La lettre juridique n°252 du 15 mars 2007 : Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité du transporteur aérien et distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement

Réf. : Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 03-16.683, M. Gérard Voillemier, FS-P+B (N° Lexbase : A4068DU9)

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le 07 Octobre 2010

La responsabilité du transporteur aérien, qui donne lieu, à certaines conditions, à l'application des dispositions spéciales du Code de l'aviation civile, n'exclut pas, pour autant, la mise en oeuvre du droit commun de la responsabilité civile et, en l'occurrence, de la responsabilité du fait des choses inanimées de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 27 février dernier, en constitue, d'ailleurs, un exemple, d'autant plus intéressant qu'il renvoie à la distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement, dont on sait qu'elle a suscité et continue de susciter quelques difficultés d'application. En l'espèce, à la suite d'un accident au cours duquel un aéronef, appartenant à l'aéroclub de Bastia, s'était écrasé, les trois passagers, qui ont été blessés lors de l'accident, ont assigné en réparation de leur préjudice le pilote, d'une part, et l'aéroclub, d'autre part.

Sur le premier moyen du pourvoi, la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir rejeté la demande d'indemnisation formée contre le pilote au motif que, dans le cas particulier d'un transport gratuit, la mise en oeuvre de la responsabilité suppose que la victime rapporte la preuve d'une faute du pilote, qui doit être, au sens de l'article L. 321-4 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L4195AWB), une faute inexcusable. Or, précisément, la cour d'appel, qui avait constaté, après expertise, que la "décision prise par le pilote s'analysait en une mauvaise appréciation de la manoeuvre à opérer compte tenu des conditions météorologiques du vol, a pu en déduire l'existence d'une faute dont elle a fait une appréciation par rapport au comportement d'un pilote normalement avisé et prudent", mais elle a considéré qu'elle "ne constituait pas une faute inexcusable, soit une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable".

On rappellera simplement, ici, que l'article L. 322-3 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L5745HD7), qui dispose que la responsabilité du transporteur est régie par les dispositions de la Convention de Varsovie, prévoit une limitation de cette responsabilité, ce que redit d'ailleurs la Cour de cassation en l'espèce. Encore faut-il, bien entendu, que le transport au cours duquel l'accident s'est produit puisse être qualifié de transport aérien au sens de l'article L. 310-1 (N° Lexbase : L4189AW3) du même code, texte aux termes duquel "le transport aérien consiste à acheminer d'un point d'origine à un point de destination des passagers, des marchandises ou de la poste". Et l'on sait que la qualification de transport aérien est parfois discutée et a donné lieu à quelques décisions remarquées. Ainsi par exemple la première chambre civile de la Cour de cassation a eu l'occasion, on s'en souvient, de considérer que le baptême de l'air en parapente, deltaplane ou ULM constitue bien un transport aérien, de telle sorte que doit s'appliquer la limitation légale de responsabilité (1). La solution était, il faut le dire, assez prévisible puisqu'il avait non seulement déjà été jugé que constitue un transport aérien un vol en ULM, avec pilote et passager, dont l'objet principal est le déplacement d'un aérodrome à un autre (2), tout comme le vol en ULM consistant en une promenade aérienne (3), mais encore parce que la Haute juridiction avait déjà décidé que la qualification de transport aérien devait être retenue dans le cas d'un baptême de l'air en parapente biplace, nonobstant le caractère circulaire du déplacement, l'engin étant un aéronef (4). Toujours est-il que, dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de la première chambre civile du 27 février dernier, la qualification de transport aérien ne faisait cette fois aucun doute. Aussi bien la limitation de responsabilité devait-elle logiquement jouer, à supposer que la responsabilité puisse, tout de même, valablement être mise en oeuvre. Or, à ce titre, l'article L. 322-3 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L5745HD7) précise que "sauf stipulations conventionnelles contraires, la responsabilité du transporteur effectuant un transport gratuit ne sera engagée, dans la limite prévue ci-dessus, que s'il est établi que le dommage a pour cause une faute imputable au transporteur ou à ses préposés", faute qui, contrairement à ce qu'exige l'article L. 321-4, n'était pas en l'espèce inexcusable. A défaut d'avoir pu obtenir réparation de leur préjudice du pilote lui-même, les victimes de l'accident avaient en outre assigné l'aéroclub en responsabilité.

Le second moyen du pourvoi faisait précisément grief aux premiers juges d'avoir également rejeté la demande des victimes à l'encontre de l'aéroclub alors que, selon elles, d'une part, l'aéroclub serait responsable sur le fondement de la responsabilité générale du fait d'autrui du fait dommageable du pilote, et, d'autre part, l'aéroclub aurait commis une faute en confiant le vol à un pilote inexpérimenté. La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve la cour d'appel d'avoir considéré, après avoir fait valoir qu'il n'était pas contesté que le pilote n'agissait pas ici en qualité de préposé de l'aéroclub, que "la responsabilité de l'aéroclub ne pouvait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil qu'en sa qualité de gardien de la structure de l'appareil". Or, l'enquête ayant révélé que l'appareil était en parfait état de vol à son décollage, la cour d'appel "en a justement déduit que la responsabilité de [l'aéroclub] ne pouvait être retenue sur ce fondement".

L'arrêt est intéressant à plus d'un titre :

D'abord, en effet, en affirmant que la responsabilité de l'aéroclub "ne pouvait être recherchée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil qu'en sa qualité de gardien de la structure de l'appareil", il exclut la possibilité que sa responsabilité puisse être recherchée sur le terrain de la responsabilité générale du fait d'autrui dont on sait pourtant que, depuis sa consécration par le désormais célèbre arrêt "Blieck" (5), elle n'a cessé de gagner du terrain, notamment pour s'étendre aux associations sportives ou de loisirs (6).

Ensuite, l'arrêt se réfère à la distinction, au sein de la notion de garde, entre la garde de la structure et la garde du comportement, distinction d'origine doctrinale que la jurisprudence a à quelques reprises mise en oeuvre (7).

Enfin, en écartant la responsabilité de l'aéroclub en tant que gardien de la structure au motif que l'appareil était en parfait état, l'arrêt confirme l'idée selon laquelle la responsabilité du gardien de la structure suppose que puisse être établie l'existence d'un vice de la chose et, de proche en proche, une faute du gardien, soit dans la fabrication même de la chose, soit dans l'entretien de celle-ci qui lui incombe.

Autrement dit, à travers la distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement, on voit resurgir non seulement des distinctions entre les choses (ayant un dynamisme propre ou non, dangereuses ou non, viciées ou non) qui avaient été refoulées par l'arrêt "Jand'heur" (8), mais aussi l'idée même de faute dans une responsabilité qui se veut pourtant objective. Preuve que le droit français a bien du mal à s'abstraire de l'idée de faute...

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 01-20.778, M. Nicolas Brenneur-Boyne c/ M. Orhan Mete, FP-P+B (N° Lexbase : A7385DL4) et nos obs., Limitation légale de la responsabilité contractuelle du transporteur aérien, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1612AKW).
(2) Cass. civ. 1, 7 mars 2000, n° 97-15.045, Mme Clément c/ M. Rabanier et autres (N° Lexbase : A5187AWZ), Bull. civ. I, n° 85.
(3) Cass. civ. 1, 3 juillet 2001, n° 00-10.437, Société anonyme Axa global risks c/ Mme Odile Petit, épouse Lescoffit (N° Lexbase : A1093AUZ), Bull. civ. I, n° 206, Resp. civ. et assur. 2001, n° 330, note Vaillier.
(4) Cass. civ. 1, 19 octobre 1999, n° 97-14.759, Caisse primaire d'assurance maladie du Var c/ M. Sarrat et autres (N° Lexbase : A5184AWW), Bull. civ. I, n° 287 et Cass. civ. 1, 3 juillet 2001, précité.
(5) Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, Consorts Blieck (N° Lexbase : A0285AB8).
(6) Cass. civ. 2, 22 mai 1995, n° 92-21.871, Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille c/ Fédération française de rugby et autres (N° Lexbase : A5655CIB), Bull. civ. II, n° 155, JCP éd. G, 1995, II, 22550, note J. Mouly, RTD civ. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 3 février 2000, n° 98-11.438, Association Amicale sportive et culturelle d'Aureilhan c/ M. Dubarry et autre (N° Lexbase : A5426AWU), Bull. civ. II, n° 26, JCP éd. G, 2000, II, 10316, note J. Mouly ; Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, M. Jean-Philippe Le Grouiec c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2103DA7), et nos obs., La mise en oeuvre de la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil suppose que le fait dommageable soit fautif, Lexbase Hebdo n° 98 du 11 décembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9686AAY), D. 2003, p. 3009, RTD Civ. 2004, p. 106, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, Association sportive Bleuets Labatutois section rugby c/ Groupama (CRAMA) du Sud-Ouest, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6522DDW), Bull. civ. II, n° 477, et nos obs., La Cour de cassation enfonce le clou et réaffirme l'exigence d'une faute de l'auteur du dommage pour engager la responsabilité du fait d'autrui, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3374ABL) ; comp., pour une association de loisirs, Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-13.553, Société Axa assurances IARD c/ Mlle Nathalie Yvon, FS-P+B (N° Lexbase : A4005A44), Bull. civ. II, n° 289, (association de majorettes).
(7) Cass. civ. 1, 5 janvier 1956, n° 56-02.126, Bouloux, Mme Lathus c/ Société l'Oxygène liquide et autres (N° Lexbase : A2013AWH), GAJC, 11ème éd., n° 196, et les réf. citées ; Cass. civ. 1, 12 novembre 1975, n° 74-10.386, Société Générale des Eaux de Vittel c/ Dame Loriot (N° Lexbase : A7204CKZ), JCP 1976, II, 18479, note G. Viney ; Cass. civ. 2, 4 juin 1984, Consorts Moussard c/ Société parisienne de boissons gazeuses S.P.B.G. et autres (N° Lexbase : A0604C8U), Gaz. Pal. 1984, 2, 634, note F. Chabas ; Cass. civ. 2, 13 décembre 1989, n° 87-14.990, Consorts Allais c/ Société British Leyland France et autres (N° Lexbase : A2935AH8), Bull. civ. II, n° 222 ; voir cep., refusant la distinction entre garde de la structure et garde du comportement aux cigarettes fumées par un fumeur, Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 01-17.977, Mme Lucette Gourlain c/ société Seita, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1842DAH), Bull. civ. II, n° 355 et nos obs., Le tabac et la responsabilité civile : la Cour de cassation tranche !, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9647AAK).
(8) Cass. réunies, 13 février 1930, veuve Jeandheur c/ Société anonyme "Aux Galeries Belfortaises" (N° Lexbase : A8927C87), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, 2000, n° 193.

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