La lettre juridique n°248 du 15 février 2007 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] Chômeurs "recalculés" : la Cour de cassation rejette l'analyse contractuelle du Pare

Réf. : Cass. soc., 31 janvier 2007, n° 04-19.464, Assedic Alpes Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A7035DTQ)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

le 09 Février 2021

Par son arrêt rendu le 31 janvier 2007, la Cour de cassation met un terme à la polémique médiatisée sous le nom des "recalculés", relative aux droits à indemnisation des demandeurs d'emploi signataires d'un plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) en application de la convention du 1er janvier 2001 (N° Lexbase : L4594AQ9). En l'espèce, la cour d'appel avait considéré que l'Assédic devait maintenir, au profit des demandeurs d'emploi, le versement de l'allocation chômage jusqu'au terme de la période d'indemnisation telle que fixée à la date à laquelle ils avaient signé un Pare, alors même qu'étaient intervenus, depuis cette signature, un avenant à la convention du 1er janvier 2001 réduisant les durées d'indemnisation, ainsi qu'une nouvelle convention d'assurance chômage applicable au 1er janvier 2004. Se prononçant sur des actions antérieures à l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 mai 2004 (CE 1° s-s, 7 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres N° Lexbase : A1829DCQ ; lire nos obs., Le Conseil d'Etat annule les arrêtés d'agrément de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 et du 1er janvier 2004, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1669ABG), la Cour de cassation annule la décision conduisant à recalculer les indemnités des demandeurs d'emploi signataires d'un Pare. Le Pare ne contient aucun engagement de l'Assédic de leur verser l'Are pendant une durée déterminée. Le taux et la durée de leur indemnisation résultent de décisions d'admission au bénéfice de l'allocation prononcées par l'Assédic en application du règlement annexé à la convention du 1er janvier 2001, et non du Pare. La Cour suprême exclut, ainsi, le caractère contractuel du Pare (1), décision dont il faut mesurer, dès à présent, les conséquences (2).

Résumé

Le Pare n'est pas un contrat liant le chômeur à l'Assédic, par lequel l'Assédic s'engage à verser une allocation chômage pour une période déterminée et selon un certain taux. Le régime d'assurance chômage peut donc modifier les durées d'indemnisation sans que les chômeurs ne puissent invoquer une violation du contrat les liant aux Assédic.

Décision

Cass. soc., 31 janvier 2007, n° 04-19.464, Assédic Alpes Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A7035DTQ)

Cassation (CA Aix-en-Provence, 9 septembre 2004)

Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; art. 1 convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 (N° Lexbase : L4594AQ9) ; art. 36 du règlement annexé à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.

Lien bases :

Faits

M. X. et 36 autres salariés involontairement privés d'emploi ont saisi la juridiction civile, le 19 janvier 2004, d'une demande tendant à la condamnation de l'Unedic et de l'Assédic Alpes Provence à maintenir le versement, à leur profit, de l'allocation d'aide au retour à l'emploi jusqu'au terme de la période d'indemnisation calculée sur la base de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.

La cour d'appel donne raison aux chômeurs ; elle condamne l'Assédic Alpes Provence à maintenir, pour les bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, le versement de cette prestation telle que fixée à la date à laquelle ils ont signé le Pare, avec rappel de l'arriéré à compter du 1er janvier 2004. Elle déclare cette disposition opposable à l'Unedic et condamne l'Assédic Alpes Provence et l'Unedic à payer à chacun des demandeurs une somme à titre de dommages-intérêts.

Cassation.

Solution

Le Pare signé par chacun des demandeurs d'emploi ne contient aucun engagement de l'Assédic de leur verser l'allocation d'aide au retour à l'emploi pendant une durée déterminée. Le taux et la durée de leur indemnisation résultent de décisions d'admission au bénéfice de cette allocation prononcées par l'Assédic, en application de l'article 36 du règlement annexé à la convention (et non de leur Pare).

Observations

1. Rejet de la qualification contractuelle du Pare

La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 instituant le plan d'aide au retour à l'emploi (Pare) et reconduite dans les mêmes termes en 2004 (convention du 1er janvier 2004 N° Lexbase : L1532DPG, en ce qui concerne le Pare et le Pap) a entendu marquer une rupture avec les conventions d'assurance chômage antérieures, en jetant les bases d'un nouveau régime fondé sur le principe de l'activation des dépenses dites "passives" (c'est-à-dire l'indemnisation), l'intervention active du régime d'assurance chômage dans l'aide au retour à l'emploi des chômeurs et, enfin, la contractualisation des rapports avec les chômeurs, ces derniers s'engageant précisément sur une obligation de moyens portant sur le retour vers l'emploi. La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 avait, de ce fait, suscité un débat assez vif dans la communauté des juristes.

En 2004, un contentieux abondant est apparu, portant sur la nature juridique du Pare, focalisé sur la qualification de contrat. Un certain nombre de chômeurs ont considéré que le Pare, véritable contrat, liait les Assédic aux chômeurs, lesquelles ne pouvaient, dès lors, modifier unilatéralement la durée de versement des allocations (ce que les médias ont dénommé les "recalculés", parce que les allocations étaient recalculées sur de nouvelles bases).

1.1. La thèse contractuelle du plan d'aide au retour à l'emploi défendue par la doctrine et certaines juridictions

Le TGI de Marseille (TGI Marseille, 15 avril 2004, n° RG 04/02019, M. Eric Lazari et 36 autres c/ l'Assédic Alpes Provence - l'Unedic N° Lexbase : A8578DBC ; lire nos obs., Le Pare est-il vraiment un contrat ?, Lexbase Hebdo n° 118 du 29 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1385ABW) et le TGI de Paris (11 mai 2004), confirmé en appel par la cour d'appel de Paris (21 septembre 2004), ainsi que la cour d'appel d'Aix-en-Provence (9 septembre 2004, décision censurée par la Cour de cassation par l'arrêt rapporté) avaient donné satisfaction aux revendications des chômeurs, en reconnaissant au Pare une nature contractuelle.

Le TGI de Marseille avait retenu la qualification juridique de contrat en relevant que le Pare comporte un double engagement : pour le chômeur, celui de respecter les engagements souscrits au titre du projet d'action personnalisé (Pap) avec l'ANPE ; en contrepartie du respect de cet engagement, se trouve l'obligation pour l'Assédic de verser cette indemnité. Le TGI en tirait la conclusion que "l'interdépendance de ces deux obligations réciproques souscrites par deux personnes de droit privé caractérise la formation d'un contrat synallagmatique, chacun des engagements étant la cause de l'autre".

Cette argumentation a été critiquée sur plusieurs points. L'engagement pris par le chômeur (dont l'ANPE est créancière) est étranger à la dette contractée par l'Assédic (vis-à-vis du chômeur) relativement au paiement de l'allocation chômage. Le chômeur est, dans ses relations avec l'Assédic, en situation d'assuré. Il a cotisé un temps minimum (période de référence), il remplit certaines conditions : dès lors, l'Assédic doit lui verser une prime, en raison de la réalisation d'un "sinistre" (le chômage).

La cour d'appel (Aix-en-provence, 9 septembre 2004), dont l'arrêt est cassé par la Cour de cassation par l'arrêt rapporté, avait condamné l'Assédic Alpes Provence à maintenir, pour les bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, le versement de cette prestation telle que fixée à la date à laquelle ils ont signé le Pare, avec rappel de l'arriéré à compter du 1er janvier 2004. Les juges du fond retenaient que, nonobstant le cadre statutaire de l'assurance chômage défini par la loi et la convention d'assurance chômage, les partenaires sociaux avaient entendu créer un dispositif nouveau individualisant les engagements envers l'Assédic des demandeurs d'emploi éligibles à l'allocation de retour à l'emploi et réciproquement. L'Assédic, qui a souscrit un engagement singulier à l'égard de chaque signataire du Pare, avait, en réduisant leurs droits ou en les supprimant à compter du 1er janvier 2004, manqué à cet engagement et, ainsi, causé aux intéressés un préjudice ouvrant droit à réparation.

1.2. Rejet de la thèse contractuelle du plan d'aide au retour à l'emploi défendue par la doctrine et certaines juridictions

Le TGI de Roanne (26 mai 2004) refusait cette qualification contractuelle du Pare. De même, le TGI de Paris, en 2002, relevait que la signature du Pare ne peut être considérée comme une contractualisation des rapports entre l'allocataire, l'Assédic et l'ANPE, car les engagements pris à cette occasion ne sont que le rappel des obligations voulues par le législateur (TGI Paris, 2 juillet 2002).

Certains auteurs ont relevé que, si le Pare est contractuel, il n'engage les chômeurs à aucune obligation autre que celles déjà prévues par le Code du travail. Le Pare trouve sa place dans un encart indivisiblement inséré parmi d'autres dans le formulaire unique d'inscription à l'ANPE et de demande d'allocations. Ne contenant aucune rubrique à compléter qui le personnaliserait, ce document se borne à exprimer des engagements, mais impersonnels et généraux.

L'arrêt rapporté met un terme définitif à la polémique. Visant l'article 1er de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001, la Cour de cassation n'est pas convaincue que les partenaires sociaux avaient entendu créer un dispositif nouveau individualisant les engagements envers l'Assédic des demandeurs d'emploi, l'Assédic ayant souscrit un engagement singulier à l'égard de chaque signataire du Pare.

Au contraire, selon la Cour de cassation (arrêt rapporté), le Pare signé par chacun des demandeurs d'emploi ne contenait aucun engagement de l'Assédic de leur verser l'allocation d'aide au retour à l'emploi pendant une durée déterminée. Le taux et la durée de leur indemnisation résultaient de décisions d'admission au bénéfice de cette allocation prononcées par l'Assédic, en application de l'article 36 du règlement annexé à la convention.

2. Conséquences juridiques du rejet de la nature contractuelle du Pare

2.1. Les "recalculés" : un contentieux inutile et obsolète

Une fois retenue la qualification juridique de contrat, le TGI de Marseille (préc.) avait pris acte du fait que l'Assédic n'avait pas satisfait à ses engagements contractuels, tels que fixés par la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001. Or, face aux difficultés financières traversées par le régime, l'Unédic a modifié, en décembre 2000, le calcul des allocations de chômage. Les chômeurs ont ainsi considéré, devant le TGI de Marseille, que l'Assédic n'avait pas respecté le contrat "Pare".

Il faut rappeler que la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 avait institué un nouveau dispositif, dénommé "plan d'aide au retour à l'emploi", qui mentionne les obligations des demandeurs d'emploi éligibles à l'indemnisation ainsi que les engagements de l'ANPE et de l'Unédic à leur égard.

En raison d'une dégradation du marché de l'emploi ayant mis en difficulté le régime d'assurance chômage, les partenaires sociaux ont conclu, le 27 décembre 2002, un avenant n° 5 au règlement annexé à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 dont l'article 5 réduit les durées d'indemnisation, un avenant n° 6 à cette convention dont l'article 8 stipule que l'avenant au règlement s'applique à tous les salariés involontairement privés d'emploi dont la fin du contrat de travail est postérieure au 31 décembre 2002, et une nouvelle convention d'assurance chômage, applicable au 1er janvier 2004, dont l'article 10, alinéa 2, prévoit que les durées d'indemnisation des salariés involontairement privés d'emploi, dont la fin de contrat de travail est antérieure au 1er janvier 2003, sont converties, en fonction des durées visées à l'article 12 du règlement annexé, à compter du 1er janvier 2004 (avenants à la convention du 1er février 2001 et à son règlement annexé et la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004 rendus obligatoires par arrêtés d'agrément du 5 février 2003).

Mais, par une décision du 7 mai 2004, le Conseil d'Etat a annulé, sous réserve des actions contentieuses engagées à cette date contre les actes pris sur leur fondement, les dispositions des arrêtés agréant les accords modifiant la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 et l'arrêté agréant la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004.

La portée de cette jurisprudence initiée par la Cour de cassation (arrêt rapporté) n'est pas mince, parce qu'il faut comprendre que toute action en contestation du Pare (selon le même principe que l'affaire des "recalculés") est vouée à l'échec, la Cour de cassation rejetant fermement la thèse du contrat associé au Pare. Il en va ainsi d'un contentieux portant sur la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, qui pourrait parfaitement se produire, si l'on se souvient des profonds changements introduits par la nouvelle convention d'assurance chômage.

Il faut donc comprendre de la jurisprudence inaugurée par la Cour de cassation par l'arrêt rapporté, que les chômeurs ne peuvent plus invoquer leur statut de cocontractant des Assédic par le support du Pare, pour contester, devant les juges, tout changement dans le bénéfice de leurs allocations, qu'il s'agisse de leur mode de calcul, de leur montant et de la durée de versement.

2.2. Le débat sur le caractère obligatoire de la conclusion d'un Pare n'est plus d'actualité

En disposant que le versement des allocations prévu par le règlement annexé à la convention d'assurance chômage est consécutif à la signature du Pare, le régime d'assurance chômage avait initié un débat très ouvert, sur le caractère obligatoire ou non de la conclusion d'un Pare.

En d'autre termes, il s'agissait d'apprécier dans quelle mesure la conclusion d'un Pare constitue, ou non, une nouvelle condition au bénéfice du revenu de remplacement. Le TGI de Paris, en 2002, s'était tenu à la valeur symbolique du Pare pour rejeter l'idée d'obligation de conclure un Pare (TGI Paris, 2 juillet 2002). Dans le même sens, le Comité supérieur de l'emploi estimait que le Pare ne constitue pas une nouvelle condition au bénéfice du revenu de remplacement (Comité supérieur de l'emploi, rapport relatif à l'agrément de la convention du 1er janvier 2001, publié dans l'arrêté du 4 décembre 2000 N° Lexbase : L3111ANK).

L'arrêt rapporté rendu par la Cour de cassation met un terme à ce type de questionnement, du moins implicitement.

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