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N2900A9B
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le 07 Octobre 2010
Il s'agit alors, plus exactement, de savoir en quoi l'application de ces règles en matière d'aides d'Etat présente une spécificité dans le domaine bancaire et financier.
En voici les raisons :
- l'établissement de crédit peut être la victime des aides d'Etat dont bénéficient ses concurrents (publics) ;
- l'établissement de crédit peut être le bénéficiaire de l'aide ;
- l'établissement de crédit peut être le vecteur ;
- l'établissement bancaire peut être un intervenant dans le cadre d'un montage mettant en cause une aide publique.
L'activité de la Commission dans le cadre du contrôle des aides aux banques est relativement récente, puisque le premier cas date de 1992 et mettait en cause la banque espagnole Banesto. Depuis lors, le nombre d'affaires soumises à ce contrôle a évolué de façon notable, ce nombre s'expliquant par :
- la libéralisation des marchés financiers ;
- la banalisation des établissements de crédit ; et
- l'internationalisation des activités.
L'attitude de la Commission a été d'exercer un contrôle pour les aides dans le domaine bancaire comme pour les autres domaines, appliquant des règles normales. Il n'en reste pas moins que les banques forment, à elles-mêmes, un secteur particulier.
Tout d'abord, la volonté de la Commission est de mettre fin à des aides qui résultent du passé et qui ne sont, aujourd'hui, plus justifiées, telles que les garanties publiques. Celles-ci avaient souvent comme conséquence une séparation des tâches au sein des établissements, entre la partie publique et la partie commerciale. Les garanties, pour les banques, conditionnent les modalités de refinancement de l'établissement concerné. Dans ce domaine, l'action de la Commission est aujourd'hui, pour l'essentiel, terminée.
Se pose, ensuite, la question des aides au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté. La Commission n'a jamais utilisé, ici, l'article 87 § 3, b) du Traité , aux termes duquel "peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun : [...] les aides destinées à [...] remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre".
Il convient de noter l'existence d'une disposition spécifique au secteur bancaire, permettant d'accepter les aides en sauvetage, à condition que celles-ci prennent la forme de garantie ou de prêt (car elles ne doivent pas avoir de caractère permanent). Il y aura, de toute façon, peu de cas de restructurations bancaires dans les temps à venir. Il peut, toutefois, exister des cas particuliers où la consolidation n'est pas encore réalisée dans certains Etats membres (tels que l'Italie et l'Allemagne).
Enfin, est soulevée la question du traitement accordé aux services d'intérêt économique général.
Tout d'abord, certains Etats membres, pour lutter contre l'exclusion bancaire, mettent en place des services d'intérêt économique général à cet effet. C'est le cas, par exemple, d'un certain nombre de banques postales.
Par ailleurs, un Etat membre peut utiliser une banque pour assurer un service d'intérêt économique général. C'est le cas du Crédit mutuel avec le "Livret bleu" (assurant, pour sa part, un service pour le logement social) (1).
Enfin, existent des aides au fonctionnement dans le secteur bancaire, dans trois cas de figure :
1. les liens qui peuvent exister entre la maison mère -La Poste- et les banques postales : la Commission doit, ici, s'assurer que la facturation est bien effectuée au prix du marché ;
2. les injections de capital dans les banques publiques : la Commission doit vérifier que l'Etat agit en actionnaire avisé ;
3. enfin, les dispositions fiscales spécifiques propres au secteur bancaire.
L'on peut donc, d'ores et déjà, conclure qu'il n'y a pas de démarche particulière de la Commission, mais que l'on trouve des types d'aides particulières au secteur bancaire. Et de souligner, finalement, la banalité du régime des aides d'Etat qui s'appliquent au secteur bancaire.
Toutefois, malgré cette approche de droit commun, il existe des spécificités, tenant à deux raisons : le secteur bancaire est, d'une part, un secteur stratégique et, d'autre part, un secteur présentant le "risque systémique" (en d'autres termes, un effet de contagion en provoquant des paniques bancaires, etc.). Les Etats ont jugé nécessaire d'imposer un certain nombre d'obligations publiques. Il existe donc de fortes spécificités du point de vue de l'intérêt des Etats. Trois points sont, ici, à évoquer.
En premier lieu, il convient de souligner la complémentarité entre les objectifs prudentiels et l'objectif concurrentiel du régime des aides d'Etat. La Commission partage, à ce sujet, l'avis de la Commission bancaire française dans son rapport pour l'année 1995. Il y a donc une forte convergence des intérêts prudentiels et concurrentiels et la Commission conclut qu'il faut davantage distinguer la responsabilité de l'Etat en tant qu'actionnaire et la responsabilité de l'Etat en tant que personne publique. La Commission n'accepte pas le fait qu'un ratio prudentiel ne soit plus respecté, une intervention de l'Etat devant être légitime et justifiée.
Il convient, en deuxième lieu, d'aborder la façon dont la Commission traite le risque systémique. Ce risque est en permanence suivi, contrôlé par les autorités de supervision. L'article 87 § 3, b) du Traité prévoit que les aides d'Etat "peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun [si elles sont] destinées [...] à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre". La dérogation de l'article 87 § 3, b) du Traité pourra donc être invoquée en cas de grave crise systémique. Toutefois, les conditions sont vagues. En effet, qu'est-ce qu'un grave risque systémique ? De plus, il faudra sans doute prévoir des dispositions procédurales particulières car la compétence d'appréciation du risque systémique est, ici, du côté du régulateur !
La Commission a su prendre en compte la spécificité de certains types de situations. Si elle ne fait preuve d'aucune souplesse quant à l'existence d'une aide d'Etat, elle en fait preuve lors de l'appréciation de la compatibilité de l'aide. Ainsi, si le risque de la faillite d'un Etat isolé présente un risque systémique, la Commission se montre plus souple (V. l'affaire "Crédit Lyonnais" en 1995) (2).
La Commission reconnaît également pleinement la légitimité des dépôts de garantie préservant les dépôts de l'épargnant et ce, afin d'éviter la contagion et la panique bancaire.
La Commission a aussi reconnu la légitimité de "mesures coupe-feu" -interventions publiques ayant pour but d'organiser la liquidation d'une société de façon ordonnée-.
Le cadre des aides d'Etat présente donc un certain nombre de souplesses.
Enfin, en troisième lieu, la spécificité des services d'intérêt économique général appliqués aux établissements de crédit a été reconnue par la Commission dans son rapport de 1997 (XXVIIe Rapport sur la Politique de la Concurrence 1997 de la Commission européenne), et ce dans trois domaines :
1. Le service universel. Il s'agit, ici, du sujet de l'accessibilité sociale, soulevée à l'occasion de la procédure ouverte pour le Livret A. De fortes composantes d'accessibilité sociale se trouvent dans le service d'intérêt économique général rendu à travers le Livret A (logement, etc.). Il s'agit là, cependant, d'un droit exclusif accordé à La Poste, aux banques postales et aux Caisses d'épargne, droit exclusif dont se sont plaints certains établissements.
2. Le financement d'intérêt général. Des souplesses supplémentaires ont désormais été accordées dans le cadre du financement du capital risque : les aides inférieures à 1,5 millions d'euros sont, en effet, exemptées de l'obligation de notification.
3. Le financement de la dette de l'Etat.
Propos recueillis par Florence Labasque
SGR - Droit commercial
(1) Lire J.-P. Lehman et A.-P. Weber, Les décisions de la Commission doivent être motivées, à défaut ses décisions sont annulées : le cas du dossier Crédit Mutuel, Lexbase Hebdo n° 155 du 17 février 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4697ABL).
(2) Décision de la Commission 95/547/CE, du 26 juillet 1995, portant approbation conditionnée de l'aide accordée par la France à la banque Crédit Lyonnais, JO L308 du 21 décembre 1995.
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