La lettre juridique n°252 du 15 mars 2007 : Procédure pénale

[Jurisprudence] L'appréciation judiciaire de la demande de mise en liberté à l'aune d'un régime procédural complexe

Réf. : Cass. crim., 9 janvier 2007, n° 06-87.705, Fritz N., F-P+F (N° Lexbase : A6976DTK)

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N3264BA7

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le 07 Octobre 2010

De nature pourtant exceptionnelle (1), le maintien du mis en examen à la disposition de la justice reste une mesure prépondérante dans notre procédure pénale. Fréquemment ordonnée, cette dernière a fait l'objet de la sagacité du législateur, et ce jusqu'à rendre son régime sophistiqué voire erratique. Dans l'espèce rapportée (2), une personne accusée de viol aggravé avait fait l'objet, durant la procédure d'instruction préparatoire, d'une ordonnance de mise en détention provisoire (3). En vue d'écourter son placement auprès de la maison d'arrêt de Meaux, l'accusé avait, fin avril 2006, formé une demande, auprès du juge d'instruction, de mise en liberté. La demande ayant été sans réponse, ce dernier formula, à nouveau, ladite demande, cette fois, devant la chambre de l'instruction. Refusant d'examiner la première demande et de lui donner un quelconque effet du fait qu'elle était adressée à une juridiction incompétente, la chambre de l'instruction ne statua que sur la seconde demande pour la rejeter en raison de la dangerosité de l'accusé issue, notamment, de son statut de récidiviste. L'accusé forma alors un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction en excipant l'absence de réponse lors de sa première demande de mise en liberté, la détention provisoire avait alors eu lieu sans titre entre lesdites demandes. La Cour de cassation approuva la décision rendue par la chambre de l'instruction au motif que le juge d'instruction, destinataire de la première demande de mise en liberté, n'était plus compétent lors de sa réception. Ce faisant la demande n'ayant pas été adressée à la juridiction compétente, elle ne pouvait emporter d'effets juridiques. L'inexistence des actes de procédure, pourtant délaissée en procédure civile (4), reste d'actualité en procédure pénale comme en témoigne le présent arrêt (I), ce qui traduit une appréciation stricte, de la part des juridictions pénales, des règles jalonnant la détention provisoire et plus précisément, sa cessation (II).

I. Absence d'effets juridiques d'une demande de mise en liberté adressée à une juridiction incompétente

Selon le Code de procédure pénale, la détention provisoire ne saurait excéder une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité (5).

Aussi, le détenu, ou son avocat (6), dispose de la faculté de demander au juge d'instruction, à tout moment, une mise en liberté, à charge pour lui de prendre l'engagement de se représenter à tous les actes de la procédure et de tenir le juge informé de tous ses déplacements (7). Le juge de l'instruction ainsi saisi d'une telle demande devra statuer au plus vite sur la question comme l'a précisé la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 mars 1985 (8).

Ce principe démontre bien la volonté du législateur d'octroyer à la personne provisoirement détenue, la possibilité de s'adresser à un juge pour statuer sur sa demande, à toute hauteur de la procédure (9).

Or, en l'espèce, le problème qui se posait était que, lors de la saisine du juge d'instruction d'une demande de mise en liberté, ce dernier n'était plus compétent et ce du fait qu'il avait rendu une ordonnance de mise en accusation la veille de la réception de ladite demande.

L'incompétence du juge d'instruction, en l'espèce, faisait donc obstacle à l'efficacité de la demande de mise en liberté.

En effet, à peine d'irrecevabilité, toute demande de mise en liberté doit être formée soit par déclaration au greffe de la juridiction d'instruction saisie du dossier, déclaration constatée et datée par le greffier et signée par l'avocat du demandeur (10) ; soit par une déclaration, signée par le demandeur, auprès du chef de l'établissement pénitentiaire, que celui-ci constate, date et signe et adresse sans délai, en original ou en copie, au greffier de la juridiction saisie du dossier (11).

On le voit, dans ces deux cas, la saisine de la juridiction compétente figure au sein des conditions de recevabilité de la demande de mise en liberté.

Le juge d'instruction ayant été dessaisi de l'affaire par l'effet d'une ordonnance de renvoi, on comprend le raisonnement de la chambre de l'instruction, raisonnement repris par la Cour de cassation.

Pour autant, quelques interrogations subsistent.

Dans la présente affaire, aucune déclaration d'incompétence, ni aucune décision d'irrecevabilité n'a été rendue par le juge d'instruction. Tout se passe comme si la première demande de mise en liberté formulée par le détenu n'avait jamais existé. On retrouve, en filigrane, la notion d'inexistence, disparue en procédure civile, dont nous faisions état dans nos propos introductifs. Finalement, le Code de procédure pénale n'aurait presque aucun besoin de recourir à la question de la recevabilité lorsque la demande est adressée à une juridiction incompétente étant donné que la jurisprudence tend à considérer que celle-ci n'a alors jamais existé.

Plus encore, on constate, toujours dans une optique processuelle, que, si en procédure civile, une demande formée devant une juridiction incompétente produit des effets juridiques (12), en procédure pénale de telles conséquences sont rejetées.

Une deuxième interrogation, aux frontières de la procédure à strictement parler, provient de la modalité de saisine du juge d'instruction de la demande de mise en liberté.

En effet, le détenu, dans l'espèce rapportée, avait opté pour la deuxième modalité à savoir une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Le fait que l'erreur, c'est-à-dire la saisine d'une juridiction incompétente, soit imputable au manque de diligences de l'administration pénitentiaire et non du justiciable lui-même, devrait avoir une incidence sur le cours de la procédure et, plus précisément, sur la sanction à laquelle a été exposé le détenu.

En revanche, on ne peut qu'approuver le raisonnement de la chambre de l'instruction et de la Cour de cassation venant à considérer que la période de détention provisoire comprise entre les deux demandes de mise en liberté était légalement fondée.

En effet, il s'agit là d'une lecture fidèle et d'une interprétation stricte de l'article 148-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5550DY9), subordonnant la remise d'office en liberté du détenu au non-respect des délais de réponse des juridictions, délais ne commençant à courir qu'à compter de la saisine de la juridiction compétente.

Par conséquent, le détenu ayant saisi une juridiction incompétente, il ne pouvait prétendre à une quelconque possibilité de remise en liberté d'office.

La Cour de cassation refuse donc tout effet juridique à la première demande de mise en liberté formulée par le détenu, mais accepte d'étudier la seconde demande et ce au regard d'une interprétation plus ou moins fidèle des exigences législatives.

II. La compétence quasi-exclusive de la chambre de l'instruction après la clôture de l'instruction

Lorsque l'accusé ou le mis en examen a été maintenu en détention, il conserve la faculté de demander sa mise en liberté à tout moment jusqu'à sa comparution devant la cour d'assises. L'instruction étant clôturée à ce stade de la procédure, la loi a transféré la compétence du juge d'instruction et du juge de la liberté et de la détention.

La loi du 15 juin 2000 (13) a alors prévu que la chambre de l'instruction aurait toujours compétence pour connaître des demandes de mise en liberté, tandis que la cour d'assise gardait une compétence similaire, mais uniquement concernant les demandes formées durant la session au cours de laquelle l'accusé demandeur doit comparaître (14).

La demande obéit alors, à peine d'irrecevabilité (15), aux règles précédemment évoquées.

En l'espèce, la seconde demande de mise en liberté formulée par le détenu était bien adressée à la chambre de l'instruction et pouvait, donc, à ce titre être examinée.

A ce stade, on comprend donc bien que pour être recevable, et même être examinée, la première demande de mise en liberté aurait dû être dirigée vers la chambre de l'instruction étant donné que l'instruction préparatoire avait prit fin avec l'ordonnance de mise en accusation.

Plus encore, la saisine de la chambre de l'instruction intervenait aux dires de l'arrêt à un second titre.

Selon la Cour de cassation, la chambre de l'instruction pouvait être saisie directement dès lors qu'il n'avait pas été statué sur la demande de mise en liberté dans les délais prévus par l'article 148 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5548DY7) (16).

Pour autant, malgré une analyse fidèle des dispositions du Code de procédure pénale opérée par la cour, une telle remarque peut étonner.

La jurisprudence précise, en effet, que la personne mise en examen n'est pas recevable à saisir la chambre de l'instruction en application des dispositions de l'article 148, alinéa 5, du Code de procédure pénale, lorsque la demande de mise en liberté laissée sans réponse par le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention était elle-même irrecevable faute d'avoir été présentée dans les formes prévues par les articles 148-6 et 148-7 précités (17).

Or, nous l'avons vu, ces articles érigent en condition la saisine d'une juridiction compétente ce qui n'était pas le cas en l'espèce concernant la première demande.

Il est alors possible de se demander si cette possibilité de saisine directe n'était pas finalement fermée au détenu qui ne pouvait saisir la chambre de l'instruction que par application du principe général évoqué précédemment.

Quoiqu'il en soit, la seconde demande de mise en liberté était bien valable au regard des règles procédurales et le détenu était donc en droit de solliciter sur ce point la chambre de l'instruction, ce que n'a pas manqué de souligner la Cour de cassation.

En revanche, il convient, dans un souci d'exhaustivité, de s'attarder sur le fond de la décision rendue par la chambre de l'instruction et plus précisément sur la motivation du rejet de la demande de mise en liberté.

En cas de rejet d'une demande de mise en liberté, le juge des libertés et de la détention ou la chambre de l'instruction doivent respecter une exigence de "surmotivation" (18) lorsque la détention accomplie dépasse un an en matière criminelle (19) ce qui était le cas en l'espèce.

Le législateur exige que l'ordonnance comporte "les indications particulières qui justifient en l'espèce la poursuite de l'information et le délai prévisible d'achèvement de la procédure".

Ainsi, la Cour de cassation se livre à une appréciation et à un contrôle très strict de cette exigence de motivation particulière (20).

Or, en l'espèce, on ne saurait prétendre que la chambre de l'instruction se soit pleinement livrée à cette exigence de motivation supplémentaire, notamment, en ce qui concerne l'appréciation et la mention du délai d'achèvement de la procédure.

Un tel moyen aurait sûrement eu plus de chance de prospérer devant la Cour régulatrice...

Olivier Falga
Allocataire de recherche - Université Paris XI
Chargé d'enseignement - Université Paris I


(1) C. proc. pén., art. 137 (N° Lexbase : L3484AZ3).
(2) Cass. crim., 9 janvier 2007, n° 06-87.705, Fritz N., F-P+F.
(3) Sur le placement en détention : J. Leblois-Happe, Le placement en détention provisoire, AJP Dalloz, 2003, p.9.
(4) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, Société Hollandais Kinetics Technology international BV (KTI) et autres, P+B+R+I ([A4252DQK]), et nos obs., Coup d'arrêt à la notion d'inexistence en procédure civile, Lexbase Hebdo n° 231 - édition privée générale (N° Lexbase : N3808ALM).
(5) C. proc. pén., art. 144-1 (N° Lexbase : L3502AZQ).
(6) Evidement, le juge d'instruction peut se saisir d'office de la question comme en dispose l'article 147 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3510AZZ), de même le procureur de la République peut aussi demander la mise en liberté du détenu provisoire en vertu de l'article précité.
(7) C. proc. pén., art. 148 (N° Lexbase : L5548DY7).
(8) Cass. crim., 25 mars 1985, n° 85-90.523 (N° Lexbase : A3562AA8) : "La loi a confié à la conscience du juge d'instruction le soin d'ordonner la communication dans le plus bref délai de la demande de mise en liberté".
(9) C. proc. pén., art. 148-1 (N° Lexbase : L3512AZ4).
(10) C. proc. pén., art. 148-6, al. 1er (N° Lexbase : L3517AZB).
(11) C. proc. pén., art. 148-7 (N° Lexbase : L4018DGW).
(12) Voir l'article 2246 du Code civil (N° Lexbase : L2534ABH) et l'important arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 novembre 2006 (Cass. mixte, 24 novembre 2006, n° 04-18.610, M. Marcel Goetz c/ M. François Chatoux, P+B+R+I N° Lexbase : A5176DSI).
(13) Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ).
(14) C. proc. pén., art. 148-1, alinéa 2, (N° Lexbase : L3512AZ4) ; la doctrine considérant d'ailleurs que "selon la lettre du texte, la chambre de l'instruction demeure compétente pour statuer sur la demande déposée juste avant ladite session, alors même que celle-ci a, entre-temps, commencé", S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, 3ème éd., 2005, Litec, n° 1678, p. 805.
(15) Cass. crim., 26 septembre 1986, n° 86-93.821, Pedro S. (N° Lexbase : A5874AAS).
(16) Et ce en vertu de l'alinéa 5 dudit article.
(17) Cass. crim., 19 novembre 2002, n° 02-86.030 (N° Lexbase : A1721A4I).
(18) Expression empruntée à MM. les Professeurs Guinchard et Buisson, op cit..
(19) C. proc. pén., art. 145-3 (N° Lexbase : L3507AZW).
(20) Voir pour exemple Cass. crim., 6 août 1997, n° 97-82.955, Eric S. (N° Lexbase : A3552CGN).

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