La lettre juridique n°256 du 19 avril 2007 : Sociétés

[Textes] La fiducie ou un contrat nommé du Code civil peut-il remplacer certaines opérations du droit des affaires ?

Réf. : Loi n° 2007-211, 19 février 2007, instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM)

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N6592BAE

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le 07 Octobre 2010

L'acharnement paie ! Comme Monsieur Breton devait le souligner à propos d'une des présentations aux parlementaires de la proposition de loi déposée par le sénateur Marini le 8 février 2005 (1), faire voter un texte sur la fiducie aura longtemps relevé de la "mission impossible" (2). En vingt-cinq ans, trois projets de loi sur la question auront, en effet, disparu dans les oubliettes parlementaires.
Ces dernières, au demeurant, ne paraissent pas si profondes qu'un texte ne puisse en ressortir, comme le faisait le comte de Monte-Christo, à moins que la fiducie ne soit une notion d'une résistance aussi singulière que le héros d'Alexandre Dumas. Celle-ci remonte, en effet, au droit romain et fut reprise dans l'ancien droit, bien que les rédacteurs du Code civil, en dépit de leur imprégnation romaniste, n'aient pas jugé bon de la reconnaître (3). Pourtant, elle est particulièrement vivace dans les ordres juridiques de nos voisins et survit sous une forme particulière dans les pays de common-law. Or, si le fait qu'une notion juridique se soit imposée en droit romain atteste souvent de son importance -s'agissant de la technique juridique-, le constat que les juristes anglo-saxons l'emploient à l'envi fait présumer, cette fois, de son efficience économique. D'où cette interrogation lancinante : pourquoi ne pas adopter le mécanisme en droit interne ? Reste que la transposition d'un tel modèle n'est pas chose évidente, tant la fiducie semble prendre des formes singulières dans les différents ordres juridiques. La variante de la fiducie que constitue le trust du droit anglais ne rend pas compte, par exemple, de toutes les potentialités du mécanisme ; reste également -et d'aucuns le regretteront- que la version française, telle qu'elle ressort de la loi du 19 février 2007 instituant la fiducie, est encore plus marquée par l'incomplétude. En effet, alors que les objectifs de Monsieur le sénateur Marini (4) étaient vastes, force est de constater que le texte définitif est singulièrement limité au plan du droit commun, même s'il offre -par compensation- de larges perspectives en matière financière. Les aspects du texte visant l'utilisation du mécanisme pour protéger les personnes physiques en difficulté ont, en effet, disparu et le texte définitif ne semble viser qu'à rendre la législation française plus attractive et, notamment, à empêcher des délocalisations de certains montages juridiques à l'étranger.

Sans doute, cette frilosité apparente tient-elle au caractère profondément dérogatoire de la notion (I) ainsi qu'à son utilité limitée, alors que des mécanismes de substitution ont été mis en place, de longue date, pour compenser son absence en droit français. Ainsi, nous attacherons-nous, en dehors des aspects civilistes (5) ou fiscaux du texte, qui seront, ou ont déjà été développés à d'autres occasions, à mesurer sa portée en droit des affaires (II) afin de déterminer si le contrat en cause peut être appelé à se substituer à certaines opérations du droit commercial, voire, à la constitution de certaines sociétés.

I - Une notion profondément dérogatoire au regard du droit commun

Affirmer que la fiducie est utile (A) semble relever du truisme, mais encore faut-il souligner que son introduction tardive dans l'ordre juridique se justifie par un ensemble de données historiques et pratiques qui sont encore susceptibles d'expliquer les limitations (B) récemment imposées par le législateur.

A - De l'utilité de la fiducie : une opération particulière

On ne saurait évoquer une définition de la fiducie sans en revenir à la thèse de référence sur la question que l'on doit à C. Witz, qui y voyait "l'acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, rendue titulaire d'un droit patrimonial, voit l'exercice de ce droit limité par une série d'obligations, parmi lesquelles figure généralement celle de transférer le droit au bout d'une certaine période soit au fiduciant, soit à un tiers bénéficiaire" (6). La notion, dans la présentation qui en a été parfois faite, a semblé, un temps, dans le cadre de la communication gouvernementale, s'écarter de ce modèle théorique. Celle-ci a, en effet, été décrite comme "un contrat par lequel une personne le constituant transfère la propriété de biens ou de droits à une autre personne le fiduciaire et lui donne mission de les gérer dans un but déterminé, au profit d'un ou de plusieurs bénéficiaires" (7). La conception de la fiducie est ainsi apparue, un bref instant, éloignée de l'axe vers lequel la doctrine l'avait orienté. Ainsi, alors que de nombreux auteurs doutaient de la réalité (au sens du droit commun) du transfert de propriété du bien au fiduciaire, le Gouvernement semblait opérer le choix inverse.

Le texte sur la fiducie n'en est pas moins revenu à davantage d'orthodoxie. Un bref examen du texte instituant un mécanisme comparable au Luxembourg ainsi que des différents projets élaborés en droit interne démontrent, incontestablement, l'embarras du législateur devant la constitution d'une "propriété ad tempus" (8). Ainsi, au Luxembourg, le règlement grand-ducal dispose en son article 2 que "le fiduciaire sera rendu titulaire de droits patrimoniaux", alors que le projet de loi précédent (un de ceux qui n'a jamais abouti) se proposait d'introduire dans le Code civil la disposition selon laquelle "le constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits", sans mentionner expressément la propriété. D'où l'affirmation d'éminents auteurs selon laquelle la propriété transférée n'est pas la propriété ordinaire (9), mais une propriété fiduciaire qu'on a pu décrire de la façon suivante : "ce n'est pas une propriété-actif' (le fiduciaire ne reçoit rien à l'actif de son patrimoine), mais seulement une propriété-fonction' (il reçoit les pouvoirs aptes à assurer sa mission)" (10).

C'est cet ensemble d'idées qui est réunie dans le texte finalement voté et qui est combiné dans le Code civil, notamment, aux articles 2011 et 2012. Le premier de ces textes dispose que "la fiducie est l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires". Aux termes du second, "la fiducie est établie par la loi ou par contrat. Elle doit être expresse".

Ainsi la fiducie répond-elle, en premier lieu, au terme ambigu "d'opération", ce qui suppose l'existence d'un dessein plus vaste que celui que déterminerait un simple contrat. La fiducie pourrait être imaginée, de la sorte, comme le maillon d'un enchaînement d'actes juridiques supposant des motivations économiques complexes.

La fiducie opère, en deuxième lieu, transfert de "biens, de droits ou de sûretés" et non explicitement de propriété. Se trouve, ainsi, consacrée l'idée de l'existence d'une "propriété fonction", ce que confirme, d'ailleurs, la fin de l'article 2011 qui établit que le ou les fiduciaires tiennent les biens, droits ou sûretés transférés "séparés de leur patrimoine propre". Ceci suppose, en référence à la théorie du patrimoine, qu'ils n'en sont pas propriétaires (11), au sens traditionnel du terme, car ce ne sont pas leurs biens qu'ils gèrent mais ceux du constituant (dit "fiduciant", auparavant).

La fiducie, en troisième lieu, impose au fiduciaire d'agir dans un but déterminé, ce qui attache à la notion certaines caractéristiques du mandat, qui l'éloignent encore de la propriété traditionnelle.

A ce stade, surgit l'interrogation de l'utilisation de cette opération dans le cadre du droit des affaires comme une alternative au recours à des mécanismes voisins. Sans qu'on puisse véritablement évoquer de régime commun, il apparaît, en effet, que la fiducie emprunte certains traits à des formes sociales contractuelles, telle que la société en participation et que, par ailleurs, l'affectation patrimoniale spécifique des biens permet d'envisager la mise en place de montages sécurisés en dehors de tout cadre sociétaire.

Au-delà de cette approche intuitive, l'examen des limites, apportées par le législateur à l'emploi de la fiducie, ne saurait que conforter l'idée qu'il s'agit bien d'une "opération" d'une nature particulière, qui ne saurait qu'être rattachée au droit des affaires, et en aucun cas au droit commun.

B - Les limitations de la fiducie : une opération de droit spécial

Dans le régime proposé par le Gouvernement, le choix a été de faire du principe de liberté contractuelle, le substratum de ce contrat et ce principe n'aura, sans doute, pas été sans effet quant à la limitation du mécanisme. En effet, on ne saurait que poser des limitations à l'utilisation d'un outil juridique susceptible de donner aux parties la faculté d'organiser leur relation fiduciaire sans encadrement par l'ordre public et, notamment, de ne pas contrôler la destination des biens et des droits transférés.

Sur ce point, d'ailleurs, l'histoire attachée à l'évolution de la fiducie éclaire bien les enjeux économiques qui y sont attachés. Ainsi, il apparaît que si les rédacteurs du Code civil n'ont pas souhaité pérenniser cette institution, c'était en raison des aspects négatifs que l'opération emportait au plan social. En effet, la pratique, dans l'ancien droit, des substitutions fidéicommissaires, qui contraignaient l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à les transférer à son décès à un tiers désigné, avait pour objet de rendre les biens inaliénables pendant des générations successives. Comme elles permettaient de concentrer le patrimoine au sein de familles aristocratiques, elles furent prohibées par une loi du 14 novembre 1792 (12). Plus près de nous, l'institution du trust anglo-saxon a joué lui, en quelque sorte, un rôle de repoussoir quant à l'éventuelle transposition d'un mécanisme ressenti, de ce côté de la Manche, comme un montage caractérisé par son opacité.

Pour autant, la réception de la fiducie en droit interne apparaît inéluctable, ainsi qu'en atteste l'édiction par la Commission européenne de règles de best practice, le 2 mai 2003. Dans celles-ci, figure un contrat-type de trust, destiné à favoriser les concentrations d'entreprises soumises au contrôle communautaire, ce contrat-type permettant de réaliser les cessions d'actifs exigées par la Commission.

La fiducie en était-elle, pour autant, un outil indispensable que le droit interne aurait ignoré à tort ? C'est oublier que de nombreux mécanismes civilistes permettent, déjà, de remplir les fonctions de la fiducie au profit des particuliers et que l'extension de son champ d'application aux personnes physiques aurait risqué de provoquer des recoupements avec des institutions voisines.

Ainsi, M. Xavier de Roux devait-il souligner, lors de son rapport à l'Assemblée nationale, que "de nombreuses techniques combinées permettent de retrouver certains avantages de la fiducie. On citera à cet égard les donations-partages, les donations ou legs de résidence, l'usufruit successif, les donations sous conditions suspensives ou encore les rentes viagères. Surtout, la consécration récente du mandat posthume, à l'article 812 du Code civil (N° Lexbase : L9905HN8), ainsi que des libéralités graduelles et résiduelles, respectivement aux articles 1048 (N° Lexbase : L0208HPE) et 1049 (N° Lexbase : L0209HPG) du même code, par la loi du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités [loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4], rend moins attractive encore la fiducie à fin de transmission" (13).

Ce contexte particulier et, notamment, le caractère récent des réformes introduites en matière de droit des successions et des libéralités, explique l'économie du texte, et qu'il ait été jugé inutile pour les personnes physiques. Il est, également, apparu dangereux en tant qu'il offrait la faculté d'ouvrir aux particuliers la possibilité de dissimuler une partie de leur patrimoine, d'en figer la transmissibilité et, plus largement, de faire naître des situations dans lesquelles la constitution d'une fiducie risquerait d'entrer en conflit avec un ensemble de règles d'ordre public de protection. Diverses considérations fiscales ont, enfin, définitivement scellé son champ d'application aux seules entités collectives. C'est pourquoi, la fiducie se trouve restreinte de façon drastique, répondant de façon minimaliste aux contraintes imposées par la commission et, notamment, ne pourra, pour l'instant, bénéficier exclusivement qu'aux personnes morales.

Ainsi, la première limitation d'importance concerne l'impossibilité de recourir à la fiducie si le "contrat procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire", aux termes de l'article 2013 nouveau du Code civil. On le voit, le nouveau texte s'ancre résolument dans la tradition juridique française avec le rejet de mécanismes comparables à la fidéicommission et frappe, en conséquence, les contrats animés d'une intention libérale de nullité.

La deuxième limitation majeure, qui ressort de l'article 2014 du Code civil, prévoit que seules les personnes morales soumises de plein droit à l'impôt sur les sociétés peuvent être constituants, ce qui exclut toutes les petites entités relevant d'un régime optionnel. Le texte précise, au surplus, que les droits du constituant, ainsi créés, ne sont transmissibles à titre gratuit ou cessibles à titre onéreux qu'à des personnes morales également soumises au même régime d'imposition.

Enfin, la troisième limitation, posée à l'article 2015, consiste à restreindre la qualité de fiduciaires aux seuls établissements de crédit mentionnés à l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9477DYN), les institutions et services énumérés à l'article L. 518-1 du même code (N° Lexbase : L9329HDU), les entreprises d'investissement mentionnées à l'article L. 531-4 du même code (N° Lexbase : L4175APC) ainsi que les entreprises d'assurance régies par l'article L. 310-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0312AAS).

C'est ainsi que le domaine de la fiducie se trouve strictement cantonné aux relations financières et ne permet que de constituer une relation triangulaire destinée à unir -principalement- les sociétés et les banques. Dans ce cadre, on peut difficilement imaginer que l'opération renvoie, comme dans la théorie, à toutes les manifestations traditionnelles de la fiducie. Au titre de ces dernières, émergent, notamment, ses applications les plus courantes : d'une part, celle de la fiducie-sûreté qui permet de remettre entre les mains du créancier-constituant les biens faisant office de garantie, le créancier pouvant, en cas de défaillance, transférer les biens situés dans le patrimoine d'affectation vers son patrimoine personnel. Elle renvoie, d'autre part, à la situation de fiducie-gestion qui permet à des personnes capables d'être déchargées de la gestion de leur patrimoine en l'attribuant à une personne de confiance (14). C'est pourquoi, ce rôle traditionnel doit être apprécié en considération exclusive des potentialités qu'il offre en droit des affaires.

II - Les applications de la fiducie

Indépendamment des autres dispositions de la loi qui régissent, notamment, la publicité ainsi que l'opposabilité du contrat de fiducie aux tiers (et qu'il n'est pas lieu de développer dans cette brève étude), il apparaît que l'opération est susceptible de remplir deux catégories de fonctions : d'une part, substituer le régime d'un contrat nommé à des pratiques sui generis (A) et, d'autre part, offrir une alternative à la constitution de certains types de sociétés (B).

A - La substitution de la fiducie au portage

La première application de la fiducie qui vient à l'esprit, compte tenu des limitations du texte, consiste à utiliser ce contrat pour réaliser des conventions de portage. Le portage s'entend, en effet, d'une convention par laquelle une personne, le porteur, devient propriétaire des droits sociaux, le cédant s'engageant à les lui racheter à un montant déterminé, généralement majoré. Or, la conclusion de ces accords est complexe, puisqu'elle impose qu'y soient adjointes des promesses croisées de vente et d'achat pour que l'opération soit sécurisée. Pis encore, la qualification juridique de ces opérations est longtemps restée incertaine lorsqu'on a tenté de les rattacher à des contrats nommés tel le prêt, et avec la même incertitude lorsqu'on les a analysés comme de pures prises de participation.

En pratique, en cas de lacune du contrat de portage, l'absence d'encadrement juridique d'un mécanisme laisse encore les parties à la merci de la qualification judiciaire, cette dernière s'appuyant sur l'objet de la convention pour déterminer le régime applicable à l'opération. Sans doute, dans un régime de liberté contractuelle, doit-on considérer, comme le fait d'ailleurs le juge, que le contrat de portage est valide en principe mais, s'agissant de la sécurité juridique, l'utilisation aux mêmes fins de l'opération de fiducie peut paraître -il est vrai, pour l'instant, au seul plan théorique- largement préférable.

On sait, en effet, que le portage peut être réalisé pour des raisons diverses et que la diversité de ces raisons peut éventuellement conduire à orienter la qualification judiciaire. En l'espèce, on considère, en général, que l'opération répond à trois types de préoccupations : mettre à part un bloc de titres en vue de son reclassement futur, dissimuler l'identité de l'acquéreur réel en faisant porter des titres que le porteur s'engage à céder de nouveau au moment opportun (portage-acquisition) ou offrir une garantie à l'organisme financier, qui a financé l'acquisition, les titres correspondant au financement (portage-sûreté). D'autres finalités peuvent, certes, être poursuivies mais il apparaît qu'en pratique, ces trois types de motivations sont déterminantes.

Ainsi, si l'on s'en tient à ce champ d'application limité du portage, il apparaît immédiatement que dans deux de ces fonctions, le recours à la fiducie pourrait s'imposer.

D'une part, s'agissant du portage destiné à neutraliser un bloc de titres, un corollaire peut être fait avec la fiducie-gestion, qui était évoquée plus avant, avec l'avantage incontestable que présente la fiducie sur le portage dans l'hypothèse d'une procédure collective frappant le cessionnaire : les titres étant détenus dans le cadre d'un patrimoine d'affectation, ils ne sauraient constituer la garantie des autres débiteurs. En effet, l'article 2024 du Code civil dispose, désormais, que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire. L'article 2025 dispose, par ailleurs, que le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. On pourrait rétorquer que le rôle du fiduciaire se trouve, dans cette situation, réduit à une attitude passive, difficilement comparable à une gestion active, telle qu'a pu la décrire la doctrine. C'est, cependant, sans envisager la liberté contractuelle quasi-absolue qui caractérise le contenu du contrat de fiducie contemporain et la volonté du législateur, largement révélée par les travaux préparatoires (et matérialisée par le caractère laconique du texte) de ne pas enchâsser le contenu du contrat de fiducie dans un ordre public trop strict. Dans un contexte où l'opération est limitée au domaine financier, il suffit de cette restriction au champ d'application de la convention pour justifier, les conventions étant conclues entre personnes particulièrement avisées, d'une quasi-absence de protection.

D'autre part, et c'est là la seconde application du contrat de fiducie, l'opération de portage-sûreté semble, également, pouvoir être réalisée dans le cadre d'une relation entre constituant et fiduciaire. C'est d'ailleurs l'application qui, sans doute, trouvera le plus rapidement des applications.

En revanche, le recours au mécanisme de la fiducie pour réaliser des opérations de portage-acquisition, qui sont motivées essentiellement par la recherche d'une certaine discrétion, semble exclu, en raison de la confidentialité qui est censée entourer ces opérations. En effet, la nouvelle loi comporte de nombreuses dispositions en matière de publicité, dispositions qui tendent à garantir de la façon la plus complète, la connaissance de la fiducie par les tiers.

A ce titre, l'article 2018 du Code civil prévoit que le contrat de fiducie détermine, à peine de nullité : les biens, droits et sûretés transférés, la durée du transfert (qui n'excèdera jamais 33 ans), les identités du ou des constituants, du ou des fiduciaires et des bénéficiaires. La mission du ou des fiduciaires devra être précisée. Les conditions relatives au contenu étant remplies, l'article 2019 impose, ensuite, l'enregistrement du contrat de fiducie et de ses avenants dans le mois qui suit la conclusion du contrat au service des impôts, le troisième alinéa du même article ajoutant que la transmission des droits résultant du contrat de fiducie (soit son dénouement) doit, à peine de nullité, donner lieu aux mêmes formalités. Pour ce faire, il sera créé, en vertu de l'article 2020, un registre national des fiducies selon des modalités précisées par décret en Conseil d'Etat. On se persuadera, donc, qu'au regard de ces dispositions, les opérations de portage-acquisition se dérouleront encore dans le cadre des contrats de portage innommés dénués de régime spécifique.

Deux remarques méritent, ici, d'être opérées. D'une part, si les mécanismes de portage devaient, désormais, essentiellement être mis en oeuvre sous le régime de la fiducie, le contrat de portage, en lui-même, risquerait de subir un certain discrédit dès lors, qu'en pratique, il ne présenterait qu'un seul intérêt : masquer l'identité de l'acquéreur de titres à l'égard de tiers. D'autre part, et ce point a été évoqué expressément lors des travaux préparatoires, le transfert des titres, comme d'ailleurs le transfert exclusif de droit de vote, ne peut être que d'une portée limitée et, notamment, ne présenter d'utilité que pour les sociétés non cotées. En effet, dans l'appréciation de l'action de concert, l'article L. 233-9, I, 6° du Code de commerce (N° Lexbase : L3892HBR) assimile, aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L. 233-7, "les actions ou les droits de vote possédés par un tiers avec lequel cette personne a conclu un accord de cession temporaire portant sur ces actions ou droits de vote".

Le portage ne peut, de la sorte, permettre à une personne de s'affranchir des obligations déclaratives en matière de franchissement de seuils lorsque les titres détenus sont représentatifs du capital d'une société admise à la négociation sur un marché d'instruments financiers. Sur ce point, la situation visée par le texte s'adapte indistinctement à la situation du portage comme à celle de la fiducie.

B - La substitution de la fiducie aux pools bancaires

Reste à s'interroger sur l'alternative que la fiducie offre, eu égard à la nécessité devant laquelle sont parfois confrontées les banques, de constituer des sociétés afin de sécuriser la constitution de pools bancaires, dont l'objectif est de répartir le risque présenté par un emprunteur entre différents établissements de crédit (15). Dans ce cadre, l'administration des crédits est confiée à un établissement, chef de file du consortium, dans des conditions qui n'appellent pas, selon la formule d'un auteur, le recours à "une figure contractuelle déterminée" (16). La syndication (selon le terme consacré) semble, ainsi, pouvoir reposer sur un encadrement par le seul contrat, ce que la jurisprudence confirme en s'appuyant sur le fait que le consortium, dépourvu d'organe d'expression collective (17), ne peut être considéré (18) comme étant doté de la personnalité morale.

Reste que la sécurité juridique impose d'encadrer ces pratiques, la jurisprudence (19) retenant deux qualifications pour les pools bancaires, précisant qu'il s'agit, en principe, de sociétés créées de fait (20), mais que, par exception, et à la condition que ses membres en aient convenu, le groupement "peut" être qualifié de société en participation.

Or, ce rattachement apparaît davantage être le fruit de la recherche d'un régime (unique puisque les sociétés créées de fait et les sociétés en participation sont soumises aux mêmes règles de fonctionnement et de liquidation) susceptible d'être appliqué à un type d'opération particulier qu'une qualification véritable, celle qui traditionnellement vise à rattacher une convention innomée à un contrat nommé. Il est vrai, par ailleurs, que la société en participation procède davantage du contrat que de la société. Ainsi, l'article 1871 du Code civil (N° Lexbase : L2069ABA) prévoit que "les associés peuvent convenir que la société ne sera pas immatriculée", et que, dans ce cas, ils conviennent librement de l'objet, du fonctionnement et des conditions de la société en participation, sous réserve du respect des dispositions d'ordre public. Sur ce plan, tout le moins, la constitution d'une société sur le fondement de mécanismes contractuels permet de répondre aux préoccupations de souplesse, de facilité de constitution et de légèreté de gestion qu'offre une structure dépourvue de la personnalité morale. Ces avantages ont, toutefois, pour pendant un certain nombre d'inconvénients qui tiennent précisément au fonctionnement contractuel et opaque d'une entité collective à laquelle sont affectés des biens communs.

C'est ainsi, qu'aux termes de l'article 1872 (N° Lexbase : L2071ABC), chaque associé reste propriétaire, à l'égard des tiers, des biens qu'il met à la disposition de la société, alors que l'article 1872-1 (N° Lexbase : L2072ABD) prévoit, lui, que chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Ce régime conduit, ainsi, à des distorsions inévitables puisque le gérant de la société use des biens des associés -sauf exception- comme de ses biens propres aux yeux des tiers, alors qu'il n'en est pas propriétaire. Le problème se pose, plus particulièrement, lorsque le gérant excède ses pouvoirs de gestion (21). Pis encore, puisque le juge subordonne l'existence d'une société à la réunion de ses éléments constitutifs, on peut envisager que le régime, au demeurant insuffisamment protecteur, soit au surplus écarté, au profit, éventuellement, de celui de l'indivision en application de l'article 1872 du Code civil (22). Le risque le plus important demeure, enfin, que le chef de file, gérant de la société en participation connaisse une défaillance, les biens de la société constituant un gage apparent pour les créanciers.

La situation d'un pool bancaire organisé en fiducie pose, en revanche, largement moins de problèmes que sa constitution sous forme d'une société en participation. D'une part, en raison de l'existence d'un patrimoine d'affectation identifié au plan comptable et faisant l'objet d'une publicité, à la fois à la constitution et à la sortie de la fiducie. D'autre part, en raison de la détermination précise et spécifiée à l'acte des pouvoirs du gérant, complétés par la disposition explicite de la loi qui établit, en son article 2026, que le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Proposition de loi, présentée par le sénateur Philippe Marini.
(2) Compte rendu intégral de la séance du 7 février 2007 devant l'Assemblée nationale.
(3) A. Bureau, Le contrat de fiducie : étude de droit comparé Allemagne, France, Luxembourg, Juripole de Lorraine : "D'origine romaine, la fiducia se présentait sous la forme d'un pacte (pactum fiduciae) adjoint à un transfert temporaire de propriété. On la retrouve dans notre Ancien Droit, où elle se manifestait timidement sous la forme des substitutions fidéicommissaires, lesquelles obligeaient l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à les retransférer à son décès à un tiers désigné d'avance".
(4) V. M.-E. Mathieu, Vers un contrat de fiducie dans le Code civil ? (aspects de droit civil de la proposition de loi sur la fiducie), Lexbase Hebdo n° 160, du 24 mars 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N2228AID).
(5) M.-E. Mathieu, préc..
(6) Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, Economica, Paris 1981, p. 15.
(7) Présentation du texte à l'assemblée par M. Breton.
(8) Pour un bref exposé, v. A. Bureau, op. cit..
(9) M. Grimaldi, La fiducie : réflexions sur l'institution et sur l'avant projet qui la consacre, Defrénois 1991, art. 35085, spéc. n° 6 et s..
(10) A. Bénabent, La fiducie (Analyse d'un projet de loi lacunaire), JCP éd. N., 1993, I.
(11) Aubry et Rau, Cours de droit civil français : "l'universalité juridique [des] droits réels et des droits personnels proprement dits [d'une personne] en tant qu'on envisage les objets sur lesquels ils portent sous le rapport de leur valeur pécuniaire, c'est à dire comme des biens".
(12) V. Cl. Witz, op. cit., p. 42, n° 44.
(13) Rapport n° 3655, déposé le 1er février 2007 par M. Xavier de Roux.
(14) M.-E. Mathieu, op. cit..
(15) Il s'agit, en fait, d'une opération de clientèle déterminée (en ce sens, T. Bonneau, Droit Bancaire, Montchrestien, 2ème éd., n° 777) qui, portant sur un crédit trop important ne peut être accordé que par un consortium (v. J.-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, Dalloz, 6ème éd., n° 388) et dont l'organisation est indéfiniment variable (v. J. Devèze, A. Couret, G. Hirigoyen, Lamy droit du financement, n° 2561).
(16) J.-J. Daigre, Bull. Joly, 1997, § 140, n ° 2, sous Cass. com., 17 décembre 1996, n° 94-19.489, Mme Pascual-Homont c/ Crédit fécampois et autres (N° Lexbase : A6183AWW).
(17) Sur les arrêts de principe, Req., 23 février 1891, D., p. 91, 1, 337, S. 92.1.73, n. Meynal ; Cass. civ. 2, 28 janvier 1954, n° 54-07.081, Comité d'entreprise des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt c/ Ray, publié (N° Lexbase : A2624CKE), Bull. civ. II, n° 32, D., 1954, 2, p. 217, n. Levasseur ; v. F. Terré,Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 9ème éd., n° 14-15 ; adde, Cass. soc., 23 janvier 1990, n° 86-14.947, Société Bendix Electronics c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et autres (N° Lexbase : A9721AAB), Rev. sociétés, 1990, p. 144, n. R. Vatinet ; Cass. soc., 17 avril 1991, n° 89-17.993, Syndicat CFDT Métaux Fos et autres c/ Société Solmer et autres (N° Lexbase : A4641ABI), JCP éd. G, 1992, II, n° 21856, J.-B. Blaise.
(18) Cass. com., 17 décembre 1996, préc..
(19) T. com. Paris, 12 octobre 1984, 1ère espèce, D., 1984, somm. p. 131, obs. M. Vasseur, confirmé par CA Paris, 5 mai 1987, D. 1989, somm., p. 323, obs. M. Vasseur et CA Paris, 17 décembre 1987, RD bancaire et bourse 1994, p.11.
(20) J.-P. Dom, JCP Banque et crédit, traité, fasc. 151, n° 14 ; contra, J. Valanssan et L. Desmorieux, Société en participation et société créée de fait, Traité de droit des sociétés, GLN Joly, éd. 1996, n° 108, au motif que, comme dans la société en participation seuls ceux qui se sont engagés envers les tiers sont obligés, à l'image du fonctionnement des "pools".
(21) J.- P. Storck, JCP éd. E., 2001 p. 1677, sous Cass. com. 27 mars 2001, n° 98-22.828, Société financière immobilière(SFI) c/ Crédit industriel et commercial (CIC) de Paris, FS-P (N° Lexbase : A0939ATX). Sur le même arrêt, J.-B. Lenhof, La notion d'intérêt social à l'épreuve de l'absence de personnalité morale des sociétés gérant des "pools" bancaires, Les petites affiches, n° 215, 29 octobre 2001, pp. 7-11.
(22) C. civ., art. 1872 : "A l'égard des tiers, chaque associé reste propriétaire des biens qu'il met à la disposition de la société.
Sont réputés indivis entre les associés les biens acquis par emploi ou remploi de deniers indivis pendant la durée de la société et ceux qui se trouvaient indivis avant d'être mis à la disposition de la société.
Il en est de même de ceux que les associés auraient convenu de mettre en indivision.
Il peut en outre être convenu que l'un des associés est, à l'égard des tiers, propriétaire de tout ou partie des biens qu'il acquiert en vue de la réalisation de l'objet social
".

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