Lecture: 6 min
N3276BAL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Propos recueillis par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Sophie Guérémy : Font l'objet d'une protection spécifique contre toute forme de discrimination syndicale tous les salariés ayant une activité syndicale. Ainsi, il faut que soit caractérisée l'appartenance syndicale du salarié pour que ce dernier jouisse d'une protection spécifique. En pratique, sont donc bénéficiaires de cette protection les salariés exerçant un mandat de délégué syndical et les salariés syndiqués. Ne sont pas visés par cette protection les délégués du personnel et les membres élus du comité d'entreprise s'ils ne sont pas rattachés à un syndicat.
En outre, la protection commence à jouer dès que le salarié est syndiqué. Elle s'applique de son embauche jusqu'à son départ de l'entreprise.
Lexbase : Quels sont les textes applicables en matière de discrimination ?
Sophie Guérémy : Le socle juridique de la discrimination syndicale est relativement solide puisque l'on trouve, en la matière, des textes aussi bien à l'échelle européenne que nationale. Sur le plan communautaire, sont applicables la convention internationale du travail n° 87 de l'OIT, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et une Directive du Conseil de l'Union européenne du 27 novembre 2000 (Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4).
Sur le plan national, sont applicables le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), repris par le préambule de la Constitution de 1958, les articles L. 411-5 (N° Lexbase : L6307ACL), L. 412-1 (N° Lexbase : L6326ACB), L. 412-2 (N° Lexbase : L6327ACC), L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) ainsi que les articles 225-1 (N° Lexbase : L3332HIA) et 225-2 (N° Lexbase : L0449DZN) du Code pénal. De plus, l'employeur doit respecter le principe "A travail égal, salaire égal".
Lexbase : Par rapport à qui peut-il y avoir discrimination et comment celle-ci se manifeste-t-elle ?
Sophie Guérémy : La comparaison est effectuée par rapport à des salariés placés dans la même situation que le salarié qui s'estime victime de discrimination, qui ont la même qualification, la même ancienneté et qui exercent des fonctions similaires dans l'entreprise. La discrimination se manifeste, généralement, dans le déroulement de la carrière du salarié concerné ; celui-ci peut ne bénéficier d'aucune évolution de carrière, percevoir une rémunération moindre ou, encore, être lésé en matière d'avantages sociaux ou de formation.
Lexbase : Existe-t-il un type d'entreprises où l'on rencontre plus souvent des affaires de discrimination ?
Sophie Guérémy : Les grandes entreprises sont le plus souvent concernées. En effet, l'effectif requis pour qu'un délégué syndical puisse être désigné est de 50 salariés au moins. En outre, les syndicats sont généralement mieux implantés dans les grands groupes que dans les petites et moyennes entreprises. Certaines grandes entreprises concluent, d'ailleurs, des accords conventionnels de réaménagement des rattrapages, dont l'objectif est d'anticiper les risques de procès dans l'entreprise. Il s'agit, plus précisément, d'accords transactionnels dans lesquels l'employeur constate un différentiel de rémunération au préjudice du salarié titulaire d'un mandat syndical, après avoir établi un panel de références en comparaison avec des salariés placés dans des fonctions identiques. S'il s'avère qu'une différence est constatée, il est proposé le versement de la somme déterminée, après étude du panel et destinée à compenser cette différence. Il s'agit d'une tentative de transaction hors procédure de licenciement ou mise à la retraite. Les difficultés vont naître si le salarié refuse de signer cette transaction et décide de saisir les juridictions.
Lexbase : Quelle a été l'évolution du régime de la preuve en matière de discrimination syndicale ?
Sophie Guérémy : Depuis un arrêt du 28 mars 2000 (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-45.258, M. Fluchère et autres c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF) N° Lexbase : A6368AGX), la Cour de cassation retient une solution que nous estimons juste et structurée en matière de preuve de la discrimination syndicale. Il appartient au salarié syndicaliste, qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat. Autrement dit, le salarié doit établir un panel de comparaisons avec ses collègues placés dans la même situation, ayant la même qualification, la même ancienneté et exerçant des fonctions similaires. A l'employeur d'établir, ensuite, que ces différences de traitement reposent sur un motif objectif. A défaut, ce dernier sera condamné pour discrimination syndicale.
La preuve est allégée pour le salarié. L'employeur, quant à lui, doit apporter la preuve difficile de ce que la différence de traitement repose sur des éléments objectifs. La différence de traitement devra être justifiée par des motifs d'ordre strictement professionnels. Ce mode de preuve a, d'ailleurs, été repris à l'article L. 122-45, alinéa 4, du Code du travail. L'employeur ne peut pas invoquer l'indisponibilité du salarié pour justifier la différence de traitement. Il doit établir, pour justifier ce différentiel, que le salarié exerçant une mission syndicale est moins performant que ses collègues non impliqués dans la vie syndicale de l'entreprise et placés dans la même situation. Or, la frontière est ici ténue et le dérapage vite arrivé... L'employeur doit donc rester vigilant.
Il doit nécessairement s'appuyer sur des éléments objectifs (ancienneté, performance). Cependant, les salariés titulaires d'un mandat syndical sont, de fait, placés dans une situation différente de celle des autres salariés, puisqu'ils bénéficient d'un crédit d'heures et sont donc moins disponibles que les autres. Il faudrait, par conséquent, envisager un réaménagement du statut des salariés exerçant une mission syndicale, tenant compte de la période du mandat.
Lexbase : Que pensez-vous de l'application de la prescription trentenaire à la discrimination syndicale ?
Sophie Guérémy : La Cour de cassation retient, depuis longtemps, l'application de la prescription trentenaire de droit commun à l'action en réparation d'un préjudice résultant d'une discrimination syndicale. Le principe a été rappelé dans une décision hautement publiée du 15 mars 2005 (Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2741DHY ; lire les obs. de Ch. Radé, L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2499AIE). Des arrêts plus anciens, mais non publiés au Bulletin, excluaient déjà l'application de la prescription quinquennale à l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.472, Société Renault véhicules industriels c/ Mme Micheline Bujard, inédit N° Lexbase : A9860ATD ; dans le même sens, Cass. soc., 30 janvier 2002, n° 00-45.266, Société Peugeot Citroën automobiles (PCA) c/ M. Jean-Claude Travel, F-D N° Lexbase : A8781AXI). Une proposition de loi du 15 octobre 2003 visait à réduire à 5 ans la prescription applicable aux actions en justice fondées sur une discrimination syndicale, mais celle-ci n'a pas abouti à ce jour.
Or, l'application de la prescription de droit commun, de 30 ans, est, selon nous, inique. En effet, le salarié réclame toujours un rattrapage de salaires ainsi que des dommages-intérêts, réparant, le plus souvent, un préjudice moral. Il conviendrait donc, ici, de procéder à une ventilation des sommes et d'appliquer, d'une part, la prescription quinquennale des salaires de l'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4) aux rattrapages des salaires proprement dit et, d'autre part, la prescription trentenaire de droit commun de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) aux dommages-intérêts. De plus, la preuve est concrètement très difficile à rapporter pour l'employeur. Tout d'abord, le travail de récupération des pièces et documents s'avère excessivement fastidieux sur une aussi longue période. En outre, il est possible qu'il se heurte à une impossibilité définitive de retrouver certains documents. Il lui sera, de ce fait, très difficile de retracer le déroulement de carrière du salarié concerné.
Lexbase : Que pensez-vous de l'arrêt récent de la Chambre criminelle qui permet au salarié d'agir à la fois sur le terrain de la discrimination et sur celui du harcèlement moral pour sanctionner des mêmes agissements ? (Cass. crim., 6 février 2007, n° 06-82.601, F-P+F N° Lexbase : A3111DUR)
Sophie Guérémy : La discrimination syndicale et le harcèlement moral doivent être bien distingués, la première affecte l'évolution de la carrière du salarié et le second consiste en des pressions et agissements répétés dont peut être victime un salarié et qui conduisent à une dégradation de ses conditions de travail. Dans le cas soumis à la Cour de cassation, l'appartenance syndicale du salarié était source de brimades, et reconnue en tant que telle comme harcèlement moral. Les mêmes faits étaient, également, reconnus comme constitutifs d'infraction d'entrave à l'exercice du droit syndical.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:273276