La lettre juridique n°263 du 7 juin 2007 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] TVA et rédaction des baux à construction : plumes, prenez garde !

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2007, n° 263428, Société Sucrière de la Réunion (N° Lexbase : A8116DU7)

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

le 07 Octobre 2010

Les juristes qui exercent leurs talents en matière de rédaction de contrats, plus particulièrement les baux à construction, vont devoir s'enquérir de la jurisprudence... fiscale : la décision rendue par le Conseil d'Etat, relative à la fiscalité d'un bail à construction conclu dans l'"Ile Intense" du paradisiaque archipel des Mascareignes, nous offre une nouvelle illustration de la nature profonde du droit fiscal, droit de superposition -que l'on peut également qualifier de droit de parasitage selon l'humeur du rédacteur- par excellence.
Le bail à construction, issu de la loi n° 64-1247 du 16 décembre 1964, est, selon l'article L. 251-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1055HPR) une convention par laquelle : "le preneur s'engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d'entretien pendant toute la durée du bail".

La documentation administrative précise, alors, que "le propriétaire du sol conserve la propriété de son terrain, mais en cède l'usage à un locataire qui est tenu d'y édifier des constructions".

Conclue pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans, le juge de l'impôt est particulièrement attaché aux stipulations de la convention : il en déduit, ainsi, que ne peut être qualifiée de bail à construction la convention réservant aux parties le droit de le résilier à chaque échéance triennale (TA Dijon, 2ème ch., 9 mars 1999, n° 98-5656, Virly, RJF juin 1999, n° 722).

Les conditions de l'exécution du contrat sont, également, prises en compte : la confusion des qualités de bailleur et de locataire, avant le terme des dix-huit ans, entraîne une qualification de bail ordinaire et non de bail à construction (TA Dijon, 2ème ch., 11 juin 2002, n° 01-2415, Coussement, RJF janvier 2003, n° 46).

En contrepartie du droit réel immobilier conféré au preneur (CCH, art. L. 251-3 N° Lexbase : L1057HPT), le bailleur perçoit un prix consistant, en tout ou partie, soit en la remise de l'immeuble ou d'une fraction de l'immeuble, soit en un paiement de loyers. De plus, sauf convention contraire, le bailleur se voit remettre en toute propriété, en fin de bail, les constructions édifiées sur son terrain.

S'appuyant sur les stipulations de la convention conclue par la société L. Benard Sucrerie Distillerie du Gol, devenue la Société Sucrière de la Réunion, la Haute juridiction administrative apporte d'importantes précisions au regard du régime des baux à construction quant à l'application du régime de TVA (2), après annulation des décisions rendues par les juges d'appel et du premier degré (CAA Bordeaux, 5ème ch., 10 novembre 2003, n° 00BX01994, Société Sucrière de la Réunion N° Lexbase : A2154DAZ ; TA Saint-Denis de la Réunion, 3 mai 2000, n° 9701081) (1).

1. L'assiette de la TVA selon les juges du fond : l'évaluation des immeubles estimée par les parties

Le régime fiscal du bail à construction est particulier : exonéré de taxe de publicité foncière (CGI, art. 743 N° Lexbase : L2711HNQ), sa conclusion a entraîné, jusqu'en 1999, le versement d'un droit d'enregistrement de 2,5 % (CGI, art. 736 N° Lexbase : L8014HLE).

Au regard de la TVA, objet du litige déféré devant la juridiction d'appel, le transfert d'un droit réel immobilier devrait être taxé à ce titre (CGI, art. 257 7° N° Lexbase : L1811HNE).

Mais, la loi fiscale prévoit expressément une exonération de TVA (CGI, art. 261 5-4° N° Lexbase : L7825HWQ) qui ne peut profiter aux prestations de services détachables du bail à construction (CE Contentieux, 3 novembre 1986, n° 57070, Régie immobilière de la ville de Paris N° Lexbase : A3951AMB).

Cependant, afin de permettre aux propriétaires des terrains d'exercer leur droit à déduction de TVA grevant leur acquisition, le législateur a introduit un régime optionnel qui doit être exercé dans l'acte d'acquisition du bien (CGI, Annexe II, art. 201 quater A N° Lexbase : L0778HN7).

L'assiette de la TVA porte, alors, selon l'article 201 quater B de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0779HN8), sur "le prix de cession [...] constitué soit par le montant cumulé des loyers, sans qu'il soit tenu compte des clauses de révision, soit par la valeur des immeubles ou des titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance d'immeubles remis au bailleur".

S'appuyant sur les stipulations mêmes du contrat conclu par les parties, prévoyant que le prix du bail serait constitué par la remise au bailleur des immeubles construits par le preneur, la cour administrative d'appel de Bordeaux en a déduit que la base d'imposition à la TVA était égale à l'évaluation des immeubles estimée par les parties et figurant au contrat, soit 66 000 000 francs (environ 10 061 635 euros). Cette valeur était réputée, pour la juridiction d'appel, correspondre à la valeur vénale réelle du droit immobilier consenti par la Société Sucrière de la Réunion.

La cour administrative d'appel admit que les parties puissent retenir une valeur différente si, toutefois, elles étaient en mesure de fournir des éléments en ce sens. Pour les conseillers bordelais, dès lors qu'aucune valeur du droit de reprise des constructions n'a été stipulée dans la convention, l'administration fiscale est, alors, fondée à asseoir l'impôt sur la valeur des biens retenue par les parties.

Cette décision est censurée par le Conseil d'Etat.

2. Cassation et règlement au fond par le Haut conseil : la valeur cumulée des loyers à verser au bailleur

Faisant application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat casse et règle au fond la décision déférée par la Société Sucrière de la Réunion : pour la Haute juridiction administrative, la cour administrative d'appel de Bordeaux méconnaît le sens de l'article 266-5 du CGI (N° Lexbase : L0809HPN), en retenant, comme base d'imposition à la TVA, la somme stipulée dans le contrat représentant la valeur des constructions édifiées par le preneur à l'issue des trente années de bail.

En effet, selon les stipulations du contrat, aucun loyer ne devait être versé : la seule contrepartie consistait en la remise au bailleur des biens édifiés par le preneur en fin de bail.

Or, l'assiette de la TVA, lorsque les parties ont opté pour son imposition, ne peut correspondre qu'à la valeur cumulée des loyers à verser au bailleur, ou en nature sous la forme de remises d'immeubles, ou de titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance d'immeubles. Et, la loi fiscale précise qu'il est fait abstraction, "pour la détermination de la base d'imposition, de la valeur du droit de reprise des constructions lorsque celles-ci doivent devenir la propriété du bailleur en fin de bail" (CGI, art. 266-5).

En d'autres termes, la valeur des biens transmis à terme, stipulée au contrat, ne peut être retenue par l'administration comme base imposable au regard de la TVA.

Par conséquent, les parties n'ayant pas, au cas d'espèce, convenu du versement de loyers en cours de bail, la base d'imposition de la TVA, compte tenu des termes mêmes du contrat et des dispositions légales régissant le bail à construction, ne pouvait être que nulle.

Le choix opéré par les cocontractants, quant au prix du bail, entre une stipulation d'une remise au bailleur en fin de contrat des constructions édifiées par le preneur, ou le versement de loyers, retenus pour leur montant cumulé, emporte des conséquences fiscales radicalement différentes.

La conclusion s'impose d'elle-même : la rédaction du contrat est la clef du litige opposant le contribuable et l'administration fiscale. Le Conseil d'Etat, dans sa décision, y a fait constamment référence.

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