Réf. : Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, Société Publications Pierre Johanet, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat, ni son paiement intervenir avant la rupture. |
Décision
Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, Société Publications Pierre Johanet, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 11 octobre 2005, n° 04/38541, Société Publications Pierre Johanet c/ Mme Michelle Hardy N° Lexbase : A2104DLI) Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI). Mots-clefs : clause de non-concurrence ; contrepartie financière ; montant ; modalités de versement. Liens bases : ; . |
Faits
1. Mme Hardy a été engagée à compter du 10 juin 1996 par la société Pierre Johanet et fils éditeurs en qualité de VRP. Par avenant du 10 février 1998, elle a été nommée, à effet du 1er février 1998, directrice de la clientèle, responsable de la prospection et du développement. Son contrat de travail, non modifié sur ce point par l'avenant, comportait une clause de non-concurrence d'une durée de 2 ans pour une ancienneté supérieure à 5 ans qui stipulait : "cette clause correspond à 7 % de votre salaire et se trouve incluse dans votre fixe et dans les taux de commissions exprimés ci-dessus". Mme Hardy, licenciée le 27 février 2002, a saisi la juridiction prud'homale, notamment, d'une demande de dommages-intérêts pour avoir respecté la clause de non-concurrence nulle. 2. La cour d'appel de Paris a condamné la société Publications Pierre Johanet, qui vient aux droits de la société Pierre Johanet et fils éditeurs, à payer à Mme Hardy la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence et l'a déboutée de sa demande en remboursement de la contrepartie de la clause de non-concurrence. |
Solution
1. "La contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi ; [...] son montant ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat ni son paiement intervenir avant la rupture". "Qu'il en résulte que la cour d'appel a, à bon droit, annulé la clause litigieuse". 2. "Par ces motifs : rejette le pourvoi ; condamne la société Publications Pierre Johanet aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), condamne la société Publications Pierre Johanet à payer à Mme Hardy la somme de 2 500 euros". |
Commentaire
1. Le montant de la contrepartie financière
La Cour de cassation exige, depuis 2002, que la clause de non-concurrence soit, à peine de nullité, assortie d'une contrepartie financière (1). A l'occasion de la redéfinition des nouvelles conditions de validité de ces clauses, la Cour de cassation avait affirmé "qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives", puis avait rappelé, quelques semaines plus tard, que la clause devait permettre au salarié "de retrouver un emploi conforme à son expérience professionnelle" (2). C'est cette dernière exigence que rappelle, en premier lieu, l'arrêt commenté : "la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi" (3).
Très tôt, la question du montant exigé de cette contrepartie s'est posée. Dans un certain nombre d'hypothèses, ce montant est fixé par accord collectif. Certes, cela ne signifie pas que ce montant conventionnel est suffisant, mais cette présence est de nature à limiter le contentieux. Ce montant conventionnel s'appliquera y compris si les parties ont, dans le contrat de travail du salarié, renvoyé à l'accord collectif pour déterminer le régime de la clause (4). A défaut de fixation conventionnelle, seul un accord des parties est de nature à sauver la clause stipulée, à l'origine, sans contrepartie financière ; l'employeur ne peut pas, en effet, l'imposer au salarié, car il s'agirait alors d'une modification unilatérale du contrat de travail (5).
L'appréciation du montant de la contrepartie relève logiquement du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (6). La Cour de cassation a simplement pris la peine de préciser que le montant de clause ne devait pas être dérisoire, faute de quoi il serait assimilé à un défaut de contrepartie justifiant l'annulation de la clause (7). Cette solution a été reprise par la cour d'appel de Bordeaux, qui a affirmé que "la validité de la contrepartie financière n'est pas conditionnée par l'exigence d'une équivalence entre son montant et celui du salaire versé pendant la durée de la clause de non concurrence, il suffit que cette contrepartie ne soit pas dérisoire" (8). Les montants considérés comme dérisoires correspondent, par exemple, à un vingtième du salaire mensuel (9), même à un dixième (10) ; un sixième a, en revanche, été considéré comme suffisant (11).
Si la Cour de cassation renvoie au pouvoir souverain des juges du fond pour déterminer le montant de la contrepartie, elle entend, toutefois, contrôler les critères et la méthode utilisés pour y parvenir. La Cour avait déjà eu l'occasion de préciser que les juges du fond peuvent s'inspirer du montant de la clause pénale stipulée par les parties en cas de violation de son obligation par le salarié (12). C'est, toutefois, la première fois qu'elle se prononce aussi nettement pour écarter une méthode. On saura, désormais, que "son montant ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat". Cette solution est pleinement justifiée car de très nombreux paramètres doivent être pris en considération, qui tiennent compte de l'ampleur des atteintes apportées à la liberté du salarié, tant en matière de zone géographique concernée, de durée de la clause, que des fonctions visées. On regrettera, toutefois, que la Cour de cassation ne soit pas allée, ici, un peu plus loin en donnant aux juges du fond, et plus largement aux justiciables et à leurs conseils, les autres éléments à prendre en compte. 2. L'avenir des clauses de paiement anticipé
Les parties peuvent prévoir deux modalités de paiement de l'indemnité compensatrice. Une première, largement utilisée, consiste à attendre l'expiration du contrat de travail et la mise en oeuvre de la clause pour verser mensuellement la contrepartie financière au salarié. Une seconde consiste à verser au salarié une somme qui s'ajoute au salaire mensuel pendant l'exécution de son contrat de travail. Cette seconde méthode présente, pour l'employeur, l'avantage de ne pas avoir ultérieurement l'impression de "payer le salarié à ne rien faire", mais présente l'inconvénient de le priver de moyen de pression si le salarié venait à violer la clause, car il ne pourrait lui opposer l'exception d'inexécution : en cas de violation avérée de la clause, l'employeur serait, par ailleurs, contraint de poursuivre le salarié en justice pour lui réclamer le remboursement des sommes, ce qui n'est guère pratique. Cette dernière méthode ne posait pas de véritable problème avant les arrêts rendus le 10 juillet 2002, car le salarié ne pouvait prétendre, en toute hypothèse, au paiement d'une indemnité compensatrice. Mais, désormais, ce droit existe, et cette méthode peut conduire à verser des indemnités dérisoires.
Reste à déterminer la signification exacte de l'autre partie de la formule adoptée par la Cour de cassation et selon laquelle "son paiement [ne peut] intervenir avant la rupture". Deux interprétations peuvent, en effet, en être proposées. La première consiste à interpréter ensemble les deux éléments de la phrase et à considérer que la seule raison qui conduit à condamner la méthode du paiement anticipé est qu'elle peut conduire à verser au salarié une indemnité dérisoire. La seconde consiste, quant à elle, à séparer les deux éléments de la phrase et conduit à affirmer que, désormais, la Cour de cassation considère que le paiement anticipé de la contrepartie financière ne peut valablement intervenir et que l'employeur ne dispose plus que de la possibilité d'attendre le commencement d'exécution de la clause pour la verser au salarié. Si cette seconde interprétation devait être retenue, elle entraînerait des conséquences qui nous semblent excessives. Les clauses devraient, tout d'abord, être annulées pour défaut de contrepartie financière, puisque le paiement anticipé ne peut en tenir lieu. Par ailleurs, l'employeur pourrait réclamer au salarié le remboursement des sommes versées qui se trouveraient ainsi privées de cause, sauf à procéder à une éventuelle compensation avec la contrepartie que l'employeur devrait verser au salarié après la rupture du contrat de travail. On le comprend aussitôt, l'application "à la lettre" de la prohibition d'un paiement anticipé poserait, sans doute, plus de problèmes qu'elle n'en règlerait. Il conviendrait donc de ne pas prendre la formule au pied de la lettre mais, simplement, de vérifier si, compte tenu de l'importance de la clause, les sommes déjà perçues par le salarié sont suffisantes ou non, quitte à annuler partiellement la clause, ou à condamner l'employeur à verser au salarié un complément d'indemnités tenant compte des sommes déjà versées.
Christophe Radé (1) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, M. Fabrice Salembier c/ Société La Mondiale, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE) ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387, M. Jean-Paul Barbier c/ Société Maine Agri, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1227AZH) ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, M. Alain Moline c/ Société MSAS cargo international, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0769AZI) ; lire nos obs., Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4139AAK). (2) Cass. soc., 18 septembre 2002, n° 99-46.136, Société Go sport c/ Mme Josette Petit, FP-P (N° Lexbase : A4510AZ3) ; Dr. soc. 2002, p. 997, obs. R. Vatinet. (3) Egalement, Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-45.365, Société française de service (Sodexho), F-P (N° Lexbase : A1157DTZ) ; et les obs. de S. Martin-Cuenot, Automaticité de l'indemnisation du salarié lié par une clause de non-concurrence qui vient limiter sa liberté du travail, Lexbase Hebdo n° 243 du 11 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7240A9Z) : "Mais attendu que la cour d'appel a constaté que la clause litigieuse, qui constituait une atteinte certaine et importante à la liberté de travail du salarié, avait limité ses possibilités de retrouver un emploi sur place". (4) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.108, M. Stéphane Lorand c/ Société JP Girardeau, F-P+B (N° Lexbase : A4929DB8) ; Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-48.599, M. Daniel Persyn, F-D (N° Lexbase : A3341DSK). (5) Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-45.047, M. Roig c/ Mme Dorandeu et autre, publié (N° Lexbase : A4639AGW) ; JCP éd. G, 1998, II, 10196, note C. Puigelier ; Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 96-41.845, M. Domenech c/ M. Lebert, publié (N° Lexbase : A4584AGU) ; Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-42.018, M. Demard c/ Centre de gestion et de comptabilité agricole de la Gironde, publié (N° Lexbase : A7681AHX) ; Dr. soc. 2000, p. 1147, obs. J. Savatier ; QE n° 16810 de M. Le Nay Jacques, JOANQ 21 avril 2003 p. 3074, min. Aff. Soc., Trav. et Solid., réponse publ. 16 mars 2004, 12ème législature (N° Lexbase : L0322DYL) ; lire nos obs., Clause de non-concurrence et contrepartie financière défaillante - le ministre du Travail botte en touche, Lexbase Hebdo n° 117 du 22 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1334ABZ). (6) Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-45.546, Mlle Louisa Bouaicha c/ Société Aseca-Orfac, FS-P+B (N° Lexbase : A8034DNU) ; Dr. soc. 2006, p. 688, obs. J. Mouly. (7) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY) ; lire les obs. de G. Auzero, Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie, Lexbase Hebdo n° 238 du 30 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2412A99) ; également, CA Paris, 18ème ch., sect. D, 29 juin 2004, n° 03/38770, Madame Catherine Even c/ Société Demoniak (N° Lexbase : A2578DDT). (8) CA Bordeaux, 5ème ch., 12 janvier 2006, n° 05/01458, M. Arnaud Cleyzac c/ SA Régionale de Prestations (N° Lexbase : A6311DN3). (9) CA Paris, 18ème ch., sect. E, 10 février 2006, n° 04/37672, SA Patcom c/ Melle Besson (N° Lexbase : A3897DNN). (10) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY). (11) CA Bordeaux, 12 janvier 2006, ch. soc., sect. C, n° 05/01458, M. Arnaud Cleyzac c/ SA Régionale de prestations, préc. (12) Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-42.026, Société Scopie c/ Mme Nadège Faure, publié (N° Lexbase : A0274B7B). |
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