Réf. : Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur. |
Décision
Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, Irsam Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT) Rejet (CA Aix-en-Provence, 28 avril 2005) Principe concerné : principe "à travail égal, salaire égal" Mots-clef : rémunération ; principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; date d'embauche ; compensation d'un préjudice. Lien base : |
Faits
1. Mme France Chabalier a été engagée par l'association patronage de l'Institut des jeunes sourds et aveugles de Marseille (Irsam Les Hirondelles), le 15 octobre 1991, en tant que surveillante de nuit. 2. Elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes de reconnaissance de sa qualification et, en conséquence, de paiement d'un rappel de salaire ainsi que de dommages-intérêts pour "mauvaise application" de l'avenant n° 250 du 11 juillet 1994 à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 . |
Solution
1. "Au regard du respect du principe 'à travail égal, salaire égal', la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur". 2. "La cour d'appel a constaté qu'un salarié engagé après le 11 juillet 1994, date d'entrée en vigueur de l'avenant n° 250 à la convention collective nationale du 15 mars 1966, exerçant les mêmes fonctions que Mme Chabalier et bénéficiant de la même ancienneté dans le poste, obtenait un coefficient supérieur à celui de la salariée, engagée avant cette date, sans qu'aucune justification ne soit donnée à cette différence de traitement autre que l'application de l'avenant n° 250, d'où il résulte que la salariée doit bénéficier, en application du principe 'à travail égal, salaire égal', du coefficient attribué aux salariés engagés après la date d'entrée en vigueur de l'avenant n° 250 et placés dans une situation identique". 3. "Le moyen n'est pas fondé". "Par ces motifs : rejette le pourvoi ; condamne l'Irsam aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), rejette la demande". |
Commentaire
1. L'indifférence de la date d'embauche
L'arrêt "Ponsolle" (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, publié N° Lexbase : A9564AAH), qui a fixé les termes de la jurisprudence relative au principe "à travail égal, salaire égal", avait pris la peine de préciser que le droit des salariés à une même rémunération ne valait que pour autant qu'ils se trouvaient dans une situation identique, et les solutions rendues depuis ont permis de mieux cerner cette notion.
De nombreuses conventions collectives réservent certains avantages aux salariés en poste au jour de son entrée en vigueur, créant ainsi une différence de traitement avec les nouveaux embauchés, comme c'était le cas dans cette affaire et de nombreux contentieux. La cour d'appel de Paris avait déjà eu l'occasion d'affirmer très clairement que, "en tout état de cause, la disparité de situation suivant que les salariés occupaient ou non leurs fonctions à compter d'une date donnée n'est pas de nature à justifier une différence de traitement entre salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale". Dans deux décisions non publiées rendues en 2003 (Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-46.219, Union départementale des associations familiales (Udaf) de l'Yonne c/ M. Pascal Felut, FS-D N° Lexbase : A3779A74 ; Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-46.220, Union départementale des associations familiales (Udaf) de l'Yonne c/ M. Michel Durak, FS-D N° Lexbase : A3780A77), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait retenu une analyse comparable en rejetant le pourvoi dirigé contre une cour d'appel qui avait condamné un employeur, après avoir "constaté qu'en fonction de la seule date de leur engagement, les salariés qui se trouvaient dans la même situation et qui exerçaient la même fonction ne percevaient pas la même rémunération", la Cour ayant d'ailleurs indiqué, à cette occasion, que la juridiction avait ainsi "légalement justifié sa décision".
Cet arrêt rendu le 21 février 2007 confirme donc cette jurisprudence, de la manière la plus explicite qui soit, en affirmant que "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux". La Cour de cassation entend, par conséquent, s'éloigner d'une logique purement formelle où des arguments exclusivement juridiques seraient de nature à justifier une différence de traitement. Cette solution s'inscrit donc dans la même perspective que la modification de la jurisprudence "EDF/GDF" (Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498, Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production et c/ Electricité de France (EDF) et autres, publié N° Lexbase : A2677AC7), concernant le rattachement des salariés à des accords d'établissements distincts. On se rappellera, en effet, que la Cour de cassation, tout en confirmant la solution admise en 1999, avait précisé que la justification était admise "compte tenu de leurs caractéristiques", suggérant ainsi que la seule existence d'accords collectifs distincts pourrait ne pas suffire à justifier une différence de traitement, à défaut d'autres éléments tenant aux spécificités de l'établissement. Cette exigence d'éléments concrets, tangibles, susceptibles de justifier une différence de rémunération, nous semble bienvenue. La mise en oeuvre du principe d'égalité salariale vise, en effet, à rétablir l'égalité réelle entre les salariés placés dans une même situation professionnelle : il paraîtrait, dès lors, contraire à l'objectif même poursuivi par la jurisprudence d'admettre des justifications purement formelles et détachées de toute analyse des situations concrètes dans lesquelles sont placés les salariés. 2. La différence fondée sur la volonté de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur
Si la seule considération de la date d'embauche ne saurait suffire à justifier une différence de traitement, d'autres éléments révélés par la date d'embauche peuvent être valablement pris en compte. C'est, en premier lieu, à l'ancienneté des salariés que l'on pensera et qui constitue un élément classique de justification. Cette différence est admise depuis l'arrêt "Ponsolle" lui-même, pour autant qu'elle n'ait pas déjà été prise en compte par le versement d'une prime spécifique. La Cour de cassation a, également, pris en compte l'application de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN) qui garantit aux salariés le maintien des avantages individuels acquis lorsque l'accord d'entreprise est mis en cause à la suite de la fusion de leur entreprise.
D'autres justifications ont, par la suite, été admises, comme la volonté d'éviter la baisse de rémunération consécutive à l'abaissement de la durée légale ou conventionnelle de travail applicable dans l'entreprise, de compenser sur le plan individuel l'éventuelle réduction de la rémunération liée à la modification de la structure collective de la rémunération ou à la redéfinition des attributions des salariés.
C'est bien dans le cadre de cette jurisprudence que s'inscrit cet arrêt où la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme, après avoir posé le principe selon lequel "la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux" qu'il en va différemment lorsque "cet accord collectif [...] a [...] pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de son entrée en vigueur". Ce préjudice constitue, bien entendu, une perte ou un manque à gagner salarial, comme cela a été déjà admis à l'occasion de la réduction de la durée du travail ou de l'abandon de modes de rémunération au rendement.
Il ne faudrait, toutefois, pas se méprendre sur la portée de la formule et penser que, désormais, seule la volonté de compenser un préjudice salarial serait de nature à justifier la différence de traitement introduite par une convention collective entre salariés selon leur date d'embauche. L'ancienneté dans l'entreprise, qui dépend par nature de la date d'embauche, continuera de justifier une différence de traitement, pour l'essentiel, d'ailleurs, par le biais de l'attribution de primes ou d'avantages salariaux.
Il n'y a rien à redire à tout cela. Certes, l'employeur n'est plus véritablement le seul juge de la rémunération versée à ses salariés, mais la liste des justifications admises est longue. L'application du principe "à travail égal, salaire égal", vise d'ailleurs moins à limiter les facultés d'individualisation de rémunération qu'à contraindre l'employeur à plus de transparence et d'objectivité. Pourra-t-on s'en plaindre ? |
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