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N1642BBG
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le 07 Octobre 2010
Le créancier antérieur, qui n'est plus dans les délais pour déclarer sa créance, doit solliciter un relevé de forclusion. Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (1), la requête aux fins de relevé de forclusion doit être présentée dans l'année du jugement d'ouverture. Lorsque ce délai a été respecté, le créancier est-il enfermé dans un délai pour déclarer sa créance ? C'est à cette question inédite, et même a priori surprenante, que répond, dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation.
En l'espèce, au redressement judiciaire d'une société ouvert le 27 décembre 2002, et publié au Bodacc le 6 février 2003, un receveur des impôts déclare une créance de TVA. La société débitrice dépose, le 21 octobre 2003, une déclaration de régularisation de TVA pour la période avant le jugement d'ouverture. Par requête du 6 novembre 2003, le receveur des impôts demande à être relevé de la forclusion encourue. Le 23 janvier 2004, le juge-commissaire relève le receveur des impôts de la forclusion et lui ordonne de déclarer sa créance entre les mains du représentant des créanciers, ce qu'il fait le 30 janvier 2004.
Appel est interjeté à l'encontre de l'ordonnance relevant le créancier de la forclusion. La cour d'appel va confirmer l'ordonnance entreprise. Un pourvoi est alors formé. La question posée à la Cour de cassation est de savoir si le créancier qui sollicite un relevé de forclusion doit impérativement déclarer sa créance à l'intérieur du délai de relevé de forclusion. A cette question, la Cour de cassation va répondre positivement et casser l'arrêt de la cour d'appel en ces termes : "si aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge commissaire de sa demande de relevé de forclusion, il est néanmoins tenu de la déclarer dans le délai préfix d'un an à compter de la décision d'ouverture de la procédure, même si le juge-commissaire n'a pas statué sur sa demande de relevé de forclusion à l'intérieur de ce délai".
Pour bien comprendre la portée de l'arrêt, il importe de réexaminer les dates importantes de cette affaire. Le jugement d'ouverture est du 27 décembre 2002. L'expiration du délai de relevé de forclusion intervient donc le 27 décembre 2003. Le juge-commissaire a été saisi de la requête en relevé de forclusion le 6 novembre 2003, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de relevé de forclusion. La décision relevant le créancier de la forclusion est elle-même postérieure au délai de relevé de forclusion, puisqu'elle est du 23 janvier 2004. La déclaration de créance, pour sa part, est intervenue le 30 janvier 2004. Ces dates permettent ainsi de constater que, au jour de la décision relevant le créancier de la forclusion, plus d'un an s'était écoulé par rapport au jugement d'ouverture. Ainsi, à cette date, la créance était éteinte. On sait, en effet, que la Cour de cassation fixe le moment d'extinction de la créance non déclarée dans le délai à l'expiration du délai de relevé de forclusion (2). Ainsi, il faut comprendre, que, implicitement mais nécessairement, à l'expiration du délai d'un an pour être relevé de forclusion, la créance est éteinte et il n'est donc plus possible au juge-commissaire de relever le créancier de la forclusion encourue.
La Cour de cassation rappelle qu'aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion. La solution avait déjà été posée (3). Il convient d'ajouter que si le créancier retardataire a déclaré sa créance avant de saisir le juge-commissaire ou, en tout cas, avant que le juge-commissaire n'ait statué sur la demande en relevé de forclusion, le créancier n'est pas astreint à devoir déclarer à nouveau sa créance, une fois que l'ordonnance le relevant de forclusion aura été rendue (4).
On était également en droit de penser qu'aucun texte n'imposait au créancier de déclarer sa créance dans un délai après présentation d'une requête en relevé de forclusion. On lira en vain, en large et en travers, les textes pour trouver pareille obligation. Il s'agit donc manifestement d'une création purement prétorienne. Certes, on peut l'expliquer par référence au fait que la créance qui n'est pas déclarée dans les délais à l'expiration du délai d'un an par rapport au jugement d'ouverture est éteinte (5). Etait-il concevable de soutenir que la saisine du juge-commissaire aux fins de relevé de forclusion avait pour effet d'empêcher l'extinction de la créance non déclarée à l'expiration du délai d'un an ? Le délai d'un an est un délai préfix, qui n'est donc susceptible ni d'interruption, ni de suspension. Cependant, il faut bien comprendre sa portée. Il s'agit d'un délai institué pour saisir le juge-commissaire afin que la forclusion encourue soit écartée. Il a donc pour objet d'autoriser le créancier à déclarer sa créance après expiration du délai classique de déclaration des créances. Le délai annal de relevé de forclusion est d'ordre public. L'expiration du délai de relevé de forclusion enlève au juge-commissaire le pouvoir de se prononcer sur la demande (6). Le juge-commissaire relevant le créancier de forclusion au-delà du délai légal commet un excès de pouvoir (7), peu important à cet égard que le créancier figure ou non sur la liste que doit remettre au représentant des créanciers le débiteur (8). Les juges doivent relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'expiration du délai de forclusion (9), celle-ci étant d'ordre public.
En revanche, si le créancier saisit le juge-commissaire d'une demande de relevé de forclusion, à l'intérieur de ce délai, il devient plus difficile de comprendre l'extinction automatique de la créance à l'expiration du délai d'un an, alors même que le juge-commissaire n'a pas encore statué. Le juge-commissaire ne peut statuer sur la créance déclarée avant de statuer sur le relevé de forclusion. Il est donc loin d'être évident de pouvoir exiger d'un créancier qu'il déclare sa créance alors que le juge-commissaire ne l'a pas encore autorisé à le faire en le relevant de la forclusion.
La gêne de la Cour de cassation, qui pose la solution ici commentée, nous paraît évidente. C'est pourquoi, nous semble-t-il, elle prend grand soin de rappeler qu'aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion. Il est donc logique de ne pas exiger du créancier qu'il déclare sa créance avant de procéder à sa demande de relevé de forclusion.
Existe-t-il, alors, un texte qui obligerait le créancier à déclarer sa créance avant l'expiration du délai de relevé de forclusion s'il a saisi le juge-commissaire d'une demande en relevé de forclusion dans les délais ? Pour décider le contraire, il aurait fallu un texte restrictif de droit qui pose en règle le principe d'extinction de la créance non déclarée à l'expiration du délai d'un an, indépendamment de la saisine du juge commissaire aux fins de relevé de forclusion. Ce texte fait manifestement défaut. Il y a donc là, de la part de la Cour de cassation, une création purement prétorienne, qui ne peut être fondée sur un texte, mais qui ne répond qu'à la préoccupation de faire en sorte que les procédures ne s'éternisent pas à cause des instances en déclaration et en vérification des créances.
La formulation employée par la Cour de cassation fait naître une difficulté : doit-elle être cantonnée à l'hypothèse dans laquelle l'ordonnance statuant sur le relevé de forclusion n'est pas intervenue avant l'expiration du délai d'un an courant à compter du jugement d'ouverture ? Il importe de remarquer que la Cour de cassation prend le soin d'indiquer que la solution qu'elle pose vaut "même si juge-commissaire n'a pas statué sur sa demande de relevé de forclusion". Il semble donc, par l'utilisation de l'adverbe "même", que la solution vaudrait également si le juge-commissaire avait statué sur la demande de relevé de forclusion dans le délai d'un an.
Il reste à se demander quelle portée pourrait bien avoir la solution ici posée, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, par la Cour de cassation, avec la loi de sauvegarde des entreprises. Compte tenu de la publicité que la Cour de cassation a entendu donner à la solution, est-il concevable qu'elle soit limitée à l'application de la législation antérieure ? Une réponse négative semble s'imposer. Il nous apparaît, toutefois, que cette transposition sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises pose problème. En effet, à l'expiration du délai de relevé de forclusion, la créance n'est plus aujourd'hui éteinte, mais seulement inopposable à la procédure collective. Or, c'est la sanction de l'extinction de la créance à l'expiration du délai du relevé de forclusion qui seule peut, nous semble-t-il, la fonder juridiquement. Cette sanction ayant disparu, le couperet du délai de relevé de forclusion pour déclarer la créance n'existe plus aujourd'hui.
La prudence commandera en tout cas, avant comme après la loi de sauvegarde des entreprises, de déclarer la créance en même temps que la demande en relevé de forclusion est présentée. Voilà un conseil qui "ne mange pas de pain..."
P.-M. Le Corre
Le plan de continuation est élaboré à partir d'une consultation collective ou, le plus souvent, individuelle des créanciers antérieurs au jugement d'ouverture. Ceux-ci se voient proposer par le représentant des créanciers, le plus souvent sous l'impulsion d'un administrateur judiciaire, des délais de paiement et des remises de dettes. En phase d'élaboration du plan, les créanciers ont ainsi pu accepter ces délais et remises. Le tribunal leur en a donné acte. Il a également pu imposer aux créanciers non acceptants des délais. Ces sacrifices s'inscrivent strictement dans le cadre de l'exécution du plan. Il est logique, dans ce contexte, que les sacrifices acceptés par les créanciers ou imposés à eux par le tribunal soient supprimés, si le plan est résolu, que l'on soit avant ou après l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises.
L'expression "résolution du plan de continuation" évoque l'idée d'une disparition rétroactive du plan pour défaut d'exécution. Il semblerait ainsi qu'il faille, après résolution d'un plan de continuation, remettre les créanciers en l'état antérieur au plan. Est-ce à dire qu'il faille procéder à l'anéantissement des remises de dettes consenties en phase d'élaboration du plan ? C'est à cette question que répond l'arrêt commenté.
En l'espèce, une banque a consenti un prêt à deux époux. Par avenant, a été décidée une réduction du taux des intérêts contractuels. L'époux a été placé en redressement judiciaire et la banque a déclaré sa créance. En phase d'élaboration du plan, la banque a accepté que sa créance soit réduite d'environ 20 % et soit réglée pour partie par le débiteur principal, pour partie par les cautions. Le tribunal a, ensuite, prononcé la résolution du plan. La banque a déclaré à nouveau sa créance en estimant qu'elle devait être restaurée dans l'intégralité de ses droits. Les juges du fond ont accepté la prétention. Le liquidateur s'est alors pourvu en cassation. La question posée à la Cour de cassation est de savoir si les remises consenties au débiteur, dans le cadre de l'élaboration du plan de continuation, lui demeurent acquises après résolution du plan ? La Cour de cassation, rejetant le pourvoi, va répondre à la question par la négative. Elle énonce que "la résolution du plan a pour effet d'anéantir rétroactivement les délais et remises acceptée lors de son adoption, de sorte que de telles remises, accordées au débiteur en dehors de toute négociation contractuelle étrangère au plan, ne sont définitivement acquises au débiteur qu'après versement, au terme fixé de la dernière échéance prévue par le plan".
Il faut commencer par rappeler les textes applicables. L'article L. 621-82, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6934AIN) énonce que "les créanciers soumis au plan déclarent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues". Le texte ne permet pas de répondre à la question de savoir si l'intégralité des sommes dues s'entend après adoption du plan ou avant.
Pour sa part, l'article L. 621-77 du même code (N° Lexbase : L6929AIH) indique :
"Le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance.
Dans ce cas, les délais ne peuvent excéder la durée du plan.
La réduction de créance n'est définitivement acquise qu'après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan".
Il est ici extrêmement clair que l'intégralité des sommes dues s'entend avant adoption du plan.
Il faut, en réalité, à ce stade, coordonner les règles d'élaboration du plan avec celles de l'admission des créances au passif. Il est vrai que les règles d'adoption du plan sont indépendantes de celles de la déclaration, de la vérification et de l'admission des créances. Le législateur en tient d'ailleurs compte en posant, à l'article L. 621-79, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L6931AIK) (anc. L. 25 janv. 1985, art. 77, al. 1 N° Lexbase : L6714AH7), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, à l'article L. 626-21, alinéa 1 (N° Lexbase : L4070HBD), dans la rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, que "l'inscription d'une créance au plan et l'octroi de délais ou remises par le créancier ne préjugent pas l'admission définitive de la créance au passif". Le créancier est, en effet, consulté en tant que créancier présomptif. En application de ce principe, le fait que le mandataire ait contesté la créance ne peut le dispenser de consulter le créancier. Le fait, pour le représentant des créanciers -mandataire judiciaire-, de notifier au créancier contesté les conditions d'apurement du passif envisagées dans le cadre du plan de continuation ne vaut pas renonciation à la contestation (10), la procédure d'élaboration du plan étant distincte de la procédure de vérification et d'admission des créances. Doivent donc être prises en compte les sommes auxquelles peut prétendre le créancier au jour du jugement d'ouverture et qu'il n'y a donc pas à exclure de l'élaboration du plan de continuation les créances contestées. Il est tout aussi exact que seules les créances admises au passif donneront lieu au paiement de dividendes pendant l'exécution du plan. Les droits du créancier consulté ne doivent, dès lors, être pris en compte que dans la mesure de son admission au passif. Le débiteur, après arrêté de son plan de continuation, ne pourrait pas transiger avec le créancier sur une fraction éteinte de la créance pour défaut de déclaration (11). La suppression de l'extinction des créances non déclarées par la loi de sauvegarde des entreprises ne doit pas conduire à une solution différente, car la créance non déclarée est inopposable à la procédure pendant le temps de celle-ci, jusqu'à la clôture ou la résolution du plan.
Le texte de l'article L. 621-77, alinéa 3, fait naître une difficulté. Il s'agit de savoir si le principe de restauration des droits des créanciers qu'il pose n'intéresse que l'hypothèse visée à l'alinéa 1 de cet article, c'est-à-dire le cas d'un plan qui prévoit un choix pour les créanciers d'être payés soit dans les délais prévus au plan, soit dans des délais uniformes plus brefs, le paiement étant alors assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance. La difficulté existe exactement dans les mêmes termes sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, avec l'article L. 626-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L4068HBB), qui dispose, en son alinéa 1er, que "le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance", alors que l'alinéa 2 indique que "la réduction de créance n'est définitivement acquise qu'après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan".
En réalité, la place du texte posant le principe de restauration des créanciers dans leurs droits antérieurs au plan ne doit pas troubler l'interprétation. Fort justement, la Cour de cassation considère, dans l'arrêt commenté, qu'il s'agit d'un principe à valeur générale, qui n'a donc pas à être cantonné à la seule hypothèse où, sur suggestion du tribunal, le créancier a accepté un paiement plus rapidement que ce que prévoyait le plan, en contrepartie d'une réduction de sa créance. La solution avait d'ailleurs été posée en filigrane dans une espèce qui intéressait les conséquences fiscales de la remise de dette consentie dans le cadre de l'élaboration d'un plan de continuation. Les remises de dettes ne sont acquises définitivement qu'au terme de la dernière échéance prévue par le plan, en application de l'article L. 621-77. Elles ne sont donc imposables qu'à cette date (12). La Cour de cassation a posé la solution alors que la remise de dette ne s'inscrivait pas dans une démarche proposée par le tribunal au stade de l'exécution du plan, mais avait été consentie en phase d'élaboration du plan, dans le cadre de la consultation menée par le représentant des créanciers.
La restauration des droits du créancier se produira donc dans trois hypothèses :
- celle dans laquelle il a accepté une réduction de sa créance dans le cadre de propositions alternatives de paiement au stade de l'élaboration du plan ;
- celle dans laquelle il a accepté une réduction de sa créance en contrepartie d'un paiement plus rapide, la proposition alternative émanant du tribunal ;
- celle, enfin, dans laquelle, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, le créancier membre d'un comité s'est vu imposer par la majorité des créanciers de ce comité une remise de dette dans le cadre de l'élaboration d'un plan de sauvegarde ou de redressement.
La remise de dette sera acquise après versement de la dernière échéance fixée au plan, indépendamment du fait de savoir si la réduction de créance a été proposée par le tribunal ou dans le cadre de la consultation préparatoire au plan.
Une dernière question se pose toutefois : faut-il restaurer les droits du créancier qui a intégralement reçu ce qu'il devait recevoir au titre de l'exécution du plan, parce qu'il a accepté d'être payé plus rapidement que les autres, alors que le plan sera ensuite résolu ? Le texte indique que la remise de dette n'est acquise "qu'après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan". Il semble que le texte s'intéresse à la situation particulière de chaque créancier du plan. La remise de dette est acquise au débiteur à l'égard du créancier concerné dès lors qu'il a touché sa dernière échéance. Si le texte avait voulu s'intéresser à la situation collective des créanciers, il aurait fallu préciser que, pour les créanciers ayant accepté des remises de dettes, celles-ci ne sont définitives qu'une fois l'exécution du plan terminée. En visant la dernière échéance, alors que la remise de dettes concernera par principe un créancier ayant accepté un paiement plus rapide que celui intéressant les créanciers n'ayant pas accepté de remise, il faut comprendre qu'il s'agit de la dernière échéance intéressant ce créancier payé plus rapidement que ce que prévoit le plan. Cette interprétation permet d'affirmer que, si la résolution du plan intervient après paiement de la dernière échéance d'un créancier ayant accepté une remise de dette, cette remise de dette sera définitivement acquise au débiteur (13).
La loi de sauvegarde des entreprises maintient l'idée de restauration des créanciers dans l'intégralité de leurs droits. Mais il convient de distinguer selon que la résolution du plan intervient avec état de cessation des paiements ou sans cette caractérisation.
En l'absence de cessation des paiements, la résolution du plan n'entraîne pas ouverture d'une seconde procédure. L'article L. 626-27-I, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L4076HBL), disposition a priori commune aux deux hypothèses -résolution avec ou sans cessation des paiements-, prévoit que le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et emporte déchéance de tout délai de paiement accordé. Plus largement, l'idée de résolution du plan doit conduire à décider que les remises de dettes sont également supprimées. Le débiteur doit donc faire face à ses dettes exigibles, indépendamment des délais de paiement qui auraient pu être accordés. Si, ultérieurement, il résulte de cette situation un état de cessation des paiements, une nouvelle procédure de redressement judiciaire semble concevable. Les créanciers admis au passif de la première procédure sont astreints, classiquement, à déclarer leurs créances.
Dans la seconde situation, il y a résolution du plan avec caractérisation d'un état de cessation des paiements. Obligatoirement, le tribunal, tout en prononçant la résolution du plan, a prononcé la liquidation judiciaire. La loi de sauvegarde des entreprises procède alors d'une manière très différente de la législation précédente, infiniment plus protectrice des intérêts des créanciers admis au plan de continuation, en dispensant les créanciers admis au passif d'une première procédure, ayant évolué vers un plan de redressement ou de sauvegarde, d'avoir à déclarer à nouveau leurs créances, dans le cadre de la seconde procédure. C'est l'objet de l'article L. 626-27-III du Code de commerce.
P.-M. Le Corre
Lorsqu'il revendique entre les mains de l'affactureur, subrogé dans les droits du débiteur-revendeur, le prix des marchandises vendues avec réserve de propriété, le vendeur doit prouver que le prix a été payé par le sous-acquéreur après le jugement d'ouverture de la procédure collective du revendeur.
Dans cet arrêt rendu le 24 avril 2007, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue apporter une précision à propos de l'intéressant conflit susceptible d'opposer le vendeur réservataire de propriété à l'affactureur.
Le schéma conflictuel est le suivant : des marchandises sont vendues avec clause de réserve de propriété à un acquéreur qui les revend sans en avoir préalablement payé le prix et sans se faire immédiatement payer le prix de revente par le sous-acquéreur. Parallèlement, l'acquéreur-revendeur transmet sa créance de prix de revente à un affactureur (ou à un banquier cessionnaire "Dailly") puis fait l'objet d'une procédure collective. L'affactureur, subrogé dans les droits de l'acquéreur-revendeur, entend obtenir des sous-acquéreurs le paiement de la créance de prix de revente transmise par subrogation. De son côté, le vendeur initial réservataire de propriété, en application de l'article L. 624-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L1414HI9) (anc. C. com., art. L. 621-124 avant la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L6976AI9), entend revendiquer le prix ou la partie du prix des biens vendus sous clause de réserve de propriété dès lors que celui-ci "n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé en compte courant entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure". Dès lors que l'action en revendication du prix est exercée dans le délai légal de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure (C. com., art. L. 624-9 N° Lexbase : L3777HBI, anc. C. com., art. L. 621-115 avant la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L6967AIU), le vendeur initial doit sortir vainqueur du conflit qui l'oppose à l'affactureur, et doit donc être payé par le sous-acquéreur à hauteur de sa créance de prix de vente. La Cour de cassation (14) a clairement justifié la solution sur le fondement de la subrogation : elle considère que le vendeur initial réservataire de propriété voit son droit reporté sur la créance de prix de revente par subrogation, laquelle subrogation se réalise dès la revente ; elle a un effet rétroactif et prive le revendeur, dès la revente du bien, de son droit de propriété sur la créance du prix de revente pour l'attribuer au vendeur sous réserve de propriété. Cette solution, reprise par le législateur (15), implique que le revendeur soit censé n'avoir jamais été titulaire de la créance et qu'il ne puisse donc pas valablement la transmettre (16). Pour cette raison, le vendeur sous réserve de propriété prime aussi bien le banquier cessionnaire (17) que le factor (18).
Qu'en est-il dans l'hypothèse où le sous-acquéreur aurait déjà payé la créance de prix de revente entre les mains de l'affactureur ? Le vendeur initial peut-il réclamer à ce dernier les sommes que celui-ci a perçues du sous-acquéreur ? La réponse de principe à cette question est affirmative dès lors que certaines conditions sont réunies. Il faut d'abord que le vendeur initial ait respecté les modalités procédurales de la revendication. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que "la forclusion résultant du défaut de saisine du juge-commissaire dans le délai légal a vocation à s'appliquer dans le cadre de l'action revendication du prix exercée par le vendeur contre l'affactureur" (19). Il faut, ensuite, en application des dispositions de l'article L. 624-18 du Code de commerce (anc. C. com., art. L. 621-24), que le prix de revente n'ait pas été réglé à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective (au jour de l'exercice de la revendication, sous l'empire des dispositions de l'article 122 de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 1994 N° Lexbase : L6504AHD).
Mais, alors, sur qui pèse la charge de cette preuve ? Pour échapper à la revendication du vendeur initial, est-ce au factor d'établir que les sommes qu'il a perçues du sous-acquéreur ont été réglées avant l'ouverture de la procédure collective? Est-ce, au contraire, au revendiquant, c'est-à-dire au vendeur réservataire de propriété, de prouver que le prix a été payé à l'affactureur par le sous-acquéreur après le jugement d'ouverture de la procédure collective du revendeur ? C'est sur cette question que se prononce la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.
En l'espèce, une société avait vendu du matériel en se réservant la propriété des marchandises jusqu'au paiement intégral du prix. Alors que leur prix n'avait pas été payé, ces marchandises ont été revendues à des sous-acquéreurs, sans que le prix de ces reventes ait été davantage réglé. Le revendeur, qui avait conclu un contrat d'affacturage, a, dans le cadre de celui-ci, transmis à la société d'affacturage les créances de prix nées de la revente des marchandises. L'acquéreur-revendeur ayant par la suite fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, le vendeur initial a revendiqué les biens dont il était réservataire de propriété puis leur prix auprès du liquidateur et de l'affactureur. La cour d'appel de Paris (20) a fait droit à cette demande et condamné la société d'affacturage à reverser au vendeur initial les prix de revente qu'il avait perçus après avoir énoncé que, pour être déchargé de son obligation à l'égard du vendeur bénéficiaire de la clause de réserve de propriété, l'affactureur devait établir que les sommes qu'il a perçues du sous-acquéreur ont été réglées avant l'ouverture de la procédure collective du revendeur. La Chambre commerciale de la Cour de cassation estime, au contraire, que ce n'était pas à l'affactureur d'apporter cette preuve, et casse l'arrêt d'appel au motif que, "revendiquant entre les mains de l'affactureur, subrogé dans les droits du débiteur, le prix des marchandises vendues avec réserve de propriété, le vendeur doit prouver que le prix a été payé par le sous-acquéreur après le jugement d'ouverture de la procédure collective".
La solution est parfaitement logique car il appartient au revendiquant de démontrer que les conditions de la revendication sont réunies, conditions au rang desquelles figure l'absence de paiement du prix de revente au jour de l'ouverture de la procédure collective. Cette preuve devra donc être rapportée par le revendiquant, peu important que l'action en revendication de la créance de prix de revente exercée par le créancier réservataire de propriété le soit à l'encontre de la procédure collective ou du factor. Cette solution est parfaitement transposable en matière de cession de la créance de prix de revente par bordereau "Dailly".
E. Le Corre-Broly
Pierre-Michel Le Corre
Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, CERDP
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Enseignante du Master 2 Banque de la Faculté de droit de Toulon
(1) Loi n° 2005-845, du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT).
(2) Cass. com., 19 février 2002, n° 00-11.552, Société Crédit foncier de France c/ Société Léon Veyret, F-D (N° Lexbase : A0491AYT), AJ p. 1068, obs. A. Lienhard.
(3) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-15.535, M. Pascal Raynaud, mandataire judiciaire c/ Société Pinguely-Haulotte, F-P+B (N° Lexbase : A7142DKQ), D. 2005, AJ p. 2742, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2006, chron. 1066, p. 76, n° 13, obs. M. Cabrillac ; RTD com., 2006/1, p. 201, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. proc. coll. 2006/1, p. 35, P.-M. Le Corre.
(4) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 01-00.504, Banque générale du commerce (BGC) c/ M. Dragon Boyadjian, F-D (N° Lexbase : A6216C94) ; lire P.-M. Le Corre, Inutilité de la double déclaration de créances en cas de relevé de forclusion, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9278AAU).
(5) Cass. com., 19 février 2002, note précitée.
(6) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 juin 2005, n° 04/19425, M. Pierre Lieras c/ M. Claudio Fernandes Canedo (N° Lexbase : A1186DK7).
(7) Cass. com., 16 novembre 1993, n° 91-15.143, M. Brouard, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sopatra c/ Epoux Desmazières (N° Lexbase : A5713AB9), Rev. proc. coll. 1995, 58, n° 8, obs. B. Dureuil ; Cass. com., 6 juin 2000, n° 98-10.785, M. William Vanuxem c/ M. Emmanuel Loeuille, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. William Vanuxem et autres, inédit (N° Lexbase : A6119CNX), Dict. perm. Difficultés des entreprises, Bull. 201, 10 juillet 2000, p. 6261, V. Juge-commissaire, n° 124 ; CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 10 janvier 2002, RD Banc. et fin. 2003/1, p. 29, n° 31, obs. F.-X. Lucas.
(8) Cass. com., 6 juin 2000, note précitée.
(9) Cass. com., 16 novembre 1993, précité, Bull. civ. IV, n° 409 ; Gaz. Pal. 1995, I, 7, note P. Latil ; Cass. com., 28 mai 1996, n° 94-14.349, Mme Guilaine Schneider née Quesney et autres c/ M. Jean-Jacques Leprêtre, inédit (N° Lexbase : A2253AZH), D. 1996, IR p. 161 ; Cass. com., 12 mai 1998, n° 96-18.855, M. Christian Rey c/ Crédit foncier de France (CFF), inédit (N° Lexbase : A9658CR7), Dict. perm. Difficultés des entreprises, Bull. 172, 22 juin 1998, V. Déclaration et vérification des créances, n° 46 ; Cass. com., 26 octobre 1999, n° 97-13.238, M. Chung Van Tan c/ Crédit foncier de France et autre, publié (N° Lexbase : A8668AHI), Act. proc. coll. 1999/18, n° 238 ; Act. proc. coll. 1999/20, n° 272.
(10) Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-19.457, Société Silvestri et Baujet, F-D N° Lexbase : A7676DRQ, Act. proc. coll. 2006/19, n° 232, note J. Vallansan ; lire La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 237 du 23 novembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N0346A9P).
(11) Cass. com., 1er octobre 2002, n° 99-17.876, Caisse de Crédit mutuel de Fontaine c/ M. Daniel Bourguignon, F-D (N° Lexbase : A9156AZ7), Dict. perm. Difficultés des entreprises, bull. 230, 12 novembre 2002, p. 5712, V. Déclaration et vérification des créances, n° 79.
(12) Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-30.779, Caisse de mutualité sociale agricole (MSA) de Loir-et-Cher, F-P+B (N° Lexbase : A8001DRR), D. 2006, AJ p. 2734, obs. A. Lienhard ; D. 2007, pan. comm., p. 42, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll. 2007/1, p. 31, note D. Voinot ; JCP éd. E, 2007, chron. 1004, p. 20, n° 4, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2006/19, n° 237, note J.-Ch. Boulay.
(13) V. aussi, en ce sens, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 361-1.
(14) Cass. com., 8 mars 1988, n° 86-15.751, Société Clark Equipement Engineering And Marketing Corporation USA dite "CLEMAC" c/ M. Segard, syndic de la liquidation de biens de la société Richier, publié (N° Lexbase : A7726AAE), Bull. civ. IV, n° 99, p. 69 ; RD bancaire et bourse 1988, 179, obs. Dekeuwer-Defossez ; RTD com. 1989, p. 113, obs. Bouloc.
(15) Cf. C. civ., art. 2372 issu de l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L1199HIA) : "Le droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l'égard du sous-acquéreur [...]".
(16) V. F. Pérochon, Clause de réserve de propriété, Dict. perm. Diff. Ent., n° 70.
(17) Cass. com., 20 juin 1989, n° 88-11.720, Banque Nationale de Paris c/ Société Micro-Informatique et de Télécommunications et autres, publié (N° Lexbase : A0025ABK), Bull. civ. IV, n° 197, p. 130 ; D. 1989. I. 431,note F. Pérochon ; Banque, n° 496, juillet-août 1989.760, obs. Rives-Lange; RTD com. 1989, p.702, obs. Cabrillac et Teyssié ; RTD com. 1989, p. 745, obs. Martin-Serf.
(18) Cass. com., 27 juin 1989, n° 87-15.847, Société Factofrance Heller c/ Société des Parfums Yves Saint-Laurent et autres, publié (N° Lexbase : A3013AH3), Bull. civ. IV, n° 205, p. 136 ; Rev. jurisp. com. 1990, p. 55, note Gallet ; JCP éd. E, 1990, II, 15668, n° 15, obs. M. Cabrillac ; RTD com. 1990, p. 92, obs. Bouloc ; RTD com. 1990, p. 269, obs. Martin-Serf ; Cass. com., 26 avril 2000, n° 97-21.486, Société Factobail c/ Société Data Recording et autres, publié (N° Lexbase : A8724AHL), Bull. civ. IV, n° 89, p. 78 ; RIDA 7-8/00 n° 799, p. 636 ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 278, obs. Pisoni. Sur l'arrêt du 26 avril 2000, v. J.-P. Dom, Affacturage et procédures collectives, Act. Proc. Coll. n° 10, 16 juin 2000.
(19) Cass. com., 15 mars 2005, n° 00-12.563, Société Factobail c/ Société Cegid, F-P-B (N° Lexbase : A4035DHW), Act. proc. coll. 2005/8, n° 103, note C. Régnaut-Moutier, Gaz. Proc. Coll. 2005-2, n° 4, p. 46, note E. Le Corre-Broly.
(20) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 8 novembre 2005, n° 02793, Société Mitsubishi Electric Europe BV (Société de droit Hollandais) c/ Maître Marie-Hélène Montravers (N° Lexbase : A2444DMH).
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