Réf. : Communiqué de presse de la Commission européenne IP/06/1852 du 20 décembre 2006
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Le GIE fiscal dans sa conception issue de la loi du 2 juillet 1998 est ainsi condamné (I), mais la Commission a fait en pratique preuve d'une grande mansuétude sur la question du remboursement des aides perçues (II).
I. Condamnation
En droit communautaire, le principe est celui de la prohibition des aides d'Etat. L'article 87 CE, paragraphe 1, dispose que "sauf dérogations prévues par le présent Traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". Selon une jurisprudence constante, un avantage fiscal est susceptible d'être constitutif d'une aide d'Etat ; les entreprises bénéficiaires connaissent une réduction de leurs charges qui se traduit par un manque à gagner pour le budget de l'Etat (CJCE, 12 juillet 1973, aff. C-70/72, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A6812AUT, Rec. p. 813). Pour que la mesure soit qualifiée d'aides, il faut en outre que l'avantage revête un caractère sélectif (CJCE, 17 juin 1999, aff. C-75/97, Royaume de Belgique c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A1994AWR, Rec., p. I-3671).
La Commission reprochait essentiellement au dispositif de l'article 39 CA d'être plus avantageux que celui de l'article 39 C qui détermine les principes de l'amortissement des biens donnés en location. Comme cela avait été souligné par Pierre Kirch (op. cit.), "les amortissements dégressifs sont plus soutenus dans le régime dérogatoire, et les frais financiers sont plus concentrés sur les premières années d'utilisation d'année du bien. Il en résulte que les résultats du GIE sont plus déficitaires les premières années par rapport au régime de droit commun mais deviennent plus bénéficiaires au cours de la seconde période". Pour la Commission, quand bien même, dans un premier temps, l'avantage obtenu serait neutralisé par des charges supérieures, dans un second temps, les investisseurs participant aux GIE fiscaux sont favorisés car ils ne sont pas soumis à la limitation de l'amortissement fiscalement déductible prévue par l'article 39 C. Ils peuvent, donc, imputer durant la première période le résultat négatif du GIE sur les bénéfices réalisés dans le cadre de leurs activités courantes. Il existe également un avantage pour l'utilisateur du bien financé dans la mesure où les membres du GIE ont l'obligation de lui rétrocéder les deux tiers de leur propre avantage. Ses charges sont donc diminuées d'autant.
Concernant le critère de la sélectivité, la Commission avait relevé le caractère discrétionnaire de l'agrément et surtout la durée de l'amortissement fixée par l'article 39 CA qui est de huit ans. En pratique, seuls des biens comme les trains, les avions ou les navires pouvaient bénéficier de cet article 39 CA.
Le dispositif est donc bien constitutif d'une aide contraire au Traité. Par ailleurs, il n'est pas susceptible d'entrer dans le champ d'application des dérogations prévues aux paragraphes 2 et 3 de l'article 87 CE. On rappellera que ce n'est pas la première fois que la France est condamnée pour un montage de ce genre. Dans le cadre de la loi "Pons" (loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 portant loi de finances rectificatives pour 1986 N° Lexbase : L3740HU3) qui favorise les investissements outre-mer, certains montages relativement complexes analogues avaient pu être mis en oeuvre. Il s'agissait de financer la construction de navires dont les parts de copropriété étaient vendues à des personnes physiques qui pouvaient ainsi bénéficier des allégements fiscaux de la loi "Pons". La gestion de cette copropriété était confiée à une société qui devait au bout de sept ans devenir propriétaire du navire (CJCE, 3 octobre 2002, aff. C-394/01, République française c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A8952AZL, Rec., p. I-8245 ; TPICE, 22 février 2006, aff. T-34/02, EURL Le Levant 001 e.a. c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A1402DNA, p. II-267).
En dépit de cette condamnation de principe des GIE fiscaux, la Commission s'est montrée d'une grande mansuétude.
II. Mansuétude
Selon la Commission "en dépit de l'illégalité du régime fiscal en cause la France ne l'ayant pas notifié alors qu'elle y est pourtant contrainte par le Traité la Commission a limité la récupération des aides à celles qui pourraient avoir été octroyées postérieurement à la publication de la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen le 13 avril 2005. L'existence de circonstances exceptionnelles, tenant notamment au fait que la Commission avait été informée de l'existence du régime à l'occasion de l'instruction de plaintes concernant le financement de navires, justifie cette limite temporelle à la récupération des aides. Une autre solution aurait en effet été contraire au principe de sécurité juridique" (Communiqué IP/06/1852).
Une telle clémence est particulièrement surprenante. En effet, l'aide est à la fois illégale, car elle n'avait pas été notifiée à la Commission comme l'impose l'article 88 CE, paragraphe 3 , et elle est également incompatible avec le Marché commun. La Cour de justice a, pourtant, récemment rappelé que "sous peine de porter atteinte à l'effet direct de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE et de méconnaître les intérêts des justiciables que les juridictions nationales ont pour mission de préserver, une décision de la Commission déclarant une aide non notifiée compatible avec le marché commun n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui sont invalides du fait qu'ils ont été pris en méconnaissance de l'interdiction visée par cette disposition. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l'inobservation, par l'Etat membre concerné, de ladite disposition et la priverait de son effet utile" (CJCE, 5 octobre 2006, aff. C-368/04, Transalpine Ölleitung in Österreich GmbH, Planai-Hochwurzen-Bahnen GmbH, Gerlitzen-Kanzelbahn-Touristik GmbH & Co. KG, c/ Finanzlanderdirektion für Tirol, Finanzlandesdirektion für Steimark, Finanzlandesdirektion für Kärnten N° Lexbase : A3997DRH, n° 41) (v. déjà, CJCE, 21 novembre 1991, aff. C-354/90, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon contre République française N° Lexbase : A9575AU8, Rec. p. I-5505). Cette solution devrait a fortiori valoir pour les aides qui sont incompatibles.
On rappellera, toutefois, que selon l'article 14, paragraphe 1, du Règlement n° 659/99 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4215AUN, JOCE n° L 83 du 27 mars 1999, p. 1), "en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'Etat membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire [...]. La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire". Tel est le cas du principe de sécurité juridique.
Certes, il est possible de considérer que les bénéficiaires des aides étaient de bonne foi, mais ce serait une première de considérer qu'une telle circonstance suffit à justifier la non-répétition des aides illégales de surcroît incompatibles avec le Marché commun. La Cour a jugé que "compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l'article 93 du Traité [N° Lexbase : L5408BCB], les entreprises bénéficiaires d'une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l'aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article. En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s'assurer que cette procédure a été respectée" (CJCE, 20 septembre 1990, aff. C-5/89, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A9405AUU, Rec., p. I-3437, spéc. n° 14). Dans cette même affaire, la Cour admettait que "la possibilité, pour le bénéficiaire d'une aide illégale, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s'opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait certes être exclue" (n° 16).
Mais, dans cette affaire, on ne voit pas très bien en quoi le fait que la Commission ait été informée de l'existence du régime à l'occasion de l'instruction de plaintes concernant le financement de navires constitue une circonstance exceptionnelle. Cette décision de la Commission manifeste assurément un infléchissement de sa position traditionnelle et il n'est pas sûr qu'elle puisse être considérée comme légale en l'état de la jurisprudence de la Cour de justice. Heureusement pour tous les intéressés (banquiers, armateurs, République française et Commission), il est fort peu probable qu'elle soit attaquée par quiconque.
Bref, le lobbying des armateurs et de leurs banquiers a probablement bien fonctionné... Dans la mesure où, à compter de l'ouverture de l'enquête par la Commission, le Gouvernement avait arrêté d'accorder des agréments, la décision d'incompatibilité de la Commission n'a donc aucune incidence pratique. Toutefois, le GIE fiscal devrait renaître de ses cendres grâce à la nouvelle mouture de l'article 39 C du Code général des impôts introduit par la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 (v. P. Fumenier, GIE fiscaux : la loi trace les contours d'une renaissance, Droit fiscal décembre 2006, n° 72 ; Loi de finances pour 2007 et loi de finances rectificative pour 2006 : dispositions relatives aux entreprises, Lexbase Hebdo - édition fiscale, n° 242 du 4 janvier 2007 N° Lexbase : N5603A9E).
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