La lettre juridique n°261 du 24 mai 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Le motif légitime de ne pas recourir à une expertise biologique destinée à contester une reconnaissance de paternité

Réf. : Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B premier moyen (N° Lexbase : A0331DW8)

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le 07 Octobre 2010

Une expertise biologique destinée à contester une reconnaissance de paternité peut être refusée par le juge si un motif légitime s'y opposant est caractérisé. Telle est la solution que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 25 avril 2007, publié au Bulletin. En l'espèce, un enfant, prénommé Julien, naît en janvier 1993 et est reconnu par Franck G. deux jours plus tard. En 2002, ce dernier décède des suites d'un accident de la circulation et quelques mois après, son père, Henri G. assigne la mère et l'enfant, représenté par un administrateur ad hoc, en contestation de reconnaissance sur le fondement de l'ancien article 339 du Code civil (N° Lexbase : L2812ABR). Les juges du fond l'ayant débouté de sa demande tendant à voir ordonner une expertise biologique, le père du défunt se pourvoit en cassation au motif que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder. Selon lui, "un tel motif ne saurait s'évincer du souci de préserver la paix et la stabilité de la famille [...] ou encore de l'existence d'une possession d'état conforme à la reconnaissance litigieuse", dès lors que celle-ci, faute d'avoir duré au moins dix ans, ne fait naître aucun obstacle à la contestation. La Cour de cassation rejette le pourvoi, constatant, d'une part, que l'auteur de la reconnaissance n'avait exercé aucune action en contestation et, d'autre part, qu'il avait, de son vivant, affirmé sa volonté d'assumer sa paternité. En outre, l'expertise biologique ne saurait être ordonnée dans la mesure où la preuve de la conservation de sang permettant un examen comparé n'était pas rapportée et l'administrateur ad hoc de l'enfant s'opposait à l'exhumation du corps de Franck G. L'existence d'un motif légitime rendant impossible l'expertise biologique est de ce fait caractérisée.

"Personne [...] ne peut connaître son père, et encore moins le prouver aux autres [...] ce qui décide de la naissance des hommes n'est point le degré de certitude, mais le degré de vraisemblance". Si cette constatation faite par D'Aguesseau (1) est longtemps restée vraie, tant il était impossible jusqu'au milieu du XXème siècle d'obtenir une preuve directe, positive comme négative, de la maternité et surtout de la paternité, elle est aujourd'hui infondée grâce aux progrès des sciences de la vie. Parmi les preuves scientifiques, les plus probantes sont les expertises sanguines, également appelées sérologiques, et l'expertise génétique qui présente une crédibilité telle que les autres modes de preuve, comme les témoignages ou les écrits de toute nature, apparaissent davantage comme des justifications du résultat de l'expertise que comme de véritables fondements décisifs. Dans ces conditions, le refus ou l'impossibilité de pratiquer une expertise sanguine ou génétique, lorsqu'elle est demandée par l'intéressé aux fins d'établir ou de contester la filiation, risque de le priver du droit de connaître la vérité biologique.

Reprenant une proposition de M. Massip (2), la Cour de cassation, dans une importante décision du 28 mars 2000, a ainsi consacré la recherche de la vérité biologique en tant que "principe directeur applicable dans tous les procès de la filiation" (3), jugeant que "l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder" (4). En d'autres termes, le juge doit ordonner l'expertise biologique lorsqu'elle est demandée par l'une des parties au litige ; il ne peut la refuser que par une décision spécialement motivée. La règle ainsi formulée présente l'avantage d'éviter d'abandonner à la seule discrétion des juges du fond la décision de recourir aux expertises biologiques tout en préservant leur pouvoir de décision d'éventuels excès de la part des parties (5). Toutefois, si l'avantage procuré est certain, la coexistence du principe posé et de sa limite dépend avant tout de l'interprétation qu'entend faire la Cour de cassation de cette formule "très malléable" (6) de "motif légitime".

Pris dans un sens étroit, le motif peut être considéré comme légitime dès lors qu'il s'agit pour le juge de respecter une situation légalement protégée, comme c'est le cas, par exemple, lorsque l'enfant dispose d'une possession d'état conforme à son titre (7).

Pris dans un sens plus large, il peut être légitime pour le juge de refuser d'ordonner une expertise biologique en raison de son inutilité à la solution du litige. A ainsi été considérée comme inutile l'expertise biologique insuffisamment probante eu égard aux conditions dans lesquelles elle aurait dû être effectuée. Dans un arrêt du 14 mars 1995, la Cour de cassation, saisie d'une action en contestation de reconnaissance, confirma la décision des juges du fond ayant rejeté la demande d'expertise biologique au motif, d'une part, que l'auteur de la reconnaissance ainsi que ses père et mère étaient décédés et, d'autre part, que les résultats de l'expertise, en raison des altérations du cadavre et de la disparition des parents proches, n'auraient pas été suffisamment probants (8).

Toujours dans le même sens, il peut y avoir un motif légitime à ne pas recourir à l'expertise lorsqu'il existe suffisamment d'éléments de fait démontrant ou excluant le lien de filiation. Telle est la solution retenue par un arrêt de la Cour de cassation du 24 septembre 2002 (9). En l'espèce, une mère avait intenté, au nom de sa fille mineure, une action tendant à faire déclarer la paternité de son concubin, incarcéré pendant la grossesse et décédé quatorze mois après la naissance de l'enfant. La fille issue du mariage du défunt avait alors sollicité des juges du fond la réalisation d'une expertise biologique sur le corps du défunt, sans que la demanderesse ne s'y opposât. Cependant, la Cour de cassation préféra éluder la question de la légitimité d'une mesure d'instruction diligentée sur un cadavre en énonçant simplement que les présomptions et indices graves que les juges du fond avaient relevés (l'existence d'un concubinage pendant la période légale de conception de l'enfant ainsi que la production de lettres dans lesquelles le concubin exprimait son regret de ne pouvoir assister à l'accouchement) suffisaient en eux-mêmes à établir la paternité, sans qu'il soit nécessaire de rechercher d'autres éléments de preuve, notamment scientifiques.

L'arrêt du 25 avril 2007 retient cette même analyse, à une différence près cependant dans la mesure où la Cour de cassation ne fait pas état du caractère superfétatoire de l'expertise biologique mais plutôt de l'impossibilité d'y recourir. Après s'être attachée aux éléments constitutifs de la possession d'état (volonté d'assumer l'enfant comme le sien, attachement profond pour l'enfant dont l'auteur de la reconnaissance a donné le prénom à une SCI), la Cour s'arrête, en effet, sur deux événements rendant, selon elle, impossible l'expertise biologique : d'une part, la preuve de la conservation d'un échantillon de sang nécessaire à un examen sérologique comparé n'était pas rapportée, et, d'autre part, l'administrateur ad hoc de l'enfant s'opposait à une exhumation du corps du défunt.

On sent ici la volonté de ne pas suivre la jurisprudence "Montand" selon laquelle le décès d'une personne même inhumée n'empêche pas de rechercher la vérité biologique au moyen d'une expertise alors que celle-ci s'y était toujours opposée de son vivant, étant admis que ses ayants droit ont le pouvoir d'accepter ou de refuser à sa place la réalisation du prélèvement (10). Or, c'est oublier un peu vite qu'au jour de l'action en contestation, c'est-à-dire en l'espèce le 7 août 2002, les juges du fond considéraient en général que l'obligation posée par l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L1726ABK, dans sa version alors en vigueur), de recueillir le consentement préalable et exprès d'une personne à la réalisation de prélèvements génétiques, ne s'appliquait pas aux personnes décédées (11). Dès lors, rien ne s'opposait à ce que les prélèvements soient réalisés aussi bien sur le corps non encore enseveli (12) du parent prétendu, que sur son cadavre exhumé, sauf à justifier du caractère superfétatoire de l'expertise (13).

Même s'il aurait été plus opportun de laisser aux tribunaux un pouvoir d'appréciation en la matière, de telles pratiques sont désormais interdites depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique (loi n° 2004-800 N° Lexbase : L0721GTU), sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant à la réalisation de l'expertise génétique (14).

Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation entend, par cet arrêt du 25 avril 2007, préserver l'équilibre entre le besoin de renforcer la stabilité de l'état de l'enfant, parfois trop largement mis à mal, et le désir de faire la lumière sur la vérité biologique, même après la mort (15). Le refus de procéder à l'exhumation du corps du parent prétendu, s'il est contestable pour l'enfant en quête d'une filiation, se justifie ainsi parfaitement dès lors qu'un tiers tente de la lui reprendre.

Notons, enfin, que l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 (N° Lexbase : L8392G9P), qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a profondément révisé les règles applicables à la contestation de l'acte de reconnaissance. Le nouvel article 333 du Code civil (N° Lexbase : L8835G94) prévoit, en effet, que "seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable" dans un délai de cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé, étant également précisé que toute action en contestation est irrecevable dès lors que l'enfant bénéficie d'une possession d'état conforme au titre de cinq ans depuis sa naissance ou sa reconnaissance.

Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'université de Reims Champagne Ardenne


(1) D'Aguesseau , uvres complètes, nouv. éd. par Pardessus, Paris, Frantin et Cie, 1819, T. III., p. 39.
(2) J. Massip, sous Cass. civ. 1, 19 janvier 1999, n° 97-13.607, Mme Odette Humblot, épouse Awan c/ Procureur général près la cour d'appel de Paris, inédit (N° Lexbase : A8018CWU), Defrénois 1999, art. 37031, p. 938.
(3) J. Massip, sous Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806, Mme X c/ M Y, publié (N° Lexbase : A8717AHC), Defrénois 2000, art. 37194, p. 769.
(4) Cass. civ., 1, 28 mars 2000, précité, D. 2000, p. 731, note T. Gare.
(5) P. Murat, obs. sous Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-22.466, Mlle Jessica Leban c/ Mme Catherine Marius, F-P (N° Lexbase : A4910AZU), Dr. fam. 2003, comm. n° 25.
(6) P. Murat, ibid..
(7) CA Nîmes, 22 novembre 2001, cité par T. Gare, obs. sous Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, précité, RJPF-2003-1/35.
(8) Cass. civ. 1, 14 mars 1995, n° 91-11762, Mme X... et autre c/ M. Massimo Z., publié (N° Lexbase : A4149CH7), D. 1995, somm. p.222, obs. F. Granet-Lambrechts.
(9) Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, précité.
(10) CA Paris, 6 novembre 1997, D. 1998, p.122, note Ph. Malaurie ; CA Paris, 17 décembre 1998, D. 1999, p.476, note B. Beignier ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2001, n° 99-20.740, Mlle Aurore Drossart, FS-D (N° Lexbase : A2900AXP).
(11) CA Aix-en-Provence, 8 février 1996, Dr. fam. 1996, comm. n° 2, note P. Murat ; CA Dijon, 15 septembre 1999, D. 2000, p. 875, note B. Beignier.
(12) TGI Lille, ord., 19 novembre 1997, D. 1998, p. 467, note X. Labbée ; TGI Orléans, ord., 18 octobre 1999, RTD. civ. 2000, p. 814, obs. J. Hauser.
(13) Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-11.699, Mme Eliane Hazard, épouse Coyard c/ Mme Jeannine Hazard, épouse Langlais, F-D (N° Lexbase : A7552DD3), Defrénois 2005, art. 38121, p. 438, obs. J. Massip.
(14) V. pour une critique de l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L6865GTG) issu de la loi du 6 août 2004 : notre chronique, La famille et la mort, Defrénois, 2006, p. 74 et s..
(15) Ceci d'autant plus que l'enfant, représenté par l'administrateur ad hoc, s'est opposé à l'exhumation de l'auteur de la reconnaissance. V. dans le même sens : Cass. civ. 1, 25 octobre 2005, n° 03-14.101, Mlle Abdon Larmonie, agissant tant ès nom qu'ès qualité d'administratrice légale de sa fille Catherine c/ M. Christophe Vandenbussche, F-P+B (N° Lexbase : A1460DLN), RJPF-2006-2/46, obs. T. Gare : en l'espèce, la Cour de cassation a considéré qu'une absence de preuve de relations intimes durant la période légale de conception de l'enfant entre la mère et le père prétendu, entre temps décédé, et surtout le refus de ses héritiers d'effectuer sur le corps du défunt une expertise génétique caractérisaient le motif légitime de ne pas procéder à l'expertise biologique sollicitée.

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