Réf. : CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, Jean Auroux e.a. c/ Commune de Roanne (N° Lexbase : A5723DT7) ; TA Lyon, 22 mars 2007, n° 0205404, M. Jean Auroux et a. (N° Lexbase : A0431DWU)
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Août 2012
I. La soumission des concessions d'aménagement au droit communautaire des marchés publics
Il résulte du jugement du tribunal administratif de Lyon que le contrat passé entre la ville de Roanne et la SEDL constitue un marché public (A) et le calcul des seuils doit se faire au regard des gains du soumissionnaire (B). Enfin, la qualité de pouvoir adjudicateur de la SEDL ne dispensait pas la ville de Roanne d'une procédure de mise en concurrence (C).
A. La qualification de marché public
Devant la Cour de justice, le Gouvernement français, soutenu par le Gouvernement polonais, avait fait valoir la spécificité des conventions d'aménagement qui ne se limiteraient pas à la réalisation de travaux. Le juge communautaire a répondu que "lorsqu'un contrat contient à la fois des éléments ayant trait à un marché public, c'est l'objet principal du contrat qui détermine quelle Directive communautaire de marchés publics trouve en principe à s'appliquer" (n° 37) (v. déjà, CJCE, 19 avril 1994, aff. C-331/92, Gestión Hotelera Internacional SA c/ Comunidad Autónoma de Canarias, Ayuntamiento de Las Palmas de Gran Canaria et Gran Casino de Las Palmas SA N° Lexbase : A9645AUR, Rec., p. I-1329).
Toujours selon la jurisprudence de la Cour de justice, il est rappelé qu'est sans incidence sur la qualification du contrat le fait que la SEDL ne procède pas, elle-même, aux travaux (CJCE, 14 avril 1994, aff. C-389/92, Ballast Nedam Groep c/ Belgische Staat N° Lexbase : A9449AUI, Rec., p. I-1289). Elle est bien un entrepreneur au sens du droit communautaire (CJCE, 12 juillet 2001, aff. C-399/98, Ordine degli Architetti delle province di Milano e Lodi, Piero De Amicis, Consiglio Nazionale degli Architetti et Leopoldo Freyrie c/ Comune di Milano N° Lexbase : A5926AY7, Rec., p. I-5409).
La Cour de justice ne s'est pas non plus laissée convaincre par l'argument selon lequel, seul un parc de stationnement reviendrait à la fin des opérations à la ville de Roanne. La réalisation d'un pôle de loisir constitue bien un ouvrage au sens de la Directive 93/37/CEE, car il revêt bien une fonction économique. En l'espèce, devaient être réalisés, notamment, un cinéma multiplexe et un hôtel. Il s'agissait donc de répondre à des besoins définis par la ville de Roanne.
B. Le calcul des seuils
Pour le calcul des seuils, il convenait de déterminer si le seul prix payé par la collectivité en contrepartie des ouvrages remis devait être pris en compte, ou bien ce montant ainsi que la participation financière versée pour la réalisation pour l'ensemble de l'opération, ou enfin la valeur totale des travaux, i.e. les sommes versées par la collectivité ainsi que celles reçues des tiers au moment de la vente des ouvrages.
La Cour a alors estimé que, "étant donné que l'objectif des procédures de passation des marchés publics de travaux prévues par la Directive est précisément de garantir à des soumissionnaires potentiels établis dans la Communauté européenne l'accès aux marchés publics qui les intéressent, il s'ensuit que c'est à partir de leur point de vue qu'il y a lieu de calculer si la valeur d'un marché atteint le seuil fixé à l'article 6" (n° 53). C'est donc la troisième solution qui prévaut pour le calcul des seuils.
La distinction avec les concessions de travaux publics sera donc délicate, puisque ce n'est pas le seul prix payé par l'administration qui doit être pris en compte pour le calcul des seuils du marché. Dans ses conclusions, l'Avocat général Kokott avait rappelé qu'il y avait concession lorsque le risque économique de l'opération repose sur le cocontractant du pouvoir adjudicateur. En l'espèce, tel n'était pas le cas puisque le risque était supporté par la ville de Roanne.
C. L'absence d'incidence du statut de la SEDL
En défendant toujours la spécificité des conventions d'aménagement, le Gouvernement avait fait valoir que ces conventions ne pouvaient être conclues que par des catégories particulières de personnes morales qui, elles-mêmes, ont la qualité de pouvoir adjudicateur. L'exception in house ne joue que dans des conditions très strictes que ne remplit pas une société d'économie mixte, comme la SEDL, puisqu'elle n'est pas détenue à 100 % par la ville de Roanne (CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia N° Lexbase : A0591AWS, Rec. p. I-8121 ; CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH c/ Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna N° Lexbase : A9511DEY, Rec., p. 1).
Du raisonnement de la Cour de justice et du tribunal administratif de Lyon découle l'incompatibilité du droit français avec les exigences du droit communautaire.
II. L'incompatibilité du droit français des concessions d'aménagement avec le droit communautaire
Le tribunal administratif a pris soin de rappeler que la validation législative opérée par la loi du 20 juillet 2005 était dépourvue de toute efficacité (A). Reste, alors, à mesurer l'incidence de ce jugement sur le décret du 31 juillet 2006 (B).
A. L'impuissance de la validation législative opérée par la loi du 20 juillet 2005
Devant la Cour de justice, pour opposer l'irrecevabilité du renvoi préjudiciel du tribunal administratif de Lyon, le Gouvernement français avait invoqué la validation par le législateur des conventions d'aménagement. La Cour, prudemment, ne s'est pas prononcée sur la compatibilité d'une telle loi avec le droit communautaire, mais elle s'est contentée de rappeler, selon une jurisprudence constante qu'"il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour" (n° 26).
De manière tout à fait explicite, le tribunal administratif a jugé que "l'article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005, en tant qu'il valide les conventions publiques d'aménagement signées avant le 20 juillet 2005 dont la légalité serait contestée au motif que la désignation de l'aménageur n'a pas été précédée d'une procédure de publicité et mise en concurrence imposées par les stipulations précitées du 1 de l'article 7 de la Directive 93/37 du 14 juin 1993 ; qu'il y a lieu, dès lors, d'écarter, dans cette mesure, l'application des dispositions de l'article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 dont se prévaut la ville de Roanne". Il s'agit là d'un intéressant obiter dictum car le tribunal aurait pu se contenter d'estimer que "les dispositions de l'article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 s'appliquent aux conventions publiques d'aménagement signées avant le 21 juillet 2005 et non aux délibérations prises lors de la procédure préalable à la conclusion desdites conventions".
Cette validation était évidemment un coup d'épée dans l'eau. Les conventions d'aménagement qui n'avaient pas été passées conformément aux exigences du droit communautaire, quand bien même elles auraient été "validées" par la loi, n'en restaient pas moins contraires au droit communautaire, puisque ce faisant cette même loi était elle-même contraire au droit communautaire ! Le Conseil d'Etat a très clairement jugé, au sujet d'une circulaire contraire au Traité CE et validée par une loi postérieure, que la circulaire demeurait contraire au... Traité CE (CE, 5 mai 1995, n° 154362, Ministre de l'équipement c/ SARL DER N° Lexbase : A4280ANT, Rec., p. 192).
B. Le sort incertain du décret du 31 juillet 2006
Le décret du 31 juillet 2006, pris en application de la loi du 20 juillet 2005, visait à mettre en place une procédure de mise en concurrence des nouvelles concessions d'aménagement afin de satisfaire aux exigences du droit communautaire. Mais, la procédure prévue par le décret vise simplement un objectif de publicité et de transparence et n'est en aucune manière en adéquation avec les procédures rigoureuses applicables aux marchés de travaux publics.
Selon Etienne Fâtome et Laurent Richer, le décret ne doit, alors, être appliqué qu'aux concessions d'aménagement qui constituent bien des concessions de travaux au sens des Directives communautaires (La procédure de passation des concessions d'aménagement. Entre le décret du 31 juillet 2006, l'arrêt Auroux et le décret à venir, AJDA 2007, p. 409). Dès lors, pour les concessions d'aménagement susceptibles d'être qualifiées de marchés de travaux, il est urgent que le pouvoir réglementaire intervienne de nouveau pour fixer la procédure de passation qui serait applicable, à moins qu'il faille considérer que doivent être mises en oeuvre les dispositions du Code des marchés publics relatives aux marchés de travaux (v. en ce sens, R. Schwartz, Le décret sur les concessions d'aménagement, BJDCP 2006, p. 322). Cette dernière solution semble, toutefois, exclue si l'on considère l'article L. 300-4 comme une loi spéciale dérogeant aux règles du Code des marchés publics.
Le nouveau Gouvernement doit donc promptement agir afin de mettre un terme à cette insécurité juridique, lourde de conséquences financières pour les collectivités locales et les opérateurs économiques.
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