La lettre juridique n°261 du 24 mai 2007 : Fiscalité des entreprises

[Focus] Régime des plus-values à long terme : des juges au parfum...

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2007, n° 279128, Société Parfums Rochas (N° Lexbase : A5814DUU)

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N1671BBI

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le 07 Octobre 2010

Le droit de la propriété intellectuelle est à l'origine de décisions mettant à l'honneur le droit applicable à la création la plus fugace qu'il soit : la fragrance. Le parfum est à l'honneur devant les juridictions civiles, qui dissertent abondamment sur l'éligibilité de la fragrance au rang d'oeuvre de l'esprit, afin de bénéficier du régime protecteur issu des dispositions de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle : les juridictions du fond sont entrées en résistance (CA Paris, 4ème ch., A, 14 février 2007, n° 06/09813, SA Beauté Prestige International c/ Société Senteur Mazal N° Lexbase : A1898DUT) à l'encontre de la Haute juridiction pour qui la fragrance n'est que "la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire" (Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 02-44.718, FS-P+B+I N° Lexbase : A9280DPE ; M. Vivant, Parfum : l'heureuse résistance des juges du fond, D. 2007 p. 954).

Le juge administratif n'est pas resté insensible au charme fiscal du parfum : la décision rendue par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2007, n° 279128, Société Parfums Rochas) a trait au régime, applicable avant le 1er janvier 1992, de taxation réduite des plus-values à long terme des produits de cessions de brevets, procédés et techniques, et des concessions de licences d'exploitation "s'ils constituent des éléments de l'actif immobilisé dont le concédant accepte de se dessaisir au profit du concessionnaire".

Les faits de l'espèce rapportent que la SA Parfum Rochas a concédé, par voie contractuelle, à des sociétés étrangères, le droit de fabriquer et de diffuser ses produits.

La société Rochas a, alors, perçu des redevances imposées au taux réduit de 15 % selon les dispositions de l'article 39 terdecies du CGI (N° Lexbase : L1446HL7) applicables aux faits de l'espèce.

Les juges du fond (CAA Paris, 5ème ch., 31 janvier 2005, n° 01PA00039, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Parfums Rochas N° Lexbase : A0087DHP), ainsi que le Conseil d'Etat, apportent des réponses traditionnelles, au regard de la jurisprudence jusqu'alors adoptée, quant à deux notions essentielles auxquelles le régime de faveur est subordonné : l'exploitation utile au profit du concessionnaire (I) et le transfert de technologie (II).

1. Le régime du long terme ne saurait souffrir de la précarité...

Au seuil des années 80, le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 30 avril 1980, n° 17850 N° Lexbase : A6020AIS) sera amené à trancher entre deux thèses quant à l'application du régime des plus-values à long terme : dans ce litige opposant le contribuable et l'administration fiscale, cette dernière estimait que le régime de fiscalité dérogatoire supposait le dessaisissement définitif des droits de fabrication.

Conclu initialement pour une durée de dix ans, il était possible pour le cocontractant, selon les stipulations de l'accord versé aux débats, de demander la résiliation après la cinquième année d'exécution, sous préavis d'un an, ou d'obtenir la reconduction du contrat pour une nouvelle période de dix ans.

La Haute juridiction estimera, alors, que les contribuables étaient éligibles au régime des plus-values à long terme, même si la concession ne s'accompagnait pas d'un dessaisissement définitif de la part du concédant, pourvu qu'elle soit d'une certaine durée : il est remarquable de constater, à la lecture des conclusions du commissaire du Gouvernement Martin Laprade, que le raisonnement économique n'est pas étranger à la solution adoptée par la Haute juridiction.

Cette décision assouplit incontestablement le régime applicable, notamment au savoir-faire, dès lors que les parties ont pris soin de l'accompagner d'un effet utile : "le caractère purement précaire d'une concession révocable à l'initiative du seul concédant fait obstacle à ce que le contrat puisse être regardé comme ayant entraîné pour celui-ci 'un dessaisissement', même temporaire, d'un élément d'actif immobilisé" (concl. Martin Laprade précitées).

Il s'agit de garantir au concessionnaire l'assurance d'un flux de profit régulier.

Cependant, la notion de disposition utile des droits de propriété industrielle résulte d'une appréciation de pur fait échappant, sauf dénaturation, au juge de cassation.

Ainsi, la jurisprudence, s'appuyant sur les termes de la convention conclue par les parties, précisera qu'une durée de sept ans stipulée au contrat de concession au profit d'un concessionnaire japonais est suffisante (CE Contentieux, 11 juin 1980, n° 10641 N° Lexbase : A6299AI7). Il en est de même de durées fixées contractuellement à 10, 12 ou 15 ans et pouvant être prorogées par les parties (CE 9° et 7° s-s-r., 25 juillet 1980, n° 06988 N° Lexbase : A7404B8Q), dès lors que les contrats ne peuvent être résiliés avant leur terme normal (CE Contentieux, 5 novembre 1980, n° 8884 N° Lexbase : A7369AIR).

En revanche, ne peut être considérée comme une concession portant sur une période suffisante la convention conclue pour une durée indéterminée, mais résiliable à tout moment par les parties, moyennant un préavis de trois mois (CE Contentieux, 31 janvier 1983, n° 30769 N° Lexbase : A2391AMI).

Au cas particulier, les décisions rendues par la cour administrative d'appel de Paris et par le Conseil d'Etat ne sauraient surprendre : elles s'appuient sur la jurisprudence antérieure selon laquelle le concessionnaire doit pouvoir "exploiter utilement de façon exclusive, et donc pendant une période suffisante, le brevet, les procédés ou les techniques concédés".

La société Rochas, qui s'était contractuellement réservée le droit de retirer à n'importe quel moment l'autorisation de fabrication et de vente de ses produits, ne pouvait prétendre à l'application du régime découlant de l'article 39 terdecies du CGI.

Toutes ces jurisprudences illustrent l'interdépendance entre le droit civil et le droit fiscal, conséquence de la distinction entre les droits substantiels et les droits de mise en oeuvre exposée par le Doyen Carbonnier (Flexible Droit, LGDJ, 2001, p. 406) : le rédacteur du contrat est prié de s'enquérir de la jurisprudence fiscale !

2. Le régime du long terme est subordonné à un véritable transfert de technologie

Le régime du long terme ne s'applique qu'en présence d'un véritable transfert de technologie : c'est ainsi qu'il faut comprendre les termes "procédés" ou "techniques de fabrication" au sens de l'article 39 terdecies du CGI.

Au cas particulier, les éléments de fait, appréciés souverainement par le juge du fond, jouent un rôle de première importance : le juge de l'impôt cherche à réunir un faisceau d'indices afin de caractériser la réalité du transfert de technologie (CE Contentieux, 18 mai 1998, n° 159846, Ministre du Budget c/ SA Yves Saint-Laurent N° Lexbase : A7202ASK).

Ainsi, l'administration fiscale s'est attachée à démontrer que les formules des bases parfumées n'étaient pas communiquées aux concessionnaires ; ces derniers étant seulement destinataires de concentrés entrant dans la fabrication des parfums et de fiches techniques afin d'en assurer la production. Il ne pouvait y avoir de transfert d'un savoir-faire spécifique en l'absence de contrôle de la fabrication, ou encore d'assistance technique sur place, ou de formation particulière.

Les décisions rendues à l'encontre de la société Rochas sont conformes à la jurisprudence antérieure : les juridictions ont déjà précisé que le concessionnaire devait pouvoir bénéficier d'un transfert de droits, procédés ou techniques de fabrication et non la simple mise à disposition d'un savoir-faire du propriétaire de la marque. Tel n'est pas le cas d'un contrat, qualifié par les parties de "contrat de transfert de technologie et d'aide technique", conclu entre un contribuable français et une société égyptienne, aux termes desquels des redevances sont versées en contrepartie de conseil en création afin de promouvoir la vente d'un ensemble de prêt-à-porter (CE Contentieux, 16 décembre 1998, n° 155050, M. Lasserre N° Lexbase : A8567AS4). La même solution s'impose quant aux redevances pour la concession de "griffes" (CE Contentieux, 20 novembre 1995, n° 143148, SA Torrente N° Lexbase : A6579ANY).

Frédéric Dal Vecchio
Juriste-Fiscaliste
Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Doctorant en Droit
Membre du Laboratoire de recherches CERAP (Université Paris XIII)

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