La lettre juridique n°250 du 1 mars 2007 : Immobilier et urbanisme

[Textes] Création d'un droit au logement opposable : premières observations sur le projet de loi

Réf. : Projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale

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N1139BAG

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Il aura fallu moins de deux mois pour que l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent, dans le cadre de la procédure d'urgence, un projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Ce texte répond à des attentes fortes dans la mesure où, malgré une affirmation croissante dans le dispositif législatif français d'un droit au logement, puis d'un droit au logement décent, le nombre de "mal-logés" ne fait qu'augmenter. Depuis plusieurs années, le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées préconisait de rendre opposable le droit au logement (voir notamment le rapport pour l'année 2003). Tel est donc l'objet du projet de loi adopté le 22 février 2007. Le droit au logement opposable est garanti par l'Etat aux personnes résidant sur le territoire français de façon régulière et stable n'étant pas en mesure d'accéder par leurs propres moyens à un logement indépendant et décent.

Avant de présenter plus en avant les dispositions du projet de loi, il convient de rappeler quand et comment a été reconnu en France le droit au logement.

I - Sur l'émergence d'un droit au logement : du droit à l'habitat au droit au logement décent

Au carrefour de nombreux autres droits fondamentaux, tels que le droit au travail, le droit à la santé, le droit à une vie familiale, le droit au logement a été reconnu et maintes fois réaffirmé depuis le début des années 1980.

- Du droit à l'habitat au droit au logement : A l'origine, la loi du 22 juin 1982, dite "Quillot", érigeait, en son article 1er, le droit à l'habitat en droit fondamental. L'habitat est une notion plus large que le logement : elle recouvre l'ensemble des conditions d'habitation, de logement.

Puis, la loi du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs (loi n° 89-462 N° Lexbase : L8461AGH), a consacré le droit au logement en faisant un droit fondamental et impliquant "la liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation grâce au maintien et au développement d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales".

Le droit au logement (notion plus ciblée que l'"habitat" puisqu'elle vise le local à usage d'habitation) est ainsi né et implique, outre le droit de disposer d'un logement, le droit de choisir son mode d'habitation.

Le droit au logement est alors assuré par un droit au maintien dans les lieux du locataire (voir J. Lafond et F. Lafond, Les baux d'habitation, Litec, 6ème éd. 2005, p. 8).

Le droit au logement est conçu comme le droit du locataire, d'une part, de pouvoir bénéficier d'un logement et, d'autre part, de ne pas se voir priver, sans raisons légitimes, dudit logement : ainsi, aux termes du bail, le bailleur ne pourra donner congé au locataire que pour des motifs limitativement énumérés ; le locataire est, en principe, protégé contre une éviction du logement pendant la durée du bail ; bien plus, certaines catégories de personnes ne peuvent être congédiées...

C'est dans la droite ligne de ce premier texte qu'a été adoptée la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions (loi n° 98-657 N° Lexbase : L9130AGA).

Il résulte, notamment, de ce dernier texte que "la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation. La présente loi tend à garantir sur l'ensemble du territoire l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l'enfance. L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics dont les centres communaux et intercommunaux d'action sociale, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales et médico-sociales participent à la mise en oeuvre de ces principes. Ils poursuivent une politique destinée à connaître, à prévenir et à supprimer toutes les situations pouvant engendrer des exclusions".

Ce dispositif implique, néanmoins, que le locataire ait pu avoir accès à un logement...

Tel était l'objet principal de la loi du 31 mai 1990, dite loi Besson (loi n° 90-449 N° Lexbase : L2054A4T), visant à la mise en oeuvre du droit au logement.

Ainsi, "garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation" (art. 1er).

Dès lors, toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison, notamment, de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir.

La loi "Besson" érigeait, donc, le droit au logement en véritable droit de créance sur l'Etat et mettait en place un dispositif de nature à permettre l'élaboration d'un plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées.

- Du droit au logement au droit de disposer d'un logement décent : Dans sa décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel avait considéré que "la possibilité de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle" (décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 N° Lexbase : A8323ACA).

C'est dans ces circonstances que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208 N° Lexbase : L9087ARY) a instauré l'obligation pour le bailleur de délivrer au preneur, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent (C. civ., art. 1719 N° Lexbase : L1841ABS).

La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que la délivrance d'un logement décent au locataire impose son alimentation en eau courante (Cass. civ. 3, 15 décembre 2004, n° 02-20.614, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A4661DED).

Toutefois, ce dispositif législatif impliquait, parallèlement, un réel engagement de l'Etat dans la construction de logements nouveaux et donc, d'une manière plus générale, par une politique volontariste du logement.

Le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées indiquait, dans son 9ème rapport, avoir constaté que "la mise en oeuvre du droit butait sur des obstacles qui dépassent le cadre des outils spécifiques mis en place depuis une quinzaine d'années :
parce que les difficultés économiques et sociales que rencontrent les populations défavorisées ne sont pas les seules causes d'un mal logement qui résulte en grande partie du dysfonctionnement des marchés du logement et du manque de logements sociaux ;
parce que les actions nécessaires renvoient à une multiplicité d'acteurs et mettent en jeu les différents niveaux de puissance publique, ne permettant à aucune autorité politique de piloter efficacement les interventions ;
parce que ce système ne permet pas au citoyen de disposer de voies de recours efficaces".

Il était donc proposé de renforcer le droit au logement pour garantir l'efficacité des dispositifs issus de la loi "Besson".

Naissait, donc, l'idée de rendre opposable le droit au logement, ce qui impliquait de désigner une autorité politique responsable, de la doter de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter de son obligation et d'établir des voies de recours amiables et contentieuses.

II - Sur l'efficacité du droit au logement conditionnée par son opposabilité

Le droit au logement tend donc à devenir une obligation de résultat incombant à l'Etat.

Le nouvel article L. 300-1 du Code de la construction et de l'habitation disposerait donc que "le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l'article 1er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, est garanti par l'Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d'Etat, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir".

Le droit à un logement décent et indépendant serait donc garanti par l'Etat à toute personne résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence qui seront définies par voie de décret.

De même, toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. Il est à noter qu'il est fait une distinction importante entre l'hébergement (qui évoque une situation temporaire), et le logement.

Avant le 1er janvier 2008, il devrait être créé auprès du représentant de l'Etat dans le département, une commission de médiation présidée par une personnalité qualifiée qu'il désigne.

Ces commissions de médiation existaient déjà (CCH, art. L. 441-2-3 N° Lexbase : L2010HP7). Leur mode de saisine a été élargi.

La commission de médiation pourrait être saisie par toute personne qui, satisfaisant aux conditions réglementaires d'accès à un logement locatif social, n'a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande de logement dans le délai fixé en application de l'article L. 441-1-4 (N° Lexbase : L2007HPZ).

Elle peut être saisie sans condition de délai lorsque le demandeur, de bonne foi, est dépourvu de logement, menacé d'expulsion sans relogement, hébergé ou logé temporairement dans un établissement ou un logement de transition, logé dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux. Elle peut également être saisie, sans condition de délai, lorsque le demandeur est logé dans des locaux manifestement suroccupés ou ne présentant pas le caractère d'un logement décent, s'il a, au moins, un enfant mineur, s'il présente un handicap ou s'il a au moins une personne à charge présentant un tel handicap.

Le demandeur peut être assisté (et non représenté) par une association dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ou une association de défense des personnes en situation d'exclusion et agréée par le représentant de l'Etat dans le département.

Dans un délai qui sera fixé par décret, la commission de médiation désignera les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence.

Elle détermine pour chaque demandeur, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement. Elle notifie par écrit au demandeur sa décision qui doit être motivée. Elle peut faire toute proposition d'orientation des demandes qu'elle ne juge pas prioritaires.

La commission de médiation transmet au représentant de l'Etat dans le département la liste des demandeurs auxquels doit être attribué en urgence un logement.

Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence et qui n'a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement.

Le recours sera ouvert contre l'Etat.

Il s'agit alors d'une action en déclaration de droit, ce qui est différent d'un recours en indemnité ou d'un recours pour excès de pouvoir.

Le demandeur peut être assisté (et non représenté) par une association dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ou une association de défense des personnes en situation d'exclusion et agréée par le représentant de l'Etat dans le département.

Ce recours est ouvert à compter du 1er décembre 2008 pour les cinq catégories de personnes les plus prioritaires :
- personnes dépourvues de logement ;
- personnes menacées d'expulsion sans relogement ;
- personnes hébergées temporairement ;
- personnes logées dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux ;
- ménages avec enfants mineurs ne disposant pas d'un logement décent ou en sur-occupation ;
- personnes handicapées ou vivant avec une personne handicapée.

A compter du 1er janvier 2012, le recours sera ouvert pour les autres personnes éligibles au logement social qui n'ont pas reçu de réponse à leur demande de logement après un délai anormalement long.

En l'absence de commission de médiation dans le département, le demandeur peut exercer le recours juridictionnel si, après avoir saisi le représentant de l'Etat dans le département, il n'a pas reçu une offre tenant compte de ses besoins et de ses capacités dans un délai fixé par voie réglementaire.

Le syndicat de la juridiction administrative (SJA) n'a donc pas été entendu sur ce point puisqu'il contestait la possibilité de saisine directe du juge administratif dans les départements non dotés d'une commission départementale de médiation. Selon le SJA, la loi du 29 juillet 1998 impose la création d'une telle commission dans tous les départements : il appartiendrait donc aux préfets d'assurer l'application de cette loi sur l'ensemble du territoire.

Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne statue en urgence, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroule sans conclusions du commissaire du Gouvernement.

Ici encore, les observations du syndicat de la juridiction administrative n'ont pas été prises en compte : ce dernier critiquait le recours à un juge unique sans commissaire du Gouvernement pour une procédure de fond.

Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne, lorsqu'il constate que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d'urgence et que n'a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou le relogement de celui-ci par l'Etat et peut assortir son injonction d'une astreinte.

Il est difficile de comprendre comment, sans création massive de nouveaux logements, le juge administratif pourra ordonner le logement ou le relogement par l'Etat : si des solutions n'ont pu être mises en oeuvre préalablement par la commission de médiation et/ou par le Préfet, quelles solutions s'offriront au juge administratif ? Ce recours sera-t-il suivi d'effet ? La menace d'une astreinte est-elle réellement contraignante ? D'autant que le produit de l'astreinte est versé par l'Etat à un fonds d'aménagement urbain... Ce fonds, institué dans chaque région, pourra ainsi subventionner toute action foncière ou immobilière en faveur du logement locatif social.

Il est, toutefois, surprenant qu'une partie au moins du produit de l'astreinte ne soit pas versé au demandeur : cela revient à mettre en place un mécanisme où l'Etat finance, par le produit d'astreinte résultant de sa carence à proposer une solution de logement ou de relogement de personnes prioritaires, la construction de logements sociaux...

Avant le 1er octobre 2010, le Conseil économique et social doit remettre au Président de la République et au Parlement un rapport d'évaluation relatif à la mise en oeuvre du chapitre Ier de la loi.

Il est, également, institué un comité de suivi de la mise en oeuvre du droit au logement opposable qui remet un rapport annuel au Président de la République, au Premier ministre et au Parlement. Le premier rapport devrait être remis le 1er octobre 2007.

Si le projet de loi met l'accent sur la médiation qui sera un préalable incontournable du recours à la voie contentieuse (excepté dans les régions où une commission de médiation n'aurait pas été créée, malgré l'obligation légale mise à la charge des régions...), il n'en demeure pas mois que l'une des réelles nouveautés instituées par ce texte est le recours devant le juge administratif en cas d'avis favorable de la commission de médiation non suivi d'effet dans un délai raisonnable.

Il est regrettable que les personnes en situation précaire ne puissent se faire représenter par des associations (seul un mécanisme d'assistance étant prévu), et que l'astreinte qui peut être ordonnée par le juge administratif ne leur bénéficie pas en partie, ce qui leur aurait peut être permis de s'acquitter ne serait-ce que temporairement du paiement d'un loyer.

Il est également indispensable que l'Etat garantisse la création de nouveaux logements sociaux permettant d'accueillir les sans-abris ou les "mal-logés".

Au-delà de ces mesures, le projet de loi prévoit donc de nouvelles dispositions pour accroître l'offre de logements.

Espérons que ces dispositions ne demeureront pas lettre morte...

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