, ne doit pas obéir à un tel régime" (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle SCP Laville-Aragon et autre c/ Mme Lydie Lacomme, publié N° Lexbase : A3964DWQ ; lire les obs. de Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale N° Lexbase : N1969BBK).

En outre, dans un litige porté devant un conseil de prud'hommes, et en l'absence de la lettre par laquelle la salariée reconnaissait être informée du dispositif de télésurveillance mis en place par l'entreprise, les juges ont admis que la preuve de cette connaissance pouvait résulter du procès-verbal rédigé par le conseiller du salarié, le salarié ayant avoué à l'employeur devant le conseiller, lors de son entretien préalable à son licenciement, qu'il ne supportait plus cette surveillance permanente.

La Cour de cassation a également retenu -s'il était besoin de le préciser !- que la simple surveillance d'un salarié faite sur les lieux du travail par son supérieur hiérarchique, même en l'absence d'information préalable du salarié, ne constitue pas, en soi, un mode de preuve illicite (Cass. soc., 26 avril 2006, n° 04-43.582, F-P+B N° Lexbase : A2120DP9).

Dès lors, il ressort de ce qui précède que, si la Cour de cassation est relativement sévère sur le principe d'une information préalable du salarié, elle demeure plus souple quant au mode de preuve relatif à cette connaissance. Cette preuve pouvant être rapportée par tout moyen, la marge de manoeuvre laissée à l'employeur est relativement large !

En troisième lieu, les institutions représentatives du personnel doivent être, également, informées et consultées. Conformément aux dispositions du Code du travail, les instances représentatives du personnel doivent être consultées avant toute mise en oeuvre d'un dispositif d'écoute ou d'enregistrement des conversations téléphoniques ou, plus généralement, de tout dispositif permettant le contrôle de l'activité des salariés. Aux termes de l'article L. 432-2-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L6403AC7), le comité d'entreprise doit être informé, "préalablement à leur introduction dans l'entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci". En outre, et aux termes de l'alinéa 3 de ce même texte, le comité d'entreprise "est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés". Notons que seul le comité d'entreprise est visé, à l'exclusion de toute autre institution représentative du personnel. A défaut de respecter cette obligation, le dispositif de surveillance en tant que moyen servant à fonder un licenciement disciplinaire est irrecevable : cette solution, constante, est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (par exemple, Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari, publié N° Lexbase : A5741AGQ).

Enfin, le procédé doit être proportionné au but recherché et il doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir. En effet, les dispositifs de télésurveillance, et notamment les écoutes téléphoniques, sont souvent mis en place dans des centres d'appels employant des télé-opérateurs, le but recherché par l'employeur étant, en général, de contrôler la qualité des appels passés par les salariés. De telle sorte que le seul moyen dont dispose l'employeur pour contrôler l'activité de ses salariés est alors de les mettre sur écoute. On pourrait, également, justifier ces dispositifs dans des entreprises exerçant des activités à risque (chimie, nucléaire) ou mettant en cause des informations absolument confidentielles (banques), le principe absolu étant de proportionner le recours au dispositif avec le but recherché dans un domaine donné.

Lexbase : Quelles sont les sanctions judiciaires pour l'employeur qui ne respecte pas ces règles ?

Sophie Jammet : Le licenciement disciplinaire s'appuyant sur des éléments mis à jour par le recours à un dispositif ne respectant pas les règles énoncées ci-dessus sera dépourvu de cause réelle et sérieuse, faute d'éléments probants, avec toutes les conséquences de droit qui s'ensuivent pour l'employeur : versement d'indemnités subséquentes et éventuelle réintégration du salarié.

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