Réf. : Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.652, Société Distrileader Bouches-du-Rhône, F-D (N° Lexbase : A5187DWZ)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'introduction par le salarié d'une instance en résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral ne dispense pas l'employeur qui le licencie pour inaptitude, alors que l'instance est pendante, de respecter l'obligation légale de reclassement. |
1. Caractère d'ordre public de l'obligation de reclassement du salarié inapte
Lorsque, à l'issue de la seconde visite médicale de reprise, le salarié est déclaré définitivement inapte à reprendre l'emploi pour lequel il a été embauché, il bénéficie d'un droit au reclassement. Le législateur, reprenant la jurisprudence, vient mettre à la charge de l'employeur une obligation de reclassement (C. trav., art. L. 122-24-4 N° Lexbase : L1401G9R, issu de la loi n° 2005-102, du 11 février 2005, pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R).
L'article L. 122-24-4 du Code du travail dispose, à cet effet, qu'"à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou à un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail". La formulation retenue par le législateur est tellement générale que cette obligation a vocation à s'appliquer à toutes les hypothèses d'inaptitudes.
Cette obligation s'impose à l'employeur alors même que le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié à tout emploi dans l'entreprise (C. trav., art. L. 122-24-4, dernier alinéa ; Cass. soc., 27 octobre 1993, n° 90-42.560, Société Lemonnier c/ M. Da Silva, publié N° Lexbase : A1762AAI ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-40.526, FS-P+B N° Lexbase : A3090DRU), et quelle que soit la forme de l'inaptitude, totale, partielle, temporaire ou permanente.
Le non-respect par l'employeur de son obligation entraîne automatiquement la requalification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-45.471, M. Claverie c/ M. Roche, ès qualités de représentant des créanciers du redressement, publié N° Lexbase : A9187AGD ; Bull. civ. V, n° 271 ; Dr. soc. 2000, 923, obs. J. Savatier).
Il n'y a donc rien d'étonnant à voir, dans la décision commentée, les juges sanctionner l'employeur pour ne pas avoir recherché à reclasser son salarié déclaré inapte, sans égard à l'action en résolution qu'il avait intentée.
Dans cette espèce, en effet, un salarié a saisi le juge d'une demande de résolution de son contrat de travail pour harcèlement moral et résistance au paiement d'un complément de salaire. Licencié en cours d'instance pour inaptitude à son poste de travail régulièrement constatée par le médecin du travail, le salarié a, à titre subsidiaire, demandé la condamnation de son employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel a fait droit à la demande du salarié et a condamné l'employeur à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts, d'indemnités de préavis et de congés payés. Cette solution est confirmée par la Haute juridiction, laquelle considère que le fait pour un salarié d'agir en résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral ne dispense pas l'employeur, qui le licencie ultérieurement pour inaptitude, de respecter son obligation de reclassement.
Cette solution théoriquement irréprochable reste, en pratique, contestable.
2. Plénitude de l'obligation de reclassement du salarié déclaré inapte par le médecin du travail
Nous l'avons vu précédemment, tout salarié inapte dispose d'un droit au reclassement. Il s'agit d'un droit créance attaché à la seule qualité de salarié déclaré inapte par le médecin du travail, et donc indépendant de la nature du contrat qu'il a conclu (pour l'application de ce droit à un salarié sous CDD : Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-44.913, FS-P+B N° Lexbase : A6518DIA).
Tout salarié licencié pour inaptitude est en droit d'en exiger le respect et, le cas échéant, de faire sanctionner son inobservation par l'employeur (Cass. soc., 11 juillet 2000, préc.). On comprend donc pourquoi le salarié a pu en bénéficier dans la décision commentée. Il s'agissait, en effet, d'un salarié licencié pour inaptitude. Aucune raison ne permettait, au regard de la lettre de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, de l'exclure du bénéfice de ce système protecteur. Cette décision trouve, en outre, son bien-fondé dans le caractère d'ordre public absolu attaché à l'article L. 122-24-4 du Code du travail.
La jurisprudence considère, à juste titre, que toute renonciation expresse du salarié, sous la forme, par exemple, de la conclusion d'un accord de rupture amiable, est nulle (Cass. soc., 29 juin 1999, n° 96-44.160, M. Lavenir c/ Société Publitex, publié N° Lexbase : A4617AG4 ; Dr. soc. 1999, 963, obs. Verdinkt). Une telle renonciation qui, corrélativement, aboutirait à dispenser l'employeur de respecter ses obligations légales, est illégale. Il est ainsi impossible pour un salarié de renoncer au bénéfice des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, et, singulièrement, à son droit au reclassement, même si cette renonciation n'est que la conséquence de ses actes.
Admettre le licenciement sans reclassement préalable, dans l'espèce commentée, serait revenu à considérer que l'introduction par le salarié d'une action en résolution de son contrat de travail valait renonciation au bénéfice des dispositions protectrices du salarié inapte. Une telle position aurait été contraire au caractère d'ordre public absolu de l'article L. 122-24-4 du Code du travail. Toute renonciation expresse étant interdite, toute renonciation tacite l'est a fortiori. La décision n'encourt donc aucune critique d'un point de vue théorique et elle doit, au contraire, être totalement approuvée.
D'un point de vue pratique, en revanche, la solution retenue par la Haute juridiction est moins convaincante.
Quel est l'intérêt d'obliger l'employeur à reclasser un salarié qui avait choisi de manière non équivoque de quitter l'entreprise ? L'obligation de reclassement est, en effet, en principe, faite pour éviter qu'un salarié, dans une situation difficile, éprouve des difficultés pour retrouver un emploi dans une autre entreprise. C'est afin de maintenir le salarié dans l'entreprise, et de lui éviter de se trouver au chômage, que le législateur vient mettre à la charge de l'employeur une obligation de reclassement. Tout est, en principe, fait pour éviter la rupture du contrat de travail. Est-il, dès lors, normal d'imposer à l'employeur de rechercher à maintenir le contrat de travail d'un salarié qui demande à partir ?
Cette obligation n'a, à notre sens, dans cette hypothèse aucun sens. Le salarié a pris l'initiative de la rupture de son contrat de travail en saisissant le juge, il devrait être tenu compte de sa volonté et l'employeur devrait pouvoir le licencier sans être inquiété, le reclassement devenant dans cette hypothèse sans objet...
Décision
Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.652, Société Distrileader Bouches-du-Rhône, F-D (N° Lexbase : A5187DWZ) Rejet (CA Aix en Provence, 15 décembre 2005) Textes concernés : néant Mots-clefs : licenciement ; introduction par le salarié d'une action en résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral ; licenciement pour inaptitude pendant l'instance ; obligation de reclassement du salarié. Liens bases : ; . |
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