Réf. : Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX)
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N6716BAY
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le 07 Octobre 2010
Les juges du fond les déboutent, cependant, en considérant que les clauses du contrat étaient claires et sans ambiguïté, et que, dès lors, il ne pouvait être soutenu que le banquier devait une information supplémentaire à son adhérent (2). Plus exactement, et sur renvoi après cassation (3), parce qu'en présence d'une clause claire et précise des contrats d'assurance, l'emprunteur et son conjoint ne pouvaient ignorer que l'assurance de groupe ne couvrait que l'invalidité totale et définitive et ne s'appliquait pas à la seule inaptitude à la profession d'agriculteur. Egalement, parce que la banque n'ayant pas l'obligation de conseiller la souscription d'une assurance complémentaire, elle n'avait pas manqué à son obligation d'information et de conseil (4).
Pour être classique, la référence à une très large obligation "d'information et de conseil" se conciliait mal avec l'effort de systématisation dernièrement entrepris par la Cour de cassation pour distinguer, entre l'information et le conseil, un nouveau devoir de mise en garde (5). Aussi, une telle référence pouvait difficilement prospérer. Pour la Haute assemblée, "le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation".
Deux enseignements de nature à bouleverser les solutions établies sont à tirer de l'arrêt du 2 mars 2007. Le premier, c'est que la remise d'une notice, même claire, n'est pas suffisante. Le second, c'est que le banquier est tenu d'éclairer l'emprunteur sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.
Quoique destinée à connaître un grand retentissement, cette dernière obligation d'éclairer n'est pas vraiment une surprise. La sanction du banquier "pour n'avoir pas suffisamment éclairé l'assuré" a, en effet, auparavant, pu être envisagée (6). La nécessité de faire en sorte que l'emprunteur adhérent à une assurance de groupe puisse prendre "une décision éclairée" quant aux risques couverts, a aussi déjà été posée par un arrêt annonciateur (7).
Dans l'éventail des diverses obligations s'imposant désormais au banquier, la distinction peut sans doute paraître très ténue. Elle n'est cependant pas insurmontable. Il est, en effet, permis de penser qu'éclairer c'est informer, mettre en garde c'est alerter, et conseiller c'est orienter. Mais si l'obligation d'éclairer relève manifestement de l'information, elle va plus loin que celle-ci, du moins quand elle est strictement entendue. Elle suppose encore que le banquier s'assure que l'information qu'il a délivrée a été bien comprise, afin que l'emprunteur puisse prendre son assurance en toute connaissance de cause. Il s'agit donc d'une information renforcée qui doit, selon nous, être située entre l'information stricto sensu et la mise en garde, mais ne doit pas être assimilée à celle-ci (8). Même si, d'un point de vue pratique, on peut certainement penser que cela revient au même, car mettre en pleine lumière le risque peut aussi permettre d'alerter l'emprunteur, d'un point de vue sémantique, éclairer n'est pas alerter.
Cette nouvelle obligation prétorienne va dans le sens des obligations récemment posées par le législateur, ou en voie de l'être. En effet, depuis la loi nº 2005-1564 du 15 décembre 2005 (N° Lexbase : L5277HDS), les obligations des intermédiaires en assurance -ce qui devrait concerner le banquier qui propose à son client emprunteur d'adhérer à l'assurance groupe qu'il a souscrite- ont été définies. Ainsi, avant la conclusion de tout contrat, doit-il "préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur éventuel, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé" (9). S'agissant d'un contrat destiné à une personne physique, des dispositions plus complètes pourraient encore être, avec l'article 27 du projet de loi en faveur des consommateurs du 14 novembre 2006, prochainement introduites dans le Code des assurances (10). Ainsi devraient, notamment, être précisées "les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé" ; ces précisions devant reposer en particulier sur les éléments d'information communiqués par la personne physique concernant sa situation financière et ses objectifs, et être adaptées à la complexité du contrat proposé. Le professionnel devrait tenir compte, aussi, des connaissances du client et de son expérience en matière financière ainsi que de tous autres éléments que celui-ci a portés à sa connaissance. Le cas échéant, le mettre en garde préalablement à la conclusion du contrat lorsqu'il ne donne pas les informations nécessaires.
Quoi qu'il en soit, l'obligation d'éclairer son client sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur suppose déjà, pour le banquier, plusieurs actes positifs de sa part. Elle l'oblige à mettre préalablement en perspective l'exacte couverture des risques découlant de l'assurance qu'il propose, puis de comparer celle-ci aux besoins spécifiques que réclame la situation personnelle de son client. Elle le contraint, ensuite, à expliquer cette analyse à son client, et ce, en toute hypothèse. Peu importe que l'assurance groupe et la situation personnelle lui apparaissent adéquates ou pas. Elle doit le conduire, enfin, à vérifier que tout cela a été bien compris, surtout s'agissant des conséquences pouvant résulter des risques qui ne seraient pas couverts.
Avec l'obligation d'éclairer, la Haute assemblée ajoute une nouvelle nuance sur la palette des obligations du banquier. Ce faisant, elle a moins cherché à écarter les qualifications existantes -information, conseil, et mise en garde- qu'à les repositionner. Loin de troubler celles-ci, cette fine retouche, qui naturellement est à la disposition du juge pour d'autres contentieux que ceux touchant à l'assurance de groupe, peut paraître alors parfaitement lumineuse. Au vrai, par les incertitudes qu'elle générait, y compris pour le banquier, la référence à une très vague obligation "d'information et de conseil" n'était pas, comme toute catégorie fourre-tout, exempte de critique. D'aucuns pourront sans doute trouver cette nouvelle obligation d'éclairer excessivement subtile. Elle démontre simplement, en réalité, combien l'art de juger est délicat.
Richard Routier
Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand 1
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