Réf. : Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-40.639, Mme Sylvie Negri, F-D (N° Lexbase : A6849DTT)
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le 07 Octobre 2010
Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-40.639, Mme Sylvie Negri, F-D (N° Lexbase : A6849DTT)
L'employeur ne peut refuser la demande d'une salariée de se voir attribuer en mutation l'un des postes disponibles, celle-ci ayant été contrainte de changer son domicile pour des raisons familiales sérieuses, alors, de surcroît, que la décision de l'employeur informé depuis plusieurs mois de cette situation, de maintenir son affectation initiale, portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle. |
Commentaire
1. Une solution inédite en apparence classique
C'est à une situation inédite qu'était, ici, confrontée la Cour de cassation. Une salariée, en congé parental d'éducation, avait demandé à son employeur que lui soit attribué un poste disponible dans un établissement situé dans une autre ville où son conjoint avait été entre temps muté, et où elle avait, d'ailleurs, été contrainte de déménager. L'employeur s'y était opposé et avait fini par licencier la salariée pour faute grave dans la mesure où celle-ci avait refusé de réintégrer son poste d'origine.
La cour d'appel avait, semble-t-il logiquement, donné raison à l'employeur, après avoir considéré que ce dernier n'avait nulle obligation de proposer une mutation à la salariée. Selon la Cour, en effet, "l'obligation de bonne foi du contrat de travail n'impliquait pas, nonobstant les contraintes familiales de l'intéressée, l'obligation pour la société Omnium de gestion et de financement de proposer à Mme X. les postes disponibles sur la région d'Avignon", "la décision de licenciement pour faute grave qui se réfère à un abandon de poste caractérisé ne saurait être considérée comme illégitime au motif que l'employeur ne justifie d'aucun élément objectif propre à l'empêcher de proposer ces postes disponibles à Mme X.".
Cette position était conforme à la jurisprudence antérieure. Certes, certains motifs familiaux parfaitement légitimes peuvent expliquer qu'un salarié résiste au pouvoir de direction de l'employeur, mais la prise en compte de ces motifs pouvait éventuellement conduire à requalifier l'acte d'insubordination de faute grave en simple faute sérieuse (1), mais certainement pas à considérer l'employeur comme fautif, sauf abus caractérisé dans l'exercice de son pouvoir de direction (2), ce qui ne semblait pas être le cas en l'espèce.
De manière assez surprenante, cet arrêt est cassé pour manque de base légale, au visa des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) et de l'article L. 120-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0571AZ8), la Chambre sociale de la Cour de cassation ayant considéré qu'en donnant raison à l'employeur, "sans expliquer les raisons objectives qui s'opposaient à ce que l'un des postes disponibles dans la région d'Avignon soit proposé à la salariée, contrainte de changer son domicile pour des raisons familiales sérieuses, alors, de surcroît, que la décision de l'employeur informé depuis plusieurs mois de cette situation, de maintenir son affectation à Valenciennes, portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
La formule contenue dans l'arrêt mérite toute attention.
Il convient, tout d'abord, de relever que l'arrêt est cassé pour manque de base légale, et non pour violation de la loi. Ce qui est donc reproché aux juges du fond est, par conséquent, non pas d'avoir donné raison à l'employeur, mais de l'avoir fait sans s'expliquer "sur les raisons objectives qui s'opposaient à ce que l'un des postes disponibles dans la région d'Avignon soit proposé à la salariée, contrainte de changer son domicile pour des raisons familiales sérieuses", et sans avoir mis en évidence la bonne foi de l'employeur.
Il convient, également, de bien mesurer la portée du double visa des articles 8 de la CESDH et L. 120-4 du Code du travail. Le visa de l'article 8 de la CESDH n'est, ici, pas une surprise dans la mesure où ce texte a été visé à de nombreuses reprises par la Chambre sociale de la Cour de cassation, généralement en ce qu'il protège la vie privée du salarié, mais également lorsqu'il protège le droit au domicile, comme cela avait été jugé dans l'arrêt "Spileers" pour paralyser les clauses de mobilité assorties d'une obligation de résidence (3). C'est d'ailleurs, ici, de nouveau le droit au domicile qui est visé, la salariée ayant été "contrainte" de suivre son conjoint, muté pendant la durée de son congé parental d'éducation.
Le visa de l'article L. 120-4 du Code du travail et de l'obligation de bonne foi de l'employeur ne saurait, également, surprendre. On sait, en effet, que la Cour de cassation a rendu, en 2005, deux décisions importantes, dont l'une concernait la mobilité géographique du salarié, pour rappeler que la bonne foi de l'employeur qui met en oeuvre la clause de mobilité doit logiquement être présumée, le salarié pouvant établir que la clause a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle (4). Or, en l'espèce, un poste était semble-t-il disponible, l'employeur connaissait la situation familiale de la salariée et n'avait a priori aucune raison de s'y opposer.
2. Une solution affirmant implicitement le droit au regroupement familial
Le visa de l'article 8 de la CESDH aurait pu permettre à la Cour de cassation de dégager le droit à une vie familiale (5), et ce conformément à une jurisprudence désormais bien établie de la Cour européenne des droits de l'Homme, il est vrai étrangère aux relations de travail (6).
Cette absence de référence au droit à la vie familiale est décevante, même s'il est vrai que la Cour de cassation est tenue par les moyens du pourvoi qui ne développaient peut-être pas pareille argumentation.
La Cour demeure donc dans le cadre de sa jurisprudence classique relative à la mobilité professionnelle, et au contrôle exercé sur l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur, sans aller jusqu'à dégager l'existence d'un nouveau droit fondamental qui lui aurait permis de faire application de l'article L. 120-2 du Code du travail et de l'exigence de nécessité et de proportionnalité des atteintes.
Il ne faut, par ailleurs, pas mésestimer le poids des données factuelles dans cette affaire ; il pourrait donc bien ne s'agir que d'un arrêt "d'espèce", ce qui expliquerait l'absence de publication au bulletin. La Cour de cassation a, en effet, pris la peine de relever que l'employeur avait été informé depuis plusieurs mois de cette situation, et avait pourtant décidé de maintenir son affectation à Valenciennes. Or, ce qui est reproché à la cour d'appel, c'est d'avoir donné raison à l'employeur, au nom de la souveraineté du pouvoir de direction, sans examiner les motifs objectifs qui pouvaient justifier le refus. L'examen de la jurisprudence montre, d'ailleurs, que lorsque l'employeur fait des efforts pour atténuer l'impact personnel ou familial d'une mutation, les juges lui donnent raison (7).
L'affirmation d'un droit au rapprochement familial, fondé sur l'article 8 de la CESDH, apparaît, toutefois, certainement comme une prochaine étape possible de l'évolution jurisprudentielle. On se rappellera, ainsi, qu'en 1992, l'obligation de bonne foi qui pèse sur l'employeur, sur le fondement de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), avait permis de dégager une nouvelle obligation positive à la charge de l'employeur, celle d'adapter les salariés aux évolutions de leur emploi (8), avant que la loi ne consacre l'obligation d'adaptation au coeur même de la définition du motif économique du licenciement.
On le constate de nouveau, la bonne foi n'a pas fini de livrer tous ses secrets !
Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Décision
Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-40.639, Mme Sylvie Negri, F-D (N° Lexbase : A6849DTT) Cassation (CA Douai, chambre sociale, 17 décembre 2004) Textes visés : article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) ; C. trav., art. L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8). Mots-clefs : bonne foi ; droit au domicile ; emploi disponible ; bonne foi de l'employeur. Lien bases : |
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