Réf. : TA Versailles, 7ème ch., 21 décembre 2006, n° 0204040, Société Accor (N° Lexbase : N3301BAI)
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N3301BAI
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
Le tribunal administratif de Versailles, devant lequel cette revendication a été portée, a accueilli sans équivoque cette dernière en jugeant que le "système de l'avoir fiscal et du précompte, [...], constituent une restriction à la libre circulation des capitaux qui ne peut trouver sa justification dans le principe de territorialité de l'impôt et la préservation de la cohérence du système fiscal français et qui, en conséquence, est contraire aux stipulations des articles 56 (N° Lexbase : L5667BCR) et 58 du Traité instituant la Communauté européenne".
L'examen de la décision nécessite, préalablement, le rappel du système français de l'avoir fiscal et du précompte, appliqué de 1965 à 2004 (loi n° 65-566 du 12 juill. 1965 ; CGI, art. 158 bis N° Lexbase : L2613HLD et 158 ter N° Lexbase : L2615HLG anciens), avant son abrogation par la loi de finances n° 2003-1311 pour 2004 (N° Lexbase : L6348DM3).
Aux termes des dispositions de l'article 158 bis ancien du CGI, les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles perçoivent de la société, et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le trésor.
Le crédit d'impôt qui est reçu en paiement de l'impôt, est, aux termes de ces mêmes dispositions, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, et ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire.
Aux termes de l'article 216 du même code (N° Lexbase : L3998HLN), les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères, visés à l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L1879HNW), touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges.
Lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (CGI, art. 219 1 al. 2 N° Lexbase : L1902HNR) cette société est tenue, aux termes de l'ancien article 223 sexies du CGI (N° Lexbase : L4295HLN), d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt (CGI, art. 158 bis 1 ancien) dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt quels qu'en soient les bénéficiaires.
Enfin, lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies du CGI, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôt et avoirs fiscaux attachés aux produits de participations, visées à l'article 145 du CGI, encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus (CGI, art. 146, al. 2 N° Lexbase : L2272HLQ).
L'avoir fiscal a donc pour objectif de prévenir la double imposition des bénéfices des sociétés distribués aux actionnaires.
Toutefois, ce système ne s'appliquait qu'uniquement en faveur des dividendes perçus par les sociétés mères de leurs filiales installées en France et non à ceux perçus par ces mêmes sociétés mères pour leurs filiales installées dans un autre pays membre de l'Union européenne.
Ces dernières sociétés mères se trouvaient donc désavantagées par rapport aux premières.
Le système français organisait une "dichotomie" selon que les dividendes provenaient de filiales françaises ou de filiales ayant leur siège dans un autre Etat membre de la Communauté.
En effet, les sociétés assujetties à l'impôt sur les sociétés en France qui perçoivent des dividendes de leurs filiales installées dans un autre pays membre de l'Union européenne se trouvaient soumises au précompte mobilier sans avoir le bénéfice de l'avoir fiscal.
Cette situation résultait de ce que le législateur avait considéré que la filiale établie à l'étranger n'étant pas imposée en France, sa société mère française bénéficiaire des dividendes qu'elle lui avait versés ne pouvait bénéficier de l'avoir fiscal.
Cette situation avait pour effet, non seulement, de les dissuader d'investir leurs capitaux dans les sociétés ayant leur siège dans un autre Etat membre, mais également, de dissuader leurs actionnaires d'investir leurs capitaux dans des sociétés ayant des filiales situées dans un autre Etat membre.
Enfin, à l'égard des sociétés établies dans d'autres Etats membres, la législation relative à l'avoir fiscal et au précompte produit, également, un effet restrictif en ce qu'elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux en France, dans la mesure où les revenus de ces capitaux sont fiscalement traités de manière moins favorable que les dividendes distribués par les sociétés établies en France.
Une telle situation, portant une différenciation dans le traitement des modalités de l'imposition en France des dividendes selon qu'ils proviennent de sociétés filiales établies en France ou dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, ne pouvait qu'être soumise à l'examen de sa conformité au regard des dispositions du Traité instituant la Communauté européenne.
Il est rappelé que, si les impôts directs relèvent de la compétence des Etats membres, ceux-ci doivent l'exercer dans le respect du droit communautaire et s'abstenir de toute "discrimination ostensible ou dissimulée fondée sur la nationalité ou le siège" (CJCE, 15 janvier 2002, aff. C-55/00, Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), Rec. p. I-413, point 32 N° Lexbase : A8474AX7 ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes), Rec. p. I-4695, point 19 N° Lexbase : A0410AW4 ; CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker, Rec. p. I-225, point 21 N° Lexbase : A1803AWP).
La Cour de justice examine donc les dispositions de droit interne au regard des libertés instituées par le Traité et, notamment, celle portant sur la liberté de circulation des capitaux visée à l'article 56 du Traité CE (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ B.G.M. Verkooijen N° Lexbase : A1828AWM).
Ainsi, aux termes de l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne, "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
Toutefois, aux termes de l'article 58, paragraphe 1, de ce Traité, "l'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres [...] a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où les capitaux sont investis [...] b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale".
Le juge français de l'impôt a considéré, dans cette affaire, que la mise en oeuvre des dispositions précitées du CGI constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée par l'article 56 du Traité CE, que les principes de territorialité et de cohérence fiscale ne sauraient justifier.
La décision se trouve inspirée par l'arrêt "Manninen" (CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen N° Lexbase : A2692DD3) lequel, selon les conclusions du commissaire du Gouvernement, "peut être regardé à notre sens comme condamnant les dispositifs d'avoir fiscal en vigueur dans d'autres Etats membres, dont la France [...] ; le législateur français tirant d'ailleurs les conséquences de cet arrêt, a remplacé le régime de l'avoir fiscal par un abattement de 50 % sur les dividendes distribués par les sociétés ayant leur siège dans un Etat membre de l'Union européenne" (loi de finances n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, art. 93-I-A, abrogeant à compter du 1er janvier 2005, les articles 158 bis et 158 ter du CGI).
L'administration ne saurait, en effet, se prévaloir, en premier lieu, à l'appui des dispositions du 1er § du a) de l'article 58 précité du Traité, du principe de territorialité (CJCE, 15 mai 1997, aff. 250/95, Futura Participations SA et Singer N° Lexbase : A0119AWC), en soutenant que la situation d'une société mère française ayant une filiale dont le siège social se situerait en France ne serait pas dans la même situation qu'une société mère dont la filiale est établie dans un autre Etat membre.
Le juge de l'impôt, sur ce premier point, rappelle qu'une telle discrimination ne saurait être justifiée au regard de ce principe, dans la mesure où au contraire, à son sens, "les actionnaires, en l'espèce les sociétés mères, assujetties à l'impôt à titre principal en France se trouvent dans une situation comparable, qu'elles perçoivent des dividendes d'une société établie dans cet Etat membre ou d'une société établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne, au regard du principe de territorialité de l'impôt, en présence d'une règle fiscale ayant pour objet de prévenir une double imposition des bénéfices distribués".
Il doit être souligné que, dans l'affaire "Marks et Spencer" (CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer plc c/ David Halsey (Her Majesty's Inspector of Taxes) N° Lexbase : A9386DL9), l'Avocat général, dans ses conclusions, rappelait que "le principe de territorialité fiscale n'est pas un principe d'autarcie fiscale".
Ainsi, toujours selon toujours le juge de l'impôt, la législation fiscale française ne saurait être considérée comme une conséquence de la mise en oeuvre du principe de territorialité, visé par les stipulations du a) du paragraphe 1 de l'article 58 précité, lesquelles doivent, au demeurant, aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, faire l'objet d'une interprétation stricte, dès lors qu'elles constituent une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux.
L'administration ne saurait, en second lieu, se prévaloir de l'argumentation selon laquelle la discrimination ainsi relevée se trouverait justifiée par la nécessité de maintenir la cohérence du système fiscal français (CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Hanns-Martin Bachmann c/ Etat belge N° Lexbase : A9890AUT).
Le juge de l'impôt, sur ce second point, rappelle "qu'eu égard à l'objectif poursuivi, à savoir prévenir une double imposition, la législation française, en ce qu'elle exclut les dividendes perçus de filiales ayant leur siège dans un autre Etat membre du bénéfice de l'avoir fiscal tout en les soumettant au précompte mobilier, n'apparaît pas nécessaire, contrairement à ce que soutient l'administration fiscale, à la cohérence du système fiscal français dès lors que l'objectif poursuivi peut également être atteint en octroyant le bénéfice de l'avoir fiscal aux dividendes distribués par les filiales ayant leur siège dans un autre Etat membre de l'Union européenne ; qu'au surplus, il n'existe pas d'obstacle de principe à ce que le calcul de l'avoir fiscal, s'agissant des dividendes précités, tienne compte de l'impôt effectivement acquitté par la filiale dans l'Etat membre où elle a son siège".
Cette motivation n'est pas sans rappeler celle de la Cour de justice dans l'affaire "Manninen", selon laquelle une argumentation fondée sur la nécessité de sauvegarder la cohérence du système d'un régime fiscal "doit être examinée au regard de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause" (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillan, point 67 N° Lexbase : A5001DBT).
Selon la Cour, dans cette affaire (point 48), l'objectif d'élimination de la double imposition des bénéfices distribués sous forme de dividendes poursuivi par la législation fiscale finlandaise, pouvait "être atteint en octroyant l'avoir fiscal également en faveur des bénéfices ainsi distribués par les sociétés suédoises aux personnes assujetties à l'impôt à titre principal en Finlande".
La cohérence du régime fiscal finlandais ne pouvait être assurée, selon la Cour, que pour autant que "la corrélation entre l'avantage fiscal consenti en faveur de l'actionnaire et l'impôt dû au titre de l'impôt sur les sociétés est maintenu".
Il s'ensuit que l'octroi d'un avoir fiscal à un actionnaire détenant des actions d'une société suédoise qui se trouve assujettie à titre principal à l'impôt finlandais, qui serait calculé en fonction de l'impôt dû par la société suédoise au titre de l'impôt sur les sociétés en Suède, "ne mettrait pas en cause la cohérence du régime fiscal finlandais et constituerait une mesure moins restrictive pour la libre circulation des capitaux que celle prévue par la réglementation fiscale finlandaise".
Par ailleurs, toujours selon la Cour, dans la même affaire (point 49), le fait que l'avoir fiscal soit octroyé aux dividendes versés par des sociétés établies dans un autre Etat membre entraînerait pour la Finlande une réduction de ses recettes fiscales, ne peut être considéré "comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure contraire" à une liberté fondamentale (CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ BGM Verkooijen, Rec. p. I-4071, point 59 N° Lexbase : A1828AWM ; CJCE, 3 octobre 2002, aff. C-136/00, Rolf Dieter Danner, Rec. p. I-8147, point 56 N° Lexbase : A8951AZK ; CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c/ Riksskatteverket, Rec. p. I-10829, point 50 N° Lexbase : A0406A78).
C'est cette démarche que le tribunal administratif de Versailles a intégrée, au cas d'espèce, en écartant les tentatives de justification de la discrimination organisée par le système français de l'avoir fiscal et du précompte.
Là encore, l'influence de l'arrêt "Manninen" précité s'est fait sentir, lequel, il convient de souligner, rappelait (point 43) pour qu'un argument fondé sur une justification du régime fiscal national puisse prospérer, "il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé" (CJCE, 14 novembre 1995, aff. C-484/93, Peter Svensson et Lena Gustavsson c/ Ministre du Logement et de l'Urbanisme, Rec. p. I-3955, point 18 N° Lexbase : A7474AHB ; CJCE, 27 juin 1996, aff. C-107/94, P. H. Asscher c/ Staatssecretaris van Financiën, Rec. p. I-3089, point 58 N° Lexbase : A1787AW4 ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes), Rec.p. I-2651, point 29 ; CJCE, 28 octobre 1999, aff. C-55/98, Skatteministeriet c/ Bent Vestergaard, Rec. p. I-7641, point 24 N° Lexbase : A0580AWE ; CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c/ Riksskatteverket, Rec. p. I-10829, point 52).
En conclusion, on notera que l'intérêt de ce jugement à ce jour risque de se trouver limité pour les contribuables qui, dans une situation analogue, n'ont pas engagé d'action contentieuse. En effet, les dispositions modifiées des alinéas 3 et 4 de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L5858HIS) précisent que, lorsque la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, comme au cas particulier, a été révélée par une décision juridictionnelle du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour de justice des Communautés européennes, l'action en restitution des sommes versées ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue. Or, la décision du tribunal administratif de Versailles n'est pas au nombre des décisions prises par une Haute cour, comme le Conseil d'Etat, et le délai de droit commun de réclamation (LPF, art. R. 196-1 N° Lexbase : L6486AEX) est, aujourd'hui, expiré.
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