La lettre juridique n°248 du 15 février 2007 : Marchés publics

[Jurisprudence] Les contrats conclus pour leur compte par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées sont des contrats privés

Réf. : Cass. civ. 1, 9 janvier 2007, n° 05-14.365, Société Pollet, FS-P+B (N° Lexbase : A4804DT4)

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le 07 Octobre 2010

1-Tout comme le droit administratif général, le droit des contrats administratifs est de moins en moins jurisprudentiel (1). Face à la multiplication des textes internationaux, européens, communautaires et nationaux, la conclusion s'impose avec la force de l'évidence et le débat porte aujourd'hui davantage sur la mesure du déclin du caractère jurisprudentiel du droit des contrats administratifs que sur son existence. Il est, en effet, difficile et sans doute même impossible de dire si ce droit est aujourd'hui majoritairement, essentiellement ou partiellement jurisprudentiel. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas sérieusement contester l'ampleur du travail accompli par le juge administratif entre la fin du 19ème siècle et les trente premières années du 20ème siècle et force est de constater que la plupart des règles forgées à cette époque font encore partie du droit positif, soit sous leur forme originelle (ce sont les "règles générales applicables aux contrats administratifs" auxquelles le juge administratif fait référence de temps à autre), soit sous une forme écrite (bon nombre de textes, tels que le Code des marchés publics, l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat N° Lexbase : L2584DZQ) ou encore la loi "Sapin" du 29 janvier 1993 N° Lexbase : L8653AGL) reprennent la substance de ces règles jurisprudentielles pour les décliner aux différents contrats administratifs spéciaux). Mais, si le rôle du juge administratif reste important, il n'est pas exclusif de l'intervention du juge judiciaire (2). Il n'est pas rare, en effet, que le juge civil soit saisi d'un litige l'amenant à développer sa propre conception de la notion de contrat administratif et l'arrêt rendu le 9 janvier 2007 par la première chambre civile de la Cour de Cassation en constitue une parfaite illustration. 2-A l'origine de l'affaire se trouvait une convention cadre conclue le 6 octobre 1994 par la société d'économie mixte La Madeleine (SAIEM) avec la société SCIC Amo, devenue SCIC développement, puis Icade G3A, et dont l'objet portait sur la passation de mandats de maîtrise d'ouvrage pour la construction de logements sociaux à Evreux. Dans le cadre de sa mission, la SCIC développement avait noué des contacts avec la société Pollet, laquelle était détentrice d'un brevet qui évitait de recourir à la procédure d'appels d'offres. Mais les négociations n'ont pas abouti et la SAIEM, sans donner suite à une ultime proposition de la société Pollet, a finalement lancé un appel d'offres en janvier 1999 au terme duquel la société Pollet n'a pas été retenue. S'estimant lésée, cette dernière a alors assigné la SAIEM et la SCIC développement devant le tribunal de commerce de Nanterre en responsabilité pour rupture abusive des pourparlers du marché. En première instance comme en appel, le juge judiciaire a rejeté le recours formé par la société Pollet au motif, notamment, qu'elle n'était pas en mesure d'obtenir le financement adéquat et que la SCIC développement n'avait commis aucune faute. Surtout, dans son arrêt du 10 février 2005, la cour d'appel de Versailles a cru bon de rejeter le recours formé par la société Pollet au motif que le litige se rapportait à un contrat administratif à l'égard duquel le juge judiciaire n'était pas compétent. Plus précisément, elle a considéré que les critères organique et matériel du contrat administratif étaient remplis. Sur le premier, les juges d'appel ont considéré que la SAIEM était une société d'économie mixte entièrement contrôlée par la ville d'Evreux, qu'elle concourait à des missions d'intérêt général et qu'en dépit de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés elle présentait tous les traits d'une véritable personne morale de droit public. Sur le second, ils ont estimé que le litige se rapportait à la signature d'un marché de travaux publics relatif à la construction de logements sociaux dans la ville d'Evreux.

3-Saisi par la société Pollet, la Cour de Cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel au motif que "les sociétés d'économie mixte sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au Code des marchés publics et que les contrats qu'elles concluent, pour leur propre compte et non pour le compte d'une personne morale de droit public, avec une personne privée sont des contrats de droit privé". Les spécialistes du droit administratif verront dans cette décision le rappel d'une solution classique. On sait, en effet, qu'en matière contractuelle, et à la différence de la jurisprudence relative aux actes administratifs unilatéraux, la présence directe ou indirecte d'une personne publique est toujours nécessaire même si elle n'est jamais suffisante pour entraîner la qualification administrative du contrat, la compétence du juge éponyme et l'application des règles du droit public. Il reste qu'elle n'est pas sans intérêt car elle donne l'occasion de rappeler que si les contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées sont par principe des contrats privés (I), il arrive aussi qu'ils soient qualifiés de contrats administratifs (II).

I- Le principe : la nature privée des contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées

4-Comme le juge administratif, le juge judiciaire considère que les contrats conclus entre deux personnes privées ont une nature privée (A). Sans doute peut-on regretter que le fondement de cette solution n'ait jamais été explicitement précisé ni par l'un ni par l'autre (B).

A- Une solution classique

5-Le principe du caractère privé d'un contrat conclu entre deux personnes privées est ancien. Très tôt, la jurisprudence et la doctrine ont totalement exclu qu'un tel contrat puisse posséder une nature administrative. Toute une série d'arrêts relativement anciens ont clairement posé le principe (3) et les grands travaux doctrinaux consacrés à l'étude du contrat administratif entre la fin du 19ème siècle et le milieu du 20ème siècle ont raisonné comme si seuls les contrats passés par l'administration pouvaient prétendre à la qualification de contrat administratif (4). Ainsi Georges Péquignot écrivait-il en 1945 dans sa remarquable Contribution à la théorie générale du contrat administratif que "tous les contrats conclus par les administrations ne sont [...] pas nécessairement des contrats administratifs. Mais il faut bien se garder de formuler la proposition réciproque. Il est nécessaire, au contraire, pour qu'un contrat possède la qualité d'administratif, que l'administration y soit partie. Un contrat entre deux particuliers n'est pas un contrat administratif : il en est, par exemple, ainsi des contrats conclus par des organismes privés, même si ceux-ci poursuivent un but d'intérêt général ou sont soumis à un certain contrôle de la part de l'Etat" (5).

6-La solution n'a pas été remise en cause par la suite. Elle a, au contraire, été réaffirmée avec force par la jurisprudence à tel point que le Tribunal des conflits considère, depuis l'arrêt "Société Compagnie générale d'entreprise de chauffage" du 26 juin 1989, qu'elle constitue "une règle de valeur législative" (6). Sans doute faut-il y voir l'expression d'une "sorte" de principe général du droit (un peu étrange à vrai dire car il est rare qu'une règle de compétence juridictionnelle soit érigée au rang de principe général du droit, au surplus par le Tribunal des conflits) auquel seul le législateur peut déroger. Sont, donc, aujourd'hui qualifiés de contrats privés les contrats liant deux personnes privées et cela alors même que l'une d'entre elles est concessionnaire de service public (7) ou participe à l'exécution d'une mission de service public. Est également sans effet la circonstance que le contrat satisfait par ailleurs au critère matériel du contrat administratif : l'insertion de clauses exorbitantes (8), la soumission à un régime exorbitant du droit privé, le lien avec un travail public (9) ou une mission de service public ne suffisent pas à eux seuls à qualifier d'administratifs les contrats conclus entre deux personnes privées.

B- Les fondements de la solution

7-Ni le juge judiciaire ni le juge administratif n'ont pris le soin de préciser les fondements du principe selon lequel les contrats conclus entre personnes privées ont une nature privée. Celui-ci semble s'imposer avec la force de l'évidence et la seule explication avancée par les commissaires du Gouvernement réside dans la simplicité du critère organique. Dès 1963, G. Braibant affirmait dans ses conclusions sur l'arrêt "Syndicat des praticiens de l'art dentaire du Nord" "que la délimitation des compétences entre la juridiction administrative et l'autorité judiciaire soit compliquée, subtile, nuancée à l'excès, c'est aujourd'hui une vérité d'évidence sur laquelle il est inutile d'insister. Dans cet écheveau de principes, d'exceptions, et d'exceptions aux exceptions, il subsiste heureusement quelques règles claires, précises, constantes : tel est le cas de la règle selon laquelle les contrats passés par des personnes privées sont des contrats privés" (10). En 1999, J. Arrighi de Casanova soutenait devant le Tribunal des conflits (et a fortiori devant certains membres de l'autorité judiciaire compte tenu de la composition paritaire de ce Tribunal) que l'abandon de l'exigence organique serait "radicalement contraire à l'objectif de simplification qui doit, dans un souci de bonne administration de la justice, guider dans toute la mesure du possible la répartition des compétences entre les ordres de juridiction" (11).

8-Nul ne peut sérieusement contester la simplicité de l'équation contrat conclu entre personnes privées égale contrat privé. Il reste que pour faire face à la réalité de l'action administrative, laquelle se traduit par le recours de plus en plus fréquent à la technique contractuelle et à la personnalité privée (12), le juge administratif a reconnu qu'il ne fallait pas toujours s'arrêter aux apparences et qu'il convenait parfois de rechercher si derrière l'une des personnes privées contractantes ne se dissimulait pas une personne publique. Comme l'illustre l'arrêt commenté, le juge judiciaire retient une conception identique et cela même si elle provoque en retour une réduction de sa sphère de compétence.

II- La nature administrative de certains contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées

9- Les contrats conclus par les sociétés d'économie mixte avec d'autres personnes privées peuvent être qualifiés d'administratifs s'il apparaît qu'elles sont transparentes et dissimulent une personne publique dont elles constituent en réalité le faux-nez (A). Il se peut aussi que sans être transparentes les sociétés d'économie mixte agissent comme mandataires d'une personne publique (B). Ces deux hypothèses méritent d'être clairement distinguées car elles correspondent à deux courants jurisprudentiels distincts. D'ailleurs, il semble que dans la présente affaire la cour d'appel ait entendu invoquer la notion de transparence pour retenir l'incompétence du juge judiciaire alors que la Cour de cassation a finalement opté pour la thèse du mandat.

A- La société d'économie mixte transparente

10-La tentation est forte pour les collectivités publiques, et surtout pour les collectivités territoriales, de recourir à la personnalité privée (et notamment à celle de l'association ou de la société d'économie mixte) pour échapper aux règles du droit public en général et de la comptabilité publique en particulier (13). En chargeant une personne morale de droit privé de conclure à sa place un certain nombre de contrats avec d'autres personnes privées, l'administration parvient à contourner le régime juridique général du contrat administratif et la compétence du juge administratif. Le juge a bien connaissance et conscience de ce genre de pratiques et des abus auxquelles elles peuvent conduire et il n'hésite donc pas à qualifier la personne privée contractante de transparente et à faire comme si la personne publique avait en vérité signé le contrat litigieux. Pour ce faire, il fonde sa solution sur la réunion de quatre critères devenus classiques en jurisprudence : création de la personne privée à l'initiative d'une personne publique, objet public et plus précisément gestion d'une mission de service public, financement public et influence publique

11-Un exemple bien connu de l'utilisation de la théorie des institutions transparentes en matière contractuelle est l'arrêt "Laurent" du 22 avril 1985. S'agissant d'un contrat relatif à l'exécution d'une mission de service public (une fête locale traditionnelle et plus précisément un lâcher de taureau) conclu entre un comité des fêtes municipal et un manadier, le Tribunal des Conflits a considéré que ledit comité avait agi pour le compte d'une personne publique "eu égard à son organisation et à son mode de financement" et qu'il convenait donc de qualifier ledit contrat de contrat administratif (14). Dans l'affaire jugée par la Cour de cassation le 9 janvier 2007, la cour d'appel a clairement entendu se placer sur ce terrain de la transparence. On retrouve, en effet, dans l'argumentation de la cour d'appel de Versailles une référence explicite aux deux indices tirés du contrôle public (la SAIEM est "une société d'économie mixte entièrement contrôlée par la ville d'Evreux, qui détient la majorité de son capital social") et de l'objet public ("elle concourt à des missions d'intérêt général, telles que la construction de logements sociaux"). Et de cette double constatation, les juges versaillais ont conclu qu'en "dépit de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, la SAIEM est une personne morale de droit public". Nul doute qu'une telle appréciation méritait d'être censurée. S'il est vrai que la jurisprudence n'exige pas toujours la réunion des quatre indices évoquées pour établir la situation de transparence, elle n'a jamais affirmé, comme l'a fait la cour d'appel, que la société d'économie mixte transparente est une personne morale de droit public. La reconnaissance de la transparence d'une institution n'a jamais eu pour effet de transformer une personne privée en personne publique. Elle permet simplement de débusquer la personne publique qui se cache derrière la personne privée.

B-La société d'économie mixte mandataire

12-La Cour de cassation a donc logiquement cassé l'arrêt de la cour d'appel en rappelant solennellement que "les sociétés d'économie mixte sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au Code des marchés publics et que les contrats qu'elles concluent, pour leur propre compte et non pour le compte d'une personne morale de droit public, avec une personne privée sont des contrats de droit privé". Par cette formule, elle a en réalité fait d'une pierre deux coups. Elle a censuré le raisonnement erroné que l'on sait en soulignant que la transparence d'une personne morale de droit privé n'en faisait pas pour autant une personne morale de droit public. Mais elle a aussi placé son argumentation sur un autre terrain que la transparence comme en témoigne l'utilisation de l'expression "pour le compte de". On sait, en effet, que par cette formule le juge renvoie directement à la notion de mandat. Celui-ci peut être un mandat civil au sens de l'article 1984 du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD) (1°) ou être un mandat spécifique propre au droit administratif (2°) (15).

1-La société d'économie mixte titulaire d'un mandat civil

13-Il n'est pas rare que le juge qualifie d'administratif un contrat conclu entre deux personnes privées lorsqu'il lui apparaît que l'une d'entre elles a agi en vertu d'un mandat délivré par l'administration dans les conditions définies par l'article 1984 du Code civil lequel dispose que le mandat est "l'acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom". Il n'est pas toujours facile de déterminer sur quel fondement le juge a entendu se placer pour identifier un contrat administratif conclu entre personnes privées et plus précisément de savoir s'il s'agit d'un mandat civil ou d'un mandat administratif. En vérité, quelques signes ne trompent pas. Le renvoi dans les visas des décisions du juge aux dispositions pertinentes du Code civil est un renseignement très fort. De même, le vocabulaire employé par le juge n'est pas le même lorsqu'il se fonde sur l'existence d'un mandat civil. Dans cette hypothèse, il affirme volontiers que l'une des personnes privées contractantes a agi "par mandat et pour le compte" d'une personne publique (16) ou même "au nom et pour le compte" de l'administration (17) alors qu'il considère que la personne privée a seulement agi "pour le compte" de l'administration dans le cadre d'un mandat administratif.

2-La société d'économie mixte titulaire d'un mandat administratif

14-L'idée selon laquelle il existerait un mandat administratif distinct du mandat civil est aujourd'hui plus facilement admise que par le passé et on doit s'en féliciter car elle permet de donner une certaine unité à des courants jurisprudentiels que l'on s'expliquait difficilement (18). Ce mandat administratif repose comme son homologue civiliste sur une logique de représentation. Cependant, il s'en distingue aussi largement car son identification repose sur une série de critères qui en font un concept jurisprudentiel relativement souple (19).

15-Le premier d'entre eux peut être qualifié de matériel et renvoie à la célèbre jurisprudence "Société Entreprise Peyrot" (20). Dans cette décision, le Tribunal des conflits a qualifié d'administratif le contrat conclu entre la société concessionnaire de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur et la société Entreprise Peyrot en arguant du fait que "la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l'Etat ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l'ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public [...] qu'il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l'ouvrage pour la construction d'autoroutes dans les conditions prévues par la loi du 18 avril 1955, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l'Etat, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l'Etat, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public, ou une société d'économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit privé d'une telle société". Cette jurisprudence a été interprétée dans un premier temps comme consacrant une véritable exception au critère organique du contrat administratif, la doctrine majoritaire considérant que le critère matériel des travaux appartenant par nature à l'Etat permettait à lui seul de justifier la qualification administrative d'un contrat conclu entre personnes privées (21). En vérité, même si une partie de la doctrine continue de soutenir cette thèse (22), plusieurs arguments inclinent à penser que le courant jurisprudentiel initié par la décision société Entreprise Peyrot peut être rattaché à la notion de mandat administratif. Le commissaire du Gouvernement Lasry avait souligné tout d'abord dans ses conclusions que la société concessionnaire d'autoroutes était placée "dans une situation de fait et de droit assimilable à celle d'un mandataire, agissant pour le compte d'une personne morale de droit public et dans les mêmes conditions que celle-ci" (23). Par ailleurs, l'emploi par le répartiteur des compétences de l'expression "pour le compte de" peut parfaitement être interprété comme attribuant une connotation organique au critère matériel des travaux "appartenant par nature à l'Etat". Enfin, cette thèse du mandat administratif permet d'établir un lien entre la jurisprudence "Peyrot" et celle qui s'est développée par la suite.

16-Le deuxième critère d'identification du mandat administratif est d'ordre relationnel. Il se compose en une pluralité d'indices qui permettent d'établir que l'une des deux personnes privées contractantes, sans être transparente, entretient des relations tellement étroites avec l'administration qu'il apparaît qu'elle agit en réalité pour son compte. Sa consécration remonte à l'arrêt "Société d'équipement de la région montpelliéraine (SERM)" du 30 mai 1975 (24). Ayant à connaître d'un contrat par lequel la SERM, concessionnaire d'une zone à urbaniser en priorité, avait confié à une entreprise la construction des voies publiques traversant cette zone, la Section du contentieux du Conseil d'Etat a reconnu sa compétence au motif que la SERM "agissait non pas pour son propre compte, ni en sa qualité de concessionnaire mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient être remises". Cette jurisprudence a été largement confirmée par la suite, aussi bien par le juge administratif (25), par le juge des conflits (26) que par le juge judiciaire (27). Et le Conseil d'Etat n'a pas hésité à affirmer explicitement que le fondement de la compétence administrative était bien le mandat. Dans l'arrêt "Société provençale d'équipement" du 27 novembre 1987, la Section du contentieux a en effet indiqué, concernant un appel en garantie intenté par la société requérante contre un maître d'oeuvre privé, qu'elle "agissait non pas pour son compte ni en sa qualité de concessionnaire mais pour le compte du Syndicat mixte d'équipement d'Aubagne et pour le compte de la commune d'Aubagne" avant de préciser qu'elle agissait ici comme "mandataire" (28). Pour identifier ce mandat administratif fondé sur un critère relationnel, le juge utilise de nombreux indices tels que l'objet du contrat, le contrôle de la personne publique sur les travaux effectués, le versement de subventions publiques, la remise des ouvrages construits à l'administration, la substitution de plein droit de la collectivité publique à la personne privée pour toute action en responsabilité décennale (29), le mode de création de la société privée, les règles applicables à son personnel, la composition de son capital, la similitude d'intérêts avec une personne publique (30), les conditions d'exécution du contrat, l'existence d'un lien de subordination vis-à-vis du chef de service de la personne publique, etc (31).

17-Rien ne permet de deviner si le juge de renvoi (la cour d'appel de Versailles autrement composée) privilégiera la thèse de la transparence comme elle l'a déjà fait dans son arrêt du 10 février 2005 (32) ou si elle tranchera en faveur de l'identification d'un mandat administratif (lequel ne pourrait être qu'un mandat administratif reposant sur un critère relationnel car la construction de logements sociaux n'a jamais été qualifiée de travaux appartenant par nature à l'Etat). En tout cas, il est un dernier point important qu'il ne faut pas négliger : l'identification d'un mandat administratif est sans influence sur la détermination du champ d'application du Code des marchés publics. En effet, les sociétés d'économie mixte sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au Code des marchés publics. Cela signifie que si la découverte d'un mandat administratif entraîne la qualification administrative du contrat conclu entre deux personnes privées, elle n'a pas pour effet de le faire entrer dans le champ d'application organique du Code des marchés publics. Cette solution résulte très clairement de l'arrêt "Société National Westminster Bank" (33) : "aucune disposition du Code des marchés publics ni aucune autre disposition n'a pour objet ou pour effet de rendre ce code applicable, de façon générale, aux marchés des sociétés d'économie mixte ; qu'il en va ainsi des marchés des sociétés d'économie mixte concessionnaires de travaux autoroutiers, alors même que, lorsqu'ils sont passés pour l'exécution de tels travaux, ils sont soumis aux règles du droit public". En revanche, il n'est pas certain que l'on puisse étendre cette solution aux sociétés d'économie mixte transparentes. Toute la jurisprudence relative aux personnes privées ectoplasmiques repose sur l'idée que la transparence fait apparaître la personne publique qui doit alors être considérée comme le seul signataire du contrat. En toute logique, il faudrait donc considérer qu'un contrat administratif conclu entre deux personnes privées dont l'une est transparente entre dans le champ d'application organique du Code des marchés publics. Espérons que l'arrêt à venir de la cour d'appel de Versailles nous apportera d'utiles précisions sur ce point. Si tel était le cas, se trouverait confirmée l'idée que le droit des contrats administratifs est aussi l'affaire du juge judiciaire.

François Brenet
Maître de Conférences en droit public à l'Université de Tours


(1) F. Llorens, Le droit des contrats administratifs est-il un droit essentiellement jurisprudentiel ? ; Mélanges Max Cluzeau, Université de Toulouse, 1985, p. 395.
(2) Voir sur ce point, la thèse de référence d'A. Van Lang, Juge judiciaire et droit administratif ; LGDJ 1996, BDP, tome 183.
(3) Par exemple : CE, 18 octobre 1935, Compagnie des chemins de fer du Nord, Rec. CE, p. 353 ; CE, 24 mai 1938, Sieurs Burelle et autres, Rec. CE, p. 473 ; CE, 26 janvier 1944, Société des établissements Balzer, Rec. CE, p. 32 ; CE, S, 29 juin 1951, Société des travaux du Sud, Rec. CE, p. 386 ; CE, 9 juillet 1952, Société le tube d'acier, Rec. CE, p. 367 ; CE, 28 novembre 1952, Société auxiliaire de distribution d'eau, Rec. CE, p. 546, etc.
(4) Voir en ce sens : J. Sudre, La compétence du Conseil d'Etat en matière de contrats ; Sirey, 1928 ; J. Rouvière, A quels signes reconnaître les contrats administratifs ? ; thèse Paris, 1930 ; G. Jèze, Les contrats administratifs de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics ; Giard, 1927, tome 1, p. 18 ; A. de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs ; LGDJ, 1ère édition, 1956, tome 1, n° 34, p. 55, etc.
(5) G. Péquignot, Contribution à la théorie générale du contrat administratif ; thèse, Montpellier, 1945, p. 63.
(6) T. Confl., 26 juin 1989, Société Compagnie générale d'entreprise de chauffage ; D. 1990, SC, p. 191, obs. X. Prétot ; Dr. adm. 1989, n° 439.
(7) Par exemple : T. Confl., 17 décembre 2001, Société Rue impériale de Lyon ; BJCP 2002, n° 21, p. 127, concl. G. Bachelier ; Dr. adm. 2002, comm. n° 49, comm. E. Delacour ; etc.
(8) Par exemple : T. Confl., 6 novembre 1967, n° 01902, Société coopérative HLM "Notre cottage" (N° Lexbase : A8138BDR) ; Rec. CE, p. 657 ; T. Confl., 15 novembre 1999, n° 03155, Dame Mollo c/ Société entreprise industrielle (N° Lexbase : A5574BQI) ; AJDA 2000, p. 172 ; T. Confl., 26 mars 1990, n° 02596, Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) (N° Lexbase : A8448BDA) ; Rec. CE, p. 635 ; D. 1991, SC, p.103, obs. P. Terneyre ; Dr. adm. 1990, n° 341 ; etc.
(9) TC, 17 janvier 1972, SNCF c/ Entreprise Solon ; RDP 1972, p. 465, concl. G. Braibant ; etc.
(10) G. Braibant, concl. sur CE, 13 décembre 1963, Syndicat des praticiens de l'art dentaire du Nord ; D. 1964, p. 55 et spéc. p. 57.
(11) J. Arrighi de Casanova, concl. sur T. Confl., 15 février 1999, n° 03108, GAEC des Trémières (N° Lexbase : A5562BQ3) ; JCP 1999, II, n° 10146.
(12) F. Lichère, L'évolution du critère organique du contrat administratif ; RFDA 2002, p. 341.
(13) Pour un exemple récent : CE, 5 décembre 2005, n° 259748, Département de la Dordogne (N° Lexbase : A9328DL3) ; AJDA 2006, p. 657, note F. Brenet ; JCP ed. A 2006, n° 1005, concl. E. Glaser ; Coll. Terr. Intercomm. 2006, n° 22, comm. J. Moreau.
(14) TC, 2 avril 1985, Laurent ; Rec. CE, p. 541. Voir aussi : CAA Paris, 2 avril 2002, n° 00PA03603, Commune de Noisy-le-Grand (N° Lexbase : A5507AZY) ; Collectivités territoriales -Intercommunalité 2002, n° 188 ; CAA Paris, 20 avril 2005, n° 02PA02193, Commune de Boulogne-Billancourt (N° Lexbase : A1219DIY) ; Contrats marchés publ. 2005, comm. n° 211, note G. Eckert. Sur ce thème, voir F. Lichère, Les contrats administratifs entre personnes privées-représentation, transparence et exceptions jurisprudentielles au critère organique du contrat administratif ; thèse Montpellier I, 1998, p. 252 et s.
(15) Sur ce thème, voir l'importante recherche de M. Canedo, Le mandat administratif ; LGDJ, 2001, BDP, tome 216.
(16) CE, S, 2 juin 1961, Sieur Leduc ; AJDA 1961, p. 345, concl. G. Braibant ; CE, 16 février 1966, n° 51026, Sieur Bernard (N° Lexbase : A0949B8N) ; Rec. CE, p. 114 ; CE, 14 octobre 1966, n° 64121, Ville de Montdidier (N° Lexbase : A0265B8C) ; Rec. CE, p. 539 ; etc.
(17) Cass. civ. 1, 2 février 1972, n° 70-10458, Société immobilière d'économie mixte et Saint Gratien c/ Compagnie industrielle et technique appliquée à la construction (N° Lexbase : A7052CEW) ; AJDA 1973, II, p. 47.
(18) Parmi les travaux les plus récents : M. Canedo, Le mandat administratif ; LGDJ, 2001,BDP, tome 216 ; C. Guettier, Droit des contrats administratifs ; PUF, 2004, p.118 et s. ; n° 168 et s. ; E. Delacour, Les contrats publics des personnes privées en droit français ; Mélanges en l'honneur du Professeur Michel Guibal ; Faculté de droit de Montpellier, 2005, vol. 1, p. 633 ; L. Richer, Droit des contrats administratifs ; LGDJ, 5ème édition, 2006, p. 124 et s., n° 170 et s. ; etc.
(19) En ce sens : B. Genevois, conclusions sur T. Confl. 12 novembre 1984, n° 02356, Société d'économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines (N° Lexbase : A8242BDM) ; AJDA 1985, p.156.
(20) T. Confl., 8 juillet 1963, n° 01804, Société entreprise Peyrot ([LXB=A8175BD7 ]) ; Rec. CE, p. 787 ; AJDA 1963, p. 463, chron. M. Gentot et J. Fourré ; D. 1963, p. 534, concl. C. Lasry, note P.-L. Josse ; JCP 1963, n° 13375, note J.-M. Auby ; RDP 1963, p. 766, concl. C. Lasry ; GAJA n° 84, p. 563.
(21) Par exemple : J.-P. Colin, La nature juridique des marchés de travaux passés par les sociétés d'économie mixte concessionnaires de travaux publics ; AJDA 1966, p. 474 et spéc. p. 480 ; B. Genevois, conclusions sur TC, 12 novembre 1984, Société d'économie mixte du tunnel de Saint-Marie aux Mines et autres ; AJDA 1985, p. 156 et spéc. p. 158 ; etc.
(22) Par exemple : C. Guettier, Droit des contrats administratifs ; précité, p. 120, n° 177 ; F. Lichère, L'évolution du critère organique du contrat administratif ; précité, p.342 ; M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois, GAJA, précité, p. 566.
(23) Voir sur ce point la démonstration de M. Canedo, Le mandat administratif ; précité, p. 104.
(24) CE, S, 30 mai 1975, n° 86738, Société d'équipement de la région montpelliéraine (N° Lexbase : A4597A4Z) ; Rec. CE, p. 326 ; AJDA 1975, p. 345, chron. M. Franc et M. Boyon ; D. 1976, p. 3, note F. Moderne ; RDP 1976, p. 1730.
(25) CE, 11 juin 1975, n° 88606, Société d'équipement d'Auvergne c/ Dame Carvanier et Entreprise Barrat (N° Lexbase : A8011B7T) ; Rec. CE, p. 921 ; AJDA 1975, p. 348.
(26) T. Confl., 7 juillet 1975, n° 02013, Commune d'Agde (N° Lexbase : A8157BDH) ; Rec. CE, p. 798 ; D. 1977, p. 8, note C. Bettinger ; JCP 1975, II, 18171, note F. Moderne.
(27) Cass. civ. 1, 10 mars 1987, n° 85-13.939, Groupement thermique de Nemours Mont Saint-Martin c/ M. Calsat et autres (N° Lexbase : A6488AAK) ; BC I, n° 92 ; Cass. civ. 1, 1er octobre 1985, n° 84-14.700, Groupement thermique de Bures-Orsay (N° Lexbase : A4755AAD) ; BC I, n° 241.
(28) CE, 27 novembre 1987, n° 38318, Société provençale d'équipement (N° Lexbase : A3474APD) ; RFDA 1988, p. 384, concl. M. Fornacciari ; p. 397, note F. Moderne ; AJDA 1987, p. 716, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre ; Dr. adm. 1988, n° 32. Voir aussi : CE, 13 novembre 1987, n° 55445, Syndicat intercommunal de l'Ecole des clos (N° Lexbase : A3483APP) ; RFDA 1988, p. 380, concl. Y. Robineau ; CE, 1er mars 1989, n° 12841, Société d'équipement du département de la Gironde (N° Lexbase : A2667AQT) ; Dr. adm. 1988, n° 255 ; LPA du 23 novembre 1990, p. 12, note F. Moderne.
(29) Tous ces indices ont été utilisés dans l'arrêt "SERM" de 1975, mais cela n'a pas toujours été le cas par la suite. Par exemple : CE, 11 juin 1975, n° 88606, Société d'équipement d'Auvergne c/ Dame Carvanier et Entreprise Barrat (N° Lexbase : A8011B7T) ; Rec. CE, p. 1127 (aucune référence aux modalités de mise en oeuvre de l'action en responsabilité décennale) ; CE, 22 juillet 1977, Société "Nord Océan Poirsos et Compagnie" ; Rec. CE, p. 347 (seule référence à la destination publique des travaux) ; etc.
(30) T. Confl., 10 mai 1993, n° 02840, Société Wanner Isofi Isolation et Société Nersa (N° Lexbase : A5899BKP) ; Rec. CE, p. 399 ; CJEG 1994, p. 86, concl. P. Martin, note D. Delpirou ; RDP 1996, p. 1171, note F. Lichère ; a contrario CE, 17 décembre 1999, n° 179098, Société Ansaldo Industria et SA Bouygues (N° Lexbase : A4924AXN) ; Rec. CE, p. 423 ; BJCP 2000, p. 124, concl. H. Savoie ; Dr. adm. 2000, n° 30 ; RFDA 2000, p. 200.
(31) CE, Avis, 16 mai 2001, n° 229811, Mlle Joly et Mlle Padroza (N° Lexbase : A2666AYE) (article L. 113-1 du CJA) ; Rec. CE, p. 237 ; AJFP 2001, n° 5, p. 4, concl. P. Fombeur, note P. Boutelet ; RDP 2001, p. 1513, note M. Canedo.
(32) Encore faudrait-il dans cette dernière hypothèse qu'elle "muscle" son argumentation et qu'elle n'affirme pas comme elle l'avait fait par erreur dans sa décision du 10 février 2005 qu'une société d'économie mixte transparente est une personne morale de droit public.
(33) CE, 19 novembre 2004, Société National Westminster Bank ; Rec. CE, p. 765 ; JCP ed. A 2004, 1813, concl. D. Casas ; AJDA 2005, p. 375, note J.-D. Dreyfus ; BJCP 2005, n° 39, p. 111, obs. R.S.

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